mercredi 30 novembre 2011

733 : mardi 29 novembre 2011

À force de se bercer d’illusions, les Magiciens ont développé une forme subtile de nausée chronique. Et c’est maintenant de mélancolie qu’ils se bercent, à trop sentir sous leurs pieds ce qu’ils croient encore être le roulis de la mer.

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J'aime à concevoir ce que les objets peuvent avoir de présence. On dit que la quintessence des vivants s'imprime de manière durable en leur surface, leur conférant un supplément d'interactivitéité en particulier avec nous, qui sommes partie des étants, ou pour certains de l'étant. Ce genre de vue se trouve notamment chez ceux-ci qu'on nomme spiritualistes, ou animistes, les religieux ont aussi coutume d'y recourir : Ceux qui donc se plaisent ou se trouvent à voir plus que ce qui se donne à sentir en ce monde. Plaisantes imaginations, tours de l'esprit, vaines supputations : L'étant humain est irrépressiblement tenté de réifier, de doter d'identité et d'intentionnalité ce qui se donne à lui d'inexpliqué : les milles et un « signes » du monde. Le chien se contente sagement à son échelle de gémir ou de s'agiter.

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Ce serait flottant, comme surgissant depuis le toit de la longue façade à ma gauche, un ciel en masse noire, qui s'amenuiserait peu à peu, s'effilocherait en haillons sombres ou d'un gris décourageant, qui s'avançaient contaminant, rongeant, le blanc grisâtre en couches superposées, très fines, amas de mousseline, accroché au souvenir d'un halo rose très doux, tirant sur le pèche, en mémoire d'un soleil en train de sombrer au loin.

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Larmes. Cœur qui s’affole. Dents serrées. Corps tendu comme un arc. Elle. N’en peut plus. Sa tête hurle. Elle. Va mal. Elle. Se regarde. Se froisse. Se jette. Se rejette. Disparaît.

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Tout le village était rassemblé face à la montagne, sur la place de la fontaine. Cette fontaine dont l’eau changeait toutes les fois que les Hûles se posaient en un nouveau lieu, cette fontaine qui, jusqu’à ce jour n’avait jamais déçu le porteur de cruche, semblait à présent tarie. Archos avait demandé à chacun de venir assurant que la présence de tous était indispensable. Devant les enfants, les adultes et les vieillards, il s’expliqua, dit ce qu’il savait des méfiances de la montagne ainsi que de la tristesse de la fontaine à laquelle depuis si longtemps, personne n’avait rendu grâce, à l’exception de deux enfants. Il demanda ensuite à Damouce de répéter les gestes simples du matin, lorsque, sortant de chez elle la petite éclaboussait joyeusement sa frimousse ainsi que la fleur sculptée dans la pierre située derrière le bassin, et parfois même quelque oiseau suffisamment curieux et imprudent pour qu’elle parvienne à l’arroser. A sa suite, Tamel rejoua ses propres gestes, plus lents et silencieux, ponctués de pauses, d’attentes et d’écoute de l’eau. Toute la journée, chacun à son tour fit, comme si l’eau coulait encore, les actions simples du quotidien de la fontaine, mais ce jour-là – grâce à l’absence de l’onde qui forçait l’esprit à aller chercher les souvenirs au-delà de la paresse – bien plus éveillé au merveilleux dont il se trouvait alors privé.

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D'épuisement elle bégaie, gémit. Ses membres tremblent alors qu'elle défend sa thèse devant le jury aligné. Bientôt fini, bientôt la liberté, enfin.

mardi 29 novembre 2011

732 : lundi 28 décembre 2011

Elle attendait cette lettre depuis si longtemps que maintenant qu'elle l'avait en main elle n'osait l'ouvrir... Joëlle s'assit sur la chaise de la cuisine, et posa l’enveloppe sur la table en formica. Elle termina son thé en regardant le vent secouer les rayons qui dansaient par la fenêtre, un soupir au fond de l'âme prêt à s'évanouir. Puis, les mains posées à plat de part et d'autre de ce carré de papier, elle attendit encore un peu. Enfin, un déclic se fit, une respiration, et elle l'ouvrit délicatement pour en découvrir l'intérieur.

lundi 28 novembre 2011

731 : dimanche 27 novembre 2011

Que savent-ils des chapeaux ronds, les Mexicons ?

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Dans mon rêve c'était une fois encore un mur, solide et rude, marqué par les ans, portant traces d'ouvertures anciennes ou projetées et abandonnées, d'arcs écroulés qui s'y étaient appuyés, mais sans anarchie, structuré, chaîné, grands blocs taillés et maçonnerie de remplissage de belle épaisseur, semblait-il. Et il était doré par un feu, ou le coucher du soleil, ou le rêve, et sa rudesse était adoucie, rendue fuyante et un peu trouble par les larmes que je versais. Sur l'appui d'une grande baie condamnée s'est posé un pigeon sombre, dressé sur ses pattes agrippées, aussi sévère qu'un corbeau noir - juste une petite touche d'hypocrisie – et il s'est mis à haranguer, d'une voix qui n'avait rien du roucoulement de miel sombre de son espèce, d'une voix cri, métallique, sèche et brève, avec quelques filantes pour marquer la fin d'une strophe, d'une sentence, d'un ordre. Il regardait vers la droite, mais je savais que c'était à moi qu'il s'adressait, et qu'il était important que je le comprenne. Mais, tendue, attentive et désespérée, ayant renoncé d'emblée et m'acharnant, je n'ai pu accéder au sens de ce discours, deviner le but, le sujet de cette ode, et je me raidissais, baignée d'une sueur froide.

