vendredi 23 décembre 2011

754 : jeudi 22 décembre 2011

Le jeune garçon jouait au dès avec un des deux gardes de la poterne Sud, le dénommé Lüas, celui avec lequel plus personne dans la ville n’avait, depuis longtemps, risqué la moindre mise à ce jeu. Et cela, parce que Lüas savait mieux que quiconque faire tourner ces petits cubes dans ses mains et leur extorquer des paroles adaptées à sa volonté, au terme de savantes trajectoires parfaitement maîtrisées. L’enfant avait tout naturellement perdu. D’abord son troupeau de chèvres, puis le produit de la vente de fromages la veille, au marché et, à la suite de bien d’autres parties, toutes à l’avantage de son adversaire, il se retrouva dépouillé de son paletot, de son baluchon et de son bâton ferré. Il s’était levé pour partir, léger comme une feuille dans un vent d’automne, lorsque le garde lui proposa un ultime lancer de dès, « pour rien, pour l’honneur !» lui dit-il. L’autre, dont on appris plus tard qu’il avait la veille donné le nom de Tamel au placier de la foire, s’assit de nouveau, rassembla le jeu et, en un seul jet, d’une main vive qui semblait avoir soudain une vie indépendante de son corps, sortit la combinaison dite du scarabée royal, combinaison qui tient compte à la fois des figures visibles sur les dés et de leurs places respectives dans la géométrie du jeu : deux fois trois six formant un hexagone régulier, inscrit dans le cercle du plateau. A ce Tamel, le garde proposa alors de lui redonner tout ce qu’il lui avait gagné. L’enfant se mit debout, se tourna, et s’en fut sans répondre dans la direction des montagnes. Le lendemain, Lüap parti avec son troupeau de chèvres, un manteau de berger et un bâton ferré. On ne le revit jamais.

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Le soir surprend Suzanne par sa rapidité à chasser le jour, déjà, encore, à peine le temps de s'habituer à la lumière qu'il faut déjà sombrer dans les tristes oranges des lampadaires. Suzanne se surprend à fermer les yeux devant l'ampoule du placard à fourniture en imaginant que c'est le soleil et que la plage l'attend... le ronronnement de la photocopieuse se transforme en vagues, elle oscille presque de contentement avant d'être ramenée à la réalité par la voix sèche de son patron lui réclamant un café.