mercredi 16 novembre 2011

719 : mardi 15 novembre 2011

Après de longues minutes à compter les mouches (j'ai effleuré rapidement à intervalles réguliers quelques regards en un audacieux balayage), vers dix-sept heures trente je sors enfin du café. Je n’ai rien à apprendre ni à faire en cet endroit. En partant, le buraliste me jette d’ailleurs un regard soupçonneux et ne prend pas la peine de répondre à mon salut. Le ciel est bas et gris, comme mon front d’ailleurs. Je décide de pousser un peu vers la mer, sans grande conviction, mais il faut bien aller quelque part : certains promènent leur chien, d’autres font du jogging, d’autres encore voient des gens et/ou vont au théâtre. Non, s’arrêter, il ne le faut pas. Sous peine de perdre le sens présent et à venir de son existence. Inconcevable. Il faut des repères, toujours des repères. Un café. Tel banc (où…). Une ville, puis l’autre. Et ainsi de suite. Une personne. Cet endroit. Le tout noté avec précision pour ne rien en perdre et éventuellement régaler de futurs lecteurs pointilleux ou des historiens par exemple. Il commence à bruiner, je remonte le col de mon imperméable et me dirige d’un pas lent et mesuré vers l’amour présent de ma vie. Celle qui à ce jour ne m’a encore jamais trahi. La Jaguar Z-type 4.0. moteur V8 à injection centralisée – 4,7 litres au sang. Une ligne audacieuse et sexy qui conserve cependant un certain cachet, et aussi – je sais que ça vous paraîtra étrange – quelque chose en rapport avec la dignité… Très loin (à des années lumières même), de l’ostentation agressive des 4X4. Elle convient à mon personnage, et quand je pense à nous deux, je n’ai nulle difficulté à évoquer la notion de « relation fusionnelle ». En la rejoignant je croise une vieille dame qui agrippe violemment mon bras : je lis une sourde terreur dans son regard, ainsi qu’une certaine colère. Elle me regarde puis dépose un baiser un peu moustachu sur mon cou. Ne sachant que faire, je la remercie et lui souhaite une bonne journée avant de reprendre mon chemin.

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Les Liminaires sont de fines lames et les Laminaires de fins limiers. Toutes qualités au demeurant reconnues, ils s’abhorrent depuis la nuit des temps et n’ont pas attendu d’être sur un bateau pour se pincer jusqu’au sang. Quand ensemble ils ont plus d’un seul jour séjourné, il faut avec ce qui reste des uns ou des autres, composer quelques vers pleins de sang. Quand un Liminaire s’éprend d’une Laminaire, s’ébouriffe un roman au long cours, qui ne finit pas mieux pourtant, que les quelques vers d’avant.

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Lorsque Franck avait rangé les sacs de Sophie, il ne s'imaginait pas tomber sur autant de stylos, de post-it et de minuscules boulettes de papier de bonbons à la menthe. Il connaissait son geste machinal qui consistait à suçoter machinalement ses pastilles tout en frottant l'emballage entre ses pouces, chiffonnant le tout jusqu'à ces petites boules parfaites. Elle vidait régulièrement ses poches, en oubliait ça et là, et découvrir ces vestiges tout au fond de replis inattendus l'avait ému. Il avait trouvé une multitude de petits rien attachants, un autocollant de Hello Kitty, un rouge à lèvre éclatant encore dans son emballage, des tickets de bus usagés et la paire de boucle d'oreille qu'elle cherchait depuis des semaines. Malgré toutes ces trouvailles, Franck restait en détresse sur l'unique réponse qu'il cherchait, à savoir pourquoi elle ne l'aimait plus. Sophie n'avait rien dit, mais ses gestes avortés, la disparition d'une sollicitude ancienne et son regard éteint faisaient naître une angoisse chez Franck. Il ne comprenait pas. Il l'aimait, lui, alors pourquoi elle cesserait-elle? Ce que Franck n'avait pas prévu, ce fut la réaction de Sophie. Elle ne dit rien, ne protesta pas contre sa main mise sur son désordre. Simplement, ses sacs restèrent dans un placard qu'elle cessa d'ouvrir, elle ne s'en servit plus, et son regard s'éveilla d'une tristesse butée présageant d'une tempête dont ils ne se remettraient pas.

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Ainsi, un matin, hommes, femmes, vieillards et enfants se dirigèrent à pas lent, tout émus, parlant peu, vers ce bleu qui renvoyait le ciel en lui donnant un supplément de clarté. Parvenus au bord de l’eau, tous attendirent que le silence permette d’entendre le murmure de l’onde. Alors, pendant plus d’une heure, ils écoutèrent, sans comprendre, la musique aux notes si liées entre elles que chacune contient toutes les autres. Puis Tamel traduisit, simultanément à chacun dans son propre langage, ce que la vague avait dit. Pour Damouce cela donna à peu près ceci : « Petite fille au regard limpide et au paumes si douces, nous sommes venus enduire la peau de ton corps d’une fine pellicule de lumière qui te préservera de la poussière du temps. Viens te baigner en nous ! Le présent que tu nous feras de ta caresse vaut mille fois celui que nous t’offrons. »