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La serviette de la jeune femme est tiède de soleil et il s’allonge, serrant entre ses doigts les bretelles de son maillot. Elle se cache dans les dunes, dissimulant avec ardeur son corps aux seins humides, aux pointes dressées. Les sons légers chuchotent sur sa peau : les herbes sèches, l’eau sur les rochers, le vent parmi le sable... Elle s'approchera de lui en cintrant sa taille, en incurvant ses reins ; de la langue, il effleurera ses hanches, délicatement, longuement.

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(Elle criait, depuis plusieurs heures. Elle criait et personne n’entendait sa plainte rugueuse, parce que personne ne vivait dans ce temps dilaté qui était le sien. Aucune des créatures animales ou végétales qui occupaient la surface de son corps n’existait suffisamment longtemps pour qu’une seule des notes de son appel lui parvienne.). "Patiente un peu Chamouse, tous ces déchets, ces cadavres décomposés, ces excréments d’origines diverses, tout ce qui recouvre ta peau, presse tes chairs et te plonge en grande partie dans l’obscurité la plus totale, t’isolant de ton frère le ciel, tout cela n’aura qu’un temps. Bientôt tu pourras à nouveau sentir sur toi la chaude caresse du soleil, bientôt la terre, les plantes, les animaux et même les hommes auront disparu. Foi de Tamel ! dans peu de temps, à l’échelle de ta lente respiration, tout sera à nouveau calme et silencieux comme avant. Mais ne soit pas pressée montagne de Chamouse, peut-être regretteras-tu alors un peu, cette bruyante et envahissante compagnie ?"

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Armande ondule dans les couloirs, sa démarche est celle d'une chaloupe accompagnée du cliquetis de ses colliers et bracelets. Trop maquillée, trop souriante, trop imposante, l'arrivée d'Armand éteint le souffle frais de notre liberté. Avec elle s'immisce dans nos murs l'attente moite des tempêtes, Armande sourit, toujours, ses lèvres rouges s'élargissent sur ses dents si blanches, Armande me donne le mal de mer.

dimanche 27 novembre 2011

730 : samedi 26 novembre 2011

Rêve enclos, lumineux, presque incandescent, des parois irrégulières comme faites de pierres, mais d'or imitant la pierre, raffinement, plaisir de savourer cette lumière morte où je baigne et puis, à la limite de mon flottement, à la lisière de mes yeux fermés, un trou ovale comme un médaillon, pierres en feston rutilant bordant une intaille sombre, brun d'ambre ou d'une pierre inconnue, et cela se creuse jusqu'à des jambes d'ivoire drapées de marbre, un relief appliqué, qui serait de vie s'il n'était brisé, une histoire inconnue, une légende, ou une nouvelle de Nerval, que je ne crois pas avoir lu, qu'il n'a pas écrite, qui fuit pendant que mon rêve redescend dans le néant.


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Un an après son arrivée dans la contrée, après s'être fondue dans les gestes et les coutumes des Hûles au point de ne plus en être reconnaissable, la troupe de brigands, sentant monter en elle le désir de saigner un peu le monde, se mit en départ. Si le jour des adieux silencieux, ceux qui étaient en selle et ceux qui les regardaient partir au loin s’étaient un peu mélangés, dans l’assurance des cavaliers comme dans le calme de ceux qui restaient, rien ne le laissa paraître.


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Une déferlante de notes d'abat sur elle... Elle sent les basses vibrer son corps et les aiguës son cœur. Le tonnerre déferle au fil des couloirs qu'il lui faut traverser avant de se pencher sur ce qu'il reste de leur nuit. La pièce est vide, seul un reste de parfum atteste de son passage ainsi que la chaîne qui se vide insolemment des souvenirs en musique d'une extase au passé.

samedi 26 novembre 2011

729 : vendredi 25 novembre 2011

Les Petites Fourmis Bleues s’agitent aux frontières, avec leurs petites mains, leurs petits pieds. Elles s’agitent, surveillent et se fatiguent. Elles jouent à la balle au prisonnier avec l’océan furieux du malheur. Elles voudraient le contenir, mais il les avalera bientôt comme des pierres.

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Léon ne traversa le miroir qu’à de rares occasions: trop peu souvent pour en ramener des merveilles...

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Doux, ce silence blanc de l'hospice, à part le ronronnement du frigo. Je t'appelle, tu t'es glissé hors de la chambre, tu descends en catimini jusqu'à la réserve. Les aides soignantes s'enfoncent dans un sommeil épais. Pendant que la grosse (c'est quoi son nom déjà) engloutit trois cachetons avec une vodka cul sec et remonte un drap de tergal jusqu'à son menton flasque. Tu t'effondres sur une chaise. T'as plus 20 ans depuis des lustres, c'est ça, un centenaire ralenti qui veut un dessert. Un yaourt, qui glisserait dans ton gosier asséché, qui irriguerait tes boyaux renfrognés ? T'as qu'à te servir. Hisse toi lentement, bascule sur le dossier de la chaise, relève ta carcasse en tremblotant... Tu arrives à tenir debout. Tu vas venir ouvrir la porte même si tes muscles sont mous. T'en as plus pour long, autant en profiter tant que ton cœur bat la mesure. Chaque pas commence un nouveau chemin si tes jambes avancent. Quelle distance te sépare encore de moi ? Un battement résonne dans ton thorax. Sursaut. Ton chemin se poursuit lentement, tes savates raclent le lino. Ton pied suspendu fait déferler un silence piquant. Il me tarde de revoir la lumière des néons. Chaque chemin se prolonge avec un autre pas. Ta cuisse se durcit un peu, encore un effort. Enfin ta main fend lentement l'air, en dépliant chacun de tes rhumatismes vers la poignée du frigo. Cette fine barre glaciale, que la grosse a rabattu d'un coup sec sur mon corps vaguement emballé dans un torchon blanc. Mon esprit était déjà accroché au néon du plafond. Sésame, ouvre la porte. Tu y es presque, un klic mat et tout s'entrouvre, revient mon premier souvenir. C'était hier, il devait être dix heures du soir quand un ouragan de pressions m'a saisi, qu'une errance rouge m'aspira. Découverte d'un espace palpable, suintant. Tellement sombre que je n'ai rien su de cette oppression. J'ai entr'aperçu une issue...Recouverte de glu, dans un effort éclairé d'inspirations sèches, redoutant explosions et effondrements, j'ai progressé dans un goulot creusé au fur et à mesure, ballottée par de rares souffles. J'en ai gagné, du terrain, après chavirements et dérives glaireuses; ne me souvenant plus de la destination finale quand /sol froid et dur/ j'ai échoué. Flaque poisseuse, de petits carreaux acérés dans le dos. Les jambes énormes de la grosse génitrice au-dessus. Être mise à bas et direct par terre. C'est arrivé vite, pas une seconde pour élargir mes poumons. Illico, elle m'a choppé, dans le drap enroulée et refermé la porte.

