mercredi 25 janvier 2012

785 : mardi 24 janvier 2012

Des images la hantent, des visages, des bruits, des mots aussi qu’elle ne comprenait pas. Elle se demande pourquoi elle n’a pas su s’opposer à ceux qui la maintenaient anesthésiée. Isaure s’est échappée de cet enfer, elle s’est réveillée petit à petit. Au début, elle s’est enfermée dans le silence, fuyant les autres, rasant les murs, terrifiée par la conscience d’être encore en vie. Elle passait de longues heures à la fenêtre de sa petite chambre, les yeux fixés vers le ciel, cherchant dans ses couleurs un apaisement à sa souffrance. Elle parcourait la pièce dans tous les sens, se tapait la tête contre les murs, s’arrachait les cheveux, s’effondrait sur le carrelage, les mains plaquées sur sa bouche pour étouffer la longue plainte qui montait en elle. Puis elle s’est remise à écrire. Au début, son stylo ne tenait pas dans sa main. Les premiers mots tracés lui ont demandé des efforts surhumains, tant elle tremblait. Elle a patiemment rééduqué ses gestes. Elle a commencé par écrire son nom, des centaines de fois, pour l’avoir sous les yeux, pour pouvoir le lire, le prononcer, le graver dans sa mémoire. Isaure, je suis Isaure. Je m’appelle Isaure. Puis d’autres mots sont venus, ses doigts se sont déliés, elle ne parvenait pas à penser, les mots couraient tout seuls. Les tremblements se sont arrêtés au bout de quelques jours. Elle a pu à nouveau sortir, marcher dans les rues mais elle n’habitait plus son corps. Il était à côté d’elle et la suivait partout. Ca a duré longtemps. De ces mois, elle n’a de souvenir que sa souffrance – dans sa tête – une souffrance exténuante, lancinante qui l’empêchait de respirer. Ce qu’elle a fait, elle n’en sait rien. Elle n’était personne. Elle se souvient juste de sa petite chambre, de son lit, de l’évier à côté de la fenêtre, des toilettes sur le palier où elle allait vomir, des douches froides qu’elle se forçait à prendre qui la giflaient et la laissaient pantelante, hagarde, sans force. Elle s’enroulait dans la couverture, grelottante, reprenait son crayon et continuait son parcours de mots. Elle se souvient aussi combien elle aimait la nuit. Ca lui est resté. Elle sait maintenant qu’elle était une autre et que l’autre s’occupait d’elle. Lorsqu’elle a repris conscience de son corps, de son visage, de sa voix, elle a recommencé à vivre. Isaure aime toujours la nuit, le silence, l’écriture. Mais par-dessus tout, maintenant, elle aime la vie. Elle tente d’en rassembler les morceaux épars. Avec douceur et patience. En essayant de ne plus trembler.

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En son sommeil Tamel fit un rêve étrange qui anima autant sa chair que son esprit de dormeur. Bien qu’aucune lame ne l’ait approché, une blessure lui entaillait le ventre, sans que le sang ne coule pourtant, et de cette béance apparut une frêle pousse bourgeonnante qui, s’élevant peu à peu, finit par devenir un arbre au tronc vigoureux et au feuillage foisonnant. Celui-ci donna bientôt des fruits ronds et charnus dont la peau possédait toutes les nuances de couleur du jaune absolument pâle au rouge le plus vif. Ce songe et son arbre s’évanouirent au réveil de Tamel lorsqu’un oiseau perché dans le feuillage s’envola en poussant un cri de pie dérangée en pleine rapine. Resta à l’enfant le sentiment d’une grande solitude. Sentiment si intense que Tamel parvint à lui donner la consistance d’une présence, d’une compagnie, amie discrète à laquelle il prêta un visage, un caractère, une voix.