mercredi 14 décembre 2011

746 : mardi 13 décembre 2011

Les Nuits de Chine traînent toujours parmi nous. Elles ne sont jamais parties. Elles sautillent, hésitantes, entre leurs valises ouvertes qui dégueulent de chandails et d’objets millénaires pendant que des amants aux yeux rongés de cernes, se lamentent, là-bas, sur la pointe de leur if.


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J'avais cessé de vouloir me penser vers l'âge de cinq ans. Les mirages de la réflexion, dès cet âge là ne suscitant plus guère d'intérêt de ma part. Il m'arrivait pourtant encore de temps à autre de contempler mon âme, à la faveur d'un miroir. Combien de fois m'étais-je surpris à en examiner l'accès ! Comme elles m'émouvaient encore, ces innombrables terminaisons d'axones illustrant ma pupille, la recouvrant de ma geste intérieure. La pensée est action. Cela tous les philosophes un tant soit peu sérieux le savaient. Seule une poignée d'irréductibles (de dangereux philosophes de l'esprit pour la plus grande part) continuaient la vaste entreprise de formalisation logique initiée par Frege quelques centaines d'années plus tôt. Et le matérialisme éliminativiste était désormais proscrit dans la plupart des écoles : Nous savions de source sûre qu'à chaque pensée correspondait tout un ensemble de phénomènes physico-chimiques, dont l'unité de base en dernier ressort était tout simplement la particule. Toute tentative pour penser le concept d'âme, si cher à la préhistoire de la pensée, ne pouvait plus que faire pouffer tout Moderne digne de ce nom. L'humain avait enfin pris conscience de sa nature profonde : Nous étions des robots biologiques sans le savoir. Et ma foi ce n'était pas si désagréable que ça.


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Dans une quasi-obscurité, à une centaine de mètres de la porte Est du village des Hules. La petite fille faisait plus de tapage dans le minuscule étang qu’un troupeau entier de jeunes hippopotames semoncés et corrigés par leurs parents. Elle chantait aussi, comme si personne ne pouvait ni la voir ni l’entendre, osant des formes sonores qu’elle sculptait pour son unique plaisir, des mots dont le sens tenait tout entier dans la suite des bruits-souffles-timbres qui les contenait. De temps à autres elle disparaissait dans l’onde et ne surgissait à nouveau à la surface de l’eau que lorsque celle-ci avait retrouvé son immobilité virginale. Percer alors cette étendue immobile, cette membrane presque imaginaire entre le ciel et la matière dense et fluide de l’eau, faisait jaillir en elle une joie sauvage qu’elle ne cherchait en rien à contenir. Tout au contraire elle laissait exploser cette joie en cris retentissants, à la fois violents et denses. Et ce vent d’allégresse faisait frissonner la ramure des arbres qui entouraient et masquaient l’étang jusqu’à en frôler sa surface.