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Le soleil s’annonçait derrière Chamouse et du côté de la vallée jouait avec le ciel en y alternant diverses nuances de mauve puis de rose et pour finir de bleu. La paleur de ces couleurs aurait pu faire croire à la présence de nuages. Le chemin bondissait gaiement le long de la rivière qui prenait sa source dans la montagne et gagnait en vigueur ainsi qu’en eau au fur et à mesure de sa descente vers les terres du bas. Pour Tamel, il en était de même, déjà, parvenu à la grande Combe, juste avant que la perspective s’ouvre sur les trois vallée, on lui aurait donné une quinzaine d’année et de fait, tout en lui avait cet âge. Parvenu aux portes de la ville il sera un jeune homme dans la force de l’âge. A quatre reprises sur sa route, il aura du changer de vêtements et puiser dans le baluchon préparé par sa mère et porté à bout de bâton sur son épaule. A la ville, il échangera les quelques fromages de chèvres emportés dans son bagage contre les provisions indispensables ou futiles que les habitants du village lui ont demandé de rapporter en échange de la marchandise confiée. A son retour, tout comme la rivière, il sera redevenu tel qu’avant son petit voyage, timide garçonnet de huit ans.

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Jean-Louis Bastard est transporté d'urgence à la Salpêtrière. Il en ressort deux jours plus tard, les contusions feront des marques des écritures. Un malaise vagal, dans un escalator, lui valut soudain le corps. Dans sa chute, un éclair dessine des formes, il passe dans un autre • temps. Le voilà vêtu de peaux, emmitouflé dans le vent, sur une crête — et peut-être c'est ce vide qui est cause de la précipitation. Il observe le petit tableau des champs à des distances qui le renversent. Il voit des falaises où s'accrochent, crispés, des buissons de buis & de genévrier. Plus pas encore, sur des vires, un troupeau de chamois défie la pente et l'éboulis, devient l'éboulis, dévale l'éboulis. Il voit aussi qu'il est accompagné de deux silhouettes, l'une plus féminine, l'autre, eh bien non, et l'a première comme ornée, cernée d'un halo qui l'attire, peut-être c'est la matière de son attirance, peut-être son œil subitement trop perçant, comme il voit le chamois et plus bas encore le détail de la culture de seigle ou d'épeautre et maintenant qu'il y prête attention, également le gars dans son tracteur, et la chemise sur le gars, et les motifs de celles-ci et le détail de sa peau, de son visage, aussi, de son œil à lui — l'inquiétude du ciel. Maintenant qu'il y prête attention, il se voit, voyant tout, scrutant jusqu'aux recoins et détails toute la perfection du monde, tout ce qui fait que tout ce bazar ça tient ensemble, et la montagne et le reste, il porte tout cela, il le porte lové dans son œil, comme une larve parasite d'un tentacule d'escargot, on a ça aussi chez nous. Voilà le monde une poussière dans l'œil de Farigoule Bastard, un débris irritant, et pourtant la nécessité même du débris comme corps, comme défaut de corps, ou le défaut comme nécessité. La blessure ou le pied-bot ou le bec-de-lièvre comme pour dire Je suis là. Cette rétention qui s'essouffle, le voilà qui s'étire, un recul une embardée, au-dessus, dilaté, monte comme fumée se dissout se dilue dans le commun du Quand il sort de l'hôpital, Jean-Louis Bastard ne sait pas où aller. Et porté par le hasard, il arrive au Jardin des Plantes où il se prend d'affection de rien. Il reste assis tout un jour. Il ignore les passants qui l'ignorent de même. Il attend, il n'attend pas. Il ne fait rien, il ne fait pas rien. Il est hagard, absent, les yeux en creux. Il est mort, peut-être, où il frôle le moment. Il ne pèse plus. Il ne pèse plus sur le monde. Le soleil est violemment déchiré par de lourds nuages d'ouest. Il fait chaud et il fait froid. Il y a le vent. La pluie menace. Farigoule, ses sandales, il a froid aux pieds.

vendredi 25 novembre 2011

728 : jeudi 24 novembre 2011

Je rêvais. J'étais entourée de silencieuses présences, élégantes par leur taille qui me dominait, plus que sveltes, ou étrangement sveltes avec leurs têtes extrêmement petites sortant des plis élégants de leur vêtement blanc, drapé comme une toge. Je les sentais bienveillantes, j'écoutais en moi leur sourire invisible sur la tache blanche qu'était leur visage, bienveillantes et peut-être souriantes mais chantonnant, très doucement, très bas, un lamento sans force. Et, me rapprochant de celui qui me faisait face, je m'étonnai de voir que son vêtement était en dentelle, ou plutôt en une sorte de broderie anglaise, dont les trous montrait une peau mate, légèrement rosée, comme celle d'une pèche de vigne. Je tendis la main, instinctivement, mais un geste qu'il fit déplaça la draperie et, sous le tissu, sous toutes les zones pleines du tissu, apparurent des trous, qui me rejetèrent en arrière. Alors la présence me regarda – je voyais maintenant son sourire serré et des yeux pleins de tendresse – et enfonça un de ses doigts dans un de ces trous de son corps, ou ce qui en tenait lieu, et le sourire s'élargit.


