jeudi 22 mars 2012

841 : mercredi 21 mars 2012

Les Péripapéthyliennes se font payer pour boire. On leur remet de l’argent et elles déglutissent, avec un effet de conviction variable, des liqueurs plus fortes que la guerre, des champagnes dorés ou des petits vins de pays. Il arrive que certains cœurs rincés se délestent de sommes colossales pour les regarder seulement contempler un verre d’eau. Lorsque leur foie a atteint un volume respectable, les Péripapéthyliennes se muent en Courtetisanes. On dit alors qu’elles ont pignon sur rue.

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Jean a dit « le pain et le sel », et j'ai vu une table de bois, des étains, des torchons, de grandes vasques de terre cuite grège, avec un ourlet brun et un petit filet rouge sombre, des couteaux, une corbeille de pommes de terre et une pile d'épais filets de morue à la chair ivoire jaunie sous le blanc du sel.

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Une lumière pâle et violente me transperce les paupières, j'ai probablement encore oublié de fermer les volets. En me retournant l'aiguille de la perfusion s'enfonce dans ma chair, je pousse un cri de surprise. Tu n'es pas à la maison. L'électrocardioscope bipe. C'est énervant. Je sens une effervescence mais mes yeux ne veulent pas s'ouvrir, des gens murmurent. Une main se pose. Je reconnais le parfum, je le reconnaîtrais n'importe où: Boucheron. Je me souviens qu'elle était triste parce qu'ils vont arrêter de le fabriquer. Je me souviens toujours des détails insignifiants. L'électrocardioscope bipe plus vite. C'est toujours énervant. Le soleil me chauffe la peau, j'imagine les reflets sur les vitres sales de cette chambre d'hôpital de province. On ne peut pas boucher le trou de la sécu et faire le ménage, faut pas déconner. Apparemment j'ai avalé la boite. Parait même que j'ai moulu les comprimés pour les incorporer dans un gâteau. La grande classe Charlotte. Je me dis juste que maintenant que je me suis loupée ce qui est con, c'est qu'ils vont jamais me laisser en reprendre. Toutes ces nuits à ne pas dormir. Merde. Cioran aurait probablement dit en plagiant Éluard "Laissez-moi seul juger de ce qui m'aide à survivre."

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Enceinte, la femme disparaît et devient "expectante", elle entre dans la vie, la vie qu'elle donne, la vie qu'elle va recevoir. Enceinte, mère, la femme entre dans la mort, car de son existence quelqu'un, quelqu'un d'autre dépend d'elle, qu'elle le veuille ou non. Car une personne vient désormais après elle dans les chaînons de l'humanité, quelqu'un dont elle est le pare-feu entre la vie et la mort, jusqu'à sa propre disparition. Même une femme sous X sait ça, son existence, sa chair, est liée à jamais à un autre être qui marche loin d'elle, près d'elle, elle ne le saura jamais, mais cet être est là et ne l'aurait été sans elle.