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Mon voisin de métro paraît âgé de 27 ans et demi, il a les cheveux très courts, presque rasés sur un petit crâne rond et il porte un foulard à pois. Nous sommes assis côte à côte sur des strapontins. Mon voisin de métro tient sur ses genoux une lettre qui est en fait une seule feuille de papier kraft pliée en trois ; de temps en temps il la déplie puis la replie. À l’intérieur il y a quelques lignes imprimées, un nom centré, mais ce n’est pas un faire-part de naissance ni de décès, peut-être un avis de soutenance de thèse ? À l’extérieur, le cachet de la poste (faisant foi) empêche de voir clairement l’adresse, je parviens néanmoins à lire « Mathieu Stylator, 11 rue du Chemin Vert, 75011 Paris ». Hum ! Mon voisin de métro a tout à fait une tête à s’appeler Mathieu (un prénom que je ne sais jamais comment écrire, faut-il un ou deux t ?) Quant à Stylator… no comment. Numéro 11 de la rue située dans le 11e arrondissement, et nous sommes en 2011… (bon, ce n’était pas le 11 novembre, n’exagérons rien). Mon voisin de métro pousse un petit soupir très discret, mais je l’ai perçu tout de même. Nous sommes très proches.


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Tamel regrettait ce qu'avait fait Gimel, mais le comprenait. Comme il le comprenait ! Lui-même, le jour où il appris, après avoir suivi des pas, des mots et écouté bien des murmures, que "la mort qui nous emmène a toujours notre âge", lui-même a cessé de chercher à éviter le danger et tout au contraire s'est mis à cheminer à la rencontre de sa lisière. Gimel, bien plus impétueux et passionné, avait fait bien plus que cheminer. C'est au grand galop qu'il s'est jeté vers l'horizon, souhaitant avec ardeur rencontrer "une belle mort".


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Parfois Georgette se dit qu'elle aurait aimé vivre autrement, ne pas se cacher derrière un tablier tous les matins, tirer le rideau de fer et accueillir le jour. Derrière la vitrine les clients défilent, tous la connaissent et la saluent. Ailleurs aussi, quand elle ne travaille pas et se promène, elle est interpellée, on lui sourie, voire on la montre du doigt. Parfois Georgette se dit que toute cette cordialité l'étouffe, elle aimerait pouvoir rembarrer la cliente difficile et oublier de se tenir droite les jours gris et maussades. Parfois, oui, parfois Georgette se dit qu'elle aurait pu être autre chose que la femme du boucher. Boulangère, fleuriste, un métier moins rouge et plus chatoyant.

jeudi 24 novembre 2011

727 : mercredi 23 novembre 2011

Les Lointains sont toujours loin. Même de près. Ils entretiennent entre eux des relations courtoises et distantes et ne se mêlent pas plus de ce qui les regarde que de ce qui ne les regarde pas. Ils naissent dans des conditions obscures, grandissent dans le flou et meurent très approximativement. Leur art consommé de l’allusion leur permet toutefois de vivre comme vous et moi. Certains sont même parfois capables d’effets de précision très impressionnants et de jolis rendus « nez dans le guidon ».

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(Une voix lente, qui se parle à elle même… une sorte de vent coloré) « Je m’étais assoupi un instant, laissant mon esprit planer dans les espaces environnant mon corps – des collines arides au-dessus de la forêt des Trois Vents jusqu’à la petite pente qui vient caresser les berges de Grande Rivière, là où elle hésite encore entre deux mers - Soudain, un pressentiment me saisit et provoqua mon réveil. Les songes quittant progressivement la profondeur de mes chairs, je m’aperçus qu’une petite partie de mon ventre avait disparue. Tout du moins je ne la sentais plus respirer l’air à la surface, bien que j’aie toujours la sensation de sa présence. A sa place, un champ de blé m’enjambait, donnant à croire qu’en cet endroit de tout temps, la terre avait été immobile. Par ailleurs, alors que le soleil était à son lever je ne percevais qu’un très petit nombre de marcheurs. À n’en pas douter les deux faits étaient liés l’un à l’autre. Bien sur, vif et impétueux de nature, je mis rapidement en œuvre le reste de mon corps pour me reconstituer, arrachant les blonds épis usurpateurs de cet espace mien depuis des lustres et des lustres. »

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La nuit étirait ses bras sombres jusque dans les replis des rues, les vallées de jardins et mes errances de jeunesse. J'étais perdue sans espoir de renaître à la lumière, je ne trouvais que puits et ravins pour alterner ma route. Il suffit d'une lueur, d'une flamme aux allures vacillante pour qu'enfin mes yeux s'ouvrent.

mercredi 23 novembre 2011

726 : mardi 22 novembre 2011

L'enfant n'a rien dit, et moi je n'avais pas envie de parler. J'ai souvent peu envie de parler. L'enfant en moi était d'ailleurs suffisamment présent (autre part que dans mon souvenir) pour que je ne me sente aucune obligation d'assumer le rôle d'adulte qu'on attendait de moi. Mais je ne suis pas un enfant non plus. Et puis il n'y avait aucun jeu de langage à ma disposition. J'ai épuisé mon crédit par excès d'honnêteté. Et puis surtout, je n'ai rien à dire. Déchargé de l'obligation de dire. Détaché de l'empathique phatique. Très bien comme ça. Cela repose au fond. Au fond de l'être. On n'imagine pas... Aussi loin que je regarde en moi. Aussi loin que porte mon regard devrais-je plutôt dire. Un aussi loin limitatif, circonstanciel, à géométrie variable. Dans la pièce il y avait des livres, c'étaient des livres d'histoires, pas des livres techniques. C'est parce que les humains aiment les histoires. Les histoires ont un goût de revenez-y, mais les conteurs ont d'ordinaire la fin difficile, voire abrupte. L'enfant a éclaté de rire. Un rire très sonore. Un peu lourd, gras quelque part... Mais je ne lui en voulais aucunement. Moi je fais un petit bruit avec mon nez. Difficile à représenter par des lettres. Finalement il y eut la pluie, douce et régulière.


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La lumière changeante caresse encore un peu la vitre, tandis que la ville s'illumine doucement de la fin du jour.


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Une des naissances de Tamel, une de celles à laquelle il avait survécu, conduisait malgré tout à un gouffre sans lumière. Ni sa mère, ni aucune des personnes présentes au moment de l’accouchement n’y étaient pour rien, la cause était extérieure à la petite pièce où l’enfant était venu au monde. A l’instant même où la tête de Tamel sortait du ventre qui l’avait protégé et nourri pendant près de neuf mois, un oiseau noir passa devant la fenêtre et poussa un cri profond et aigu. Contrairement à la plupart des nouveaux nés, l’absence de réaction du bébé lorsqu’on passait la main devant ses yeux ne disparut jamais. Ce Tamel là, et tous ceux qui poussèrent sur sa branche eurent des pouvoirs plus grands encore que les autres, et notamment celui de les dissimuler à tous. Seul Archos, car il y avait bien sur quelqu’un de ce nom dans ce village des Hûles, seul Archos devina ce qui se cachait de regard derrière les yeux aveugles de Tamel, et, durant toute son enfance, il s’efforça d’aider celui-ci à apprivoiser ces talents.

mardi 22 novembre 2011

725 : lundi 21 novembre 2011

Les Feu-le-Feu ne feulent qu’à bon escient. On pourrait croire leurs feulements arbitraires, mais c’est mal les connaître. Soyez sûrs, lorsqu’ils feulent, que quelque part la mer avale le soleil, que quelqu’un vient de réaliser qu’il aurait mieux fait de se taire, qu’un livre moisit dans une cave oubliée ou qu’une femme aimable a été changée en serpillière.


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Sa femme est américaine, elle s'appelle Suzette. Tous les soirs, elle se roule des cigarettes avant de faire des galipettes sur un tapis bordeaux au gymnase du quartier. Elle jure comme un charretier et aurait aimé épouser un banquier. Suzette s'est dit qu'au final un avocat ce n'était pas mal, il en est fier et bombe du torse en racontant cette anecdote. Il aime son accent hésitant et qu'elle s'accroche à son bras en jupette et bustier pour aller virevolter au bal.

lundi 21 novembre 2011

724 : dimanche 20 novembre 2011

Les arbres saluaient le passage des humains. En leur tenue d’automne ils étaient aisément reconnaissables les uns des autres. Celui là tel un épouvantail, levant deux bras au ciel que prolongeaient de gigantesques mains, cet autre rond et débonnaire qui semblait attendre l’ouverture d’un bistrot, deux ou trois presque jumeaux mais en des attitudes différentes comme s’ils étaient des clichés d’un même personnage pris à quelques secondes d’intervalle. Dans les virages il était possible, la vitesse se réduisant un peu, de voir des détails plus fins de leur anatomie, une cicatrice, un reste de nid, parfois même une feuille restée accrochée par miracle à l’extrémité d’une branche.

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Tu m'as demandé si j'avais rêvé – je revois une lumière ascendante, entre des parois raides, un élan vers un soleil invisible, une aspiration à laquelle voulais céder, revois aussi ce moment où une petite porte sombre s'est ouverte en bas, ou j'ai deviné qu'une lumière secrète se cachait derrière, senti que cette ombre en était pétrie, où j'ai dévié ma montée rêveuse, plongé et franchi cette arche, vers un éden qui m'était réservé, claire prairie de délices où – par dessus la théière, je t'ai rappelé que je ne rêvais jamais.

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Une dernière vague déferle sur le jeune homme, puis l’océan s’apaise. Il resplendit dans les rayons du soleil. Le jeune homme court y plonger et quand il revient, sa statue s'est évanouie dans le sable. Il balaie la plage du regard. Elle a disparu, mais sa serviette est toujours étendue au pied des dunes. Bousculé par le vent, son maillot roule sur la plage. Il le ramasse et se dirige vers les collines de sable. La musique s'est tue. Pour chasser le silence, il enclenche à nouveau le lecteur de CD.

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Dans son assiette un velouté orange et crémeux, agrémenté de bâtonnets de potimarrons et d'éclats de châtaignes. Servanne plonge sa cuillère, goutte, et se souvient. Elle a six ans, dans la cuisine de sa grand-mère et l'orage gronde. Face à face, elles boivent en silence leur soupe du pauvre. Le bruit violent de la pluie, les éclats de tonnerre, la violence des éléments restent loin d'elles. Dans la cuisine, elles sont ensemble dans leur rituel du soir et rien ne saurit rompre ça. Lorsque Servanne rouvre les yeux, ses traits sont moins tirés. Elle puise dans sa soupe la force des souvenirs et des joies de l'enfance.

dimanche 20 novembre 2011

723 : samedi 19 novembre 2011

Quel spectacle affligeant que d’observer un Enfantard cherchant les siens dans la forêt humide, à travers les villes brumeuses, dans les étangs d’encre de son passé ! Depuis longtemps les oiseaux ont mangé les miettes de pain qu’il avait semées et les traces de pas sur son chemin ont laissé place à des bosquets de ronces. Et quant aux noms qu’il invoque, ils sonnent rarement juste.


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J’aimerais connaître ton pays, celui de tes errances, les sentiers parcourus de ta solitude, j’aimerais entendre les battements de ton cœur sous les arbres, capter ton regard courant dans les nuages, sentir ton corps vibrer face aux paysages. J’aimerais te savoir heureux, toi qui arpente inlassablement mille lieux sauvages, toi qui cherche des heures durant l’image à retenir. J’aimerais être source pour te désaltérer, lit d’herbes et de feuilles pour te délasser, lumière pour t’interpeller, brise pour te rafraîchir, couleur pour t’émerveiller. J’aimerais deviner les rêves que tu ne racontes pas, me glisser dans le silence de tes pensées, effleurer ton âme de poète. J’aimerais mettre en mots tes images, savoir saisir l’instant où le ravissement te prend. J’aimerais emprunter ta patience pour oublier le temps, voyager avec toi au bout de tes doigts, m’endormir bercée au rythme de tes pas.

samedi 19 novembre 2011

722 : vendredi 18 novembre 2011

Sans doute parce que trop romanesque, mais aussi parce que peu enclin aux épanchements de l’intime et toujours à mille lieues du moindre commencement d’intérêt pour « les choses du quotidien », Léon, qui, d’ailleurs, à chaque fois qu’il entendait cette expression, ne pouvait s’empêcher de se lancer dans une violente diatribe, occasion pour lui de réitérer son dégoût pour ce qu’il appelait une réification rampante doublée d’une dictature de la quotidienneté illustrée tant par la presse écrite régionale que par l’écriture diariste et l’inflation des blogs, garda sa vie durant le silence sur le fait d’adorer la dorade…


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Il met ses mains devant ses yeux, on dirait qu'elles ont maigri. Un goût amer envahit son palais. Un tremblement parcourt son corps. C'est trop tard. Il n'y aura pas de nouvelle année. Elle crie que chacun voit midi à sa porte et que celle de sa lucidité est carrément bouchée, qu'il faut aimer le risque, elle écarte les bras si brusquement qu'il la lâche. Une grande inspiration, il aurait envie de pleurer s'il n'était pas si sec. D'un bond sur le côté elle esquive, sort un pistolet qu'elle arme, court, le vise (l’existence parfois juste un fil, ça n'aurait jamais du lui arriver à lui). La grande coquille jaune au-dessus de la boutique grésille, s'éteint. L’homme fredonne : Alors serre tes yeux, dors mon bonhomme, je vais dire une prière au petit Jésus, pour qu’il vienne ici, pendant ton somme... C'est quoi, la soupe merdique qui sort de ta bouche ? Il se la boucle. Il retient son souffle pour disparaître dans l'encre de la purée de pois qui les entourent. La motarde tend l'oreille, à l'affût du moindre son qui indiquerait son emplacement. Statues de sel avalées par la nuit, sans rien distinguer de l'autre, ils restent. Elle trace une droite pure entre leurs deux silhouettes, la déflagration stridente qui déchiquette le linceul du silence.


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Un jour, elle a croisé dans la rue un trio de moines tibétains. Ils se sont retrouvés face à face : elle leur a souri. Ce qu’elle a lu sur leurs visages et dans leurs yeux l’a interpellée. Innocence ? Détachement ? Sérénité ? Amusement ? Compassion ? Amour ? Tout cela à la fois peut-être… L’un d’eux, le plus âgé, la dévisageait posément. Elle a soutenu son regard tout en se demandant ce qu’il cherchait en elle. Puis il a hoché la tête, baissé les yeux et s’est éloigné. Elle n’a pas osé le suivre pour lui parler. Elle ne sait toujours pas ce qu’il pensait. Les deux autres l’ont suivi sans un mot. Elle s’est demandé sur le coup comment elle pouvait, au milieu des bruits de la ville, entendre aussi bien leurs pas, le petit crissement caractéristique de leurs sandales ainsi que le frottement de leurs bras sur l’étoffe de leur robe. Elle les a suivis longtemps dans leur déplacement lent et gracieux. Elle regrette un peu de ne pas leur avoir parlé. Cela fait longtemps maintenant mais l’impression qu’elle en garde est toujours aussi présente : un moment hors du temps, à la fois léger et dense, et cette extraordinaire sensation de plénitude qu’elle ne parvient pas à expliquer.


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Vendredi, celui-là, Farigoule n'était pas descendu au marché. Là où il se gare d'habitude, il y avait un vide. Certains ont à peine tiqué. D'autres ont plaisanté/ certains ont craint.

vendredi 18 novembre 2011

721 : jeudi 17 novembre 2011

Sans les substances toxiques qu’elles absorbent en grande quantité, et qui seules leur permettent de tenir des propos à peu près cohérents, les Majorettes du désert ne seraient que ce qu’elles sont : des créatures inquiétantes et en constante métamorphose, des buveuses de sang chaud, des mythomanes palilaliques et des pyromanes pathétiques.

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Malgré les gelés de ces derniers jours, l’enfant espérait qu’en des demi-clairières – espaces suffisamment abrités par les hêtres, les chênes ou les sapins, mais bénéficiant tout de même d’une relative clarté l’après midi – il trouverait quelques uns de ces êtres malicieux capables d’apparaître en une nuit et dont la chair si goûteuse pouvait rendre une omelette inoubliable. Jusque là, il n’avait découvert que quelques grosses tâches noires, vestiges d’éphémères coprins. Le chemin qu’il empruntait courrait sur le flanc de cette petite colline qui avait pour nom Le Barret et Tamel avait parcouru la moitié de ce qui était praticable. Au-delà le chemin devenait sentier, puis se perdait dans les taillis de buis et de genévriers.

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C'est une simple lettre qui change tout, entre le pluriel et le singulier elle ne comprend pas comment elle a pu laisser passer cela, comment cette si simple erreur a pu se glisser entre ses doigts. Il s'agissait de son avenir, de ses espoirs... Ce soir il n'en reste rien à cause d'une lettre en trop, d'une adresse quasi parfaite mais inutile. Elle vide le fond de sa bouteille et va chercher l'oubli dans le brouillard des vapeurs et des sens.

jeudi 17 novembre 2011

720 : mercredi 16 novembre 2011

Ne sais si c'était rêve ou cauchemar. J'étais dans du neutre, un neutre chaud et confortable, j'étais en attente, me semblait, mais ne savais de quoi, quand dans cette indécision brune, chaude, comme un caramel au chocolat, une fenêtre s'est ouverte, raidissant ainsi un peu de ce rien en une paroi, et dans cette fenêtre, ou lucarne, des yeux, une bouche qui souriait, ou qui se relevait en un grand sourire carnassier – des yeux brillants d'une joie apparemment sincère, joie que la bouche rendait inquiétante, comme la décoloration jaunâtre des pommettes, l'angle aigu des sourcils aussi noirs que les lèvres, la blancheur verdâtre des joues, et cela était fixé sur moi à travers cette ouverture qui prenait une allure de guichet dans une porte de cellule. Je restais figée sous cette présence, me demandant si elle était bienveillante ou démoniaque. Et puis ça c'est effacé.

mercredi 16 novembre 2011

719 : mardi 15 novembre 2011

Après de longues minutes à compter les mouches (j'ai effleuré rapidement à intervalles réguliers quelques regards en un audacieux balayage), vers dix-sept heures trente je sors enfin du café. Je n’ai rien à apprendre ni à faire en cet endroit. En partant, le buraliste me jette d’ailleurs un regard soupçonneux et ne prend pas la peine de répondre à mon salut. Le ciel est bas et gris, comme mon front d’ailleurs. Je décide de pousser un peu vers la mer, sans grande conviction, mais il faut bien aller quelque part : certains promènent leur chien, d’autres font du jogging, d’autres encore voient des gens et/ou vont au théâtre. Non, s’arrêter, il ne le faut pas. Sous peine de perdre le sens présent et à venir de son existence. Inconcevable. Il faut des repères, toujours des repères. Un café. Tel banc (où…). Une ville, puis l’autre. Et ainsi de suite. Une personne. Cet endroit. Le tout noté avec précision pour ne rien en perdre et éventuellement régaler de futurs lecteurs pointilleux ou des historiens par exemple. Il commence à bruiner, je remonte le col de mon imperméable et me dirige d’un pas lent et mesuré vers l’amour présent de ma vie. Celle qui à ce jour ne m’a encore jamais trahi. La Jaguar Z-type 4.0. moteur V8 à injection centralisée – 4,7 litres au sang. Une ligne audacieuse et sexy qui conserve cependant un certain cachet, et aussi – je sais que ça vous paraîtra étrange – quelque chose en rapport avec la dignité… Très loin (à des années lumières même), de l’ostentation agressive des 4X4. Elle convient à mon personnage, et quand je pense à nous deux, je n’ai nulle difficulté à évoquer la notion de « relation fusionnelle ». En la rejoignant je croise une vieille dame qui agrippe violemment mon bras : je lis une sourde terreur dans son regard, ainsi qu’une certaine colère. Elle me regarde puis dépose un baiser un peu moustachu sur mon cou. Ne sachant que faire, je la remercie et lui souhaite une bonne journée avant de reprendre mon chemin.

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Les Liminaires sont de fines lames et les Laminaires de fins limiers. Toutes qualités au demeurant reconnues, ils s’abhorrent depuis la nuit des temps et n’ont pas attendu d’être sur un bateau pour se pincer jusqu’au sang. Quand ensemble ils ont plus d’un seul jour séjourné, il faut avec ce qui reste des uns ou des autres, composer quelques vers pleins de sang. Quand un Liminaire s’éprend d’une Laminaire, s’ébouriffe un roman au long cours, qui ne finit pas mieux pourtant, que les quelques vers d’avant.

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Lorsque Franck avait rangé les sacs de Sophie, il ne s'imaginait pas tomber sur autant de stylos, de post-it et de minuscules boulettes de papier de bonbons à la menthe. Il connaissait son geste machinal qui consistait à suçoter machinalement ses pastilles tout en frottant l'emballage entre ses pouces, chiffonnant le tout jusqu'à ces petites boules parfaites. Elle vidait régulièrement ses poches, en oubliait ça et là, et découvrir ces vestiges tout au fond de replis inattendus l'avait ému. Il avait trouvé une multitude de petits rien attachants, un autocollant de Hello Kitty, un rouge à lèvre éclatant encore dans son emballage, des tickets de bus usagés et la paire de boucle d'oreille qu'elle cherchait depuis des semaines. Malgré toutes ces trouvailles, Franck restait en détresse sur l'unique réponse qu'il cherchait, à savoir pourquoi elle ne l'aimait plus. Sophie n'avait rien dit, mais ses gestes avortés, la disparition d'une sollicitude ancienne et son regard éteint faisaient naître une angoisse chez Franck. Il ne comprenait pas. Il l'aimait, lui, alors pourquoi elle cesserait-elle? Ce que Franck n'avait pas prévu, ce fut la réaction de Sophie. Elle ne dit rien, ne protesta pas contre sa main mise sur son désordre. Simplement, ses sacs restèrent dans un placard qu'elle cessa d'ouvrir, elle ne s'en servit plus, et son regard s'éveilla d'une tristesse butée présageant d'une tempête dont ils ne se remettraient pas.

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Ainsi, un matin, hommes, femmes, vieillards et enfants se dirigèrent à pas lent, tout émus, parlant peu, vers ce bleu qui renvoyait le ciel en lui donnant un supplément de clarté. Parvenus au bord de l’eau, tous attendirent que le silence permette d’entendre le murmure de l’onde. Alors, pendant plus d’une heure, ils écoutèrent, sans comprendre, la musique aux notes si liées entre elles que chacune contient toutes les autres. Puis Tamel traduisit, simultanément à chacun dans son propre langage, ce que la vague avait dit. Pour Damouce cela donna à peu près ceci : « Petite fille au regard limpide et au paumes si douces, nous sommes venus enduire la peau de ton corps d’une fine pellicule de lumière qui te préservera de la poussière du temps. Viens te baigner en nous ! Le présent que tu nous feras de ta caresse vaut mille fois celui que nous t’offrons. »

mardi 15 novembre 2011

718 : lundi 14 novembre 2011

Une barrière à mon rêve. Un cercle de planches qui m'entoure - j'ai buté sur le mot planches qui ne convient pas. Je reste, un moment, bataillant avec des mots en tourbillon fugitif sans trouver ce qui pourrait désigner cela - je pense latte mais cela se masque sous les traits blancs de mon plafond, je dis pal mais ce n'est pas ça - c'est haut, c'est rectangulaire, c'est cannelé comme un pilastre très ouvragé, cela semble être du bois, mais ma main ne me transmet pas de sensation, c'est doré, mais d'une dorure très ancienne, brunie qui pourtant brillent, doucement, comme d'un souvenir de lueur. Et dans les intervalles entre ces planches, lattes ou pals, il y a des vases qui flottent, au niveau de mon buste, dans un vide noir. De drôles de vases, en gouttes d'eau, en balustres, en flûtes, du moins ils ont dû avoir ces formes, mais leurs flancs, précieux comme du marbre, ou des pierres, comme une marqueterie florentine, se déforment sans arrêt, se tendent, se gonflent en joue malade, se rétractent, pendant que les trois fleurs métalliques plantées dans leurs cols restent immuable. J'essaie de passer une main vers le plus beau, celui qui est devant moi, pour l'entourer, le stabiliser, mais elle ne rencontre que du vide.

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Un jour le village des Hules fut suffisamment près de la mer pour qu’on puisse l’apercevoir depuis les fenêtres des maisons les plus hautes. Tous eurent alors le désir d’aller à sa rencontre. Si la tradition évoquait bien ce lac immense dont on ne peut voir le visage en son entier, aucun d'entre eux n’était suffisamment âgé pour avoir vécu un tel événement. Le précédent passage du village à proximité des lèvres de l’eau salée datait de plus de trois vies d’ancêtre et les quelques images peintes – d’anciennes reliques – où l’on pouvait deviner l’étendue liquide adossée à l’horizon, ne signifiait plus grand chose depuis bien longtemps.

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Je n'aurai jamais eu l'idée d'embaucher Marguaret si mon cousin ne me l'avait recommandée. Elle servait des tables à l'occasion dans son "arrière cuisine" qui servait de tripot improvisé à la racaille du coin, et elle savait tenir les plus aventureux à distance tout en allégeant de temps à autre leurs portefeuilles. Quoique fine et plutôt petite, elle n'avait pas son pareil pour lancer un arrière droit là où il fallait si la nécessité se présentait. J'avais besoin d'être épaulée par une partenaire qui saurait tirer son épingle du jeu sans attirer les soupçons et mon pari fût réussi. Personne, dans les casinos que nous dévalisâmes, ne songea à nous lorsque l'étendue de nos méfaits fut découverte. Filles de mafieux, nous savions qu'on ne s'improvisait pas malfrat, mais qu'avec un peu d'astuce et beaucoup de bon sens nous pourrions aller loin. C'est pourquoi je fus désolée le jour où je du me résoudre à lui faire porter le chapeau pour sauver ma peau. J’espérais alors sincèrement qu'elle ne s'en tirerait pas afin de m'épargner sa vengeance, et que je trouverais une autre comparse aussi douée qu'elle. Ce soir-là, alors que j'étais à deux doigts de basculer du balcon du sixième étage, je dus convenir qu'aucun de mes souhaits ne s'était réalisé.

lundi 14 novembre 2011

717 : dimanche 13 novembre 2011

Les Enluminés vivent en bouteille. Certains proverbes les amusent, d’autres moins. Ils se verraient bien génies en lampes mais ils ne sont des génies en rien et ils s’ennuient ferme. Derrière leur hublot, un monde vert et à peu près silencieux les regarde où ils se dégourdiraient bien les jambes. Au chapitre de l’humeur, les Enluminés se répartissent peu ou prou en trois grandes catégories : les réfractaires, les diffractaires et les consignés.

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L’océan bondit sur la plage et ruisselle sur la statue. Les vagues se succèdent, tandis que le jeune homme caresse la jeune femme. Il fait glisser sa langue sur son cou, effleure ses lèvres entrouvertes, embrasse ses épaules, prend dans sa bouche les pointes de ses seins. Etreignant ses fesses, il la pénètre, à califourchon sur le dôme de sable. Ses doigts rôdent sur son corps et l’océan s’abat sur le sable, l’eau tiède inonde la plage humide. Sans ouvrir les yeux, sans déplacer ses membres, la jeune femme nue se laisse prendre comme une statue.

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Ce jour là, personne ne vit Tamel. Et nul ne songea à son absence. Tout se passait au village des Hûles, comme si le petit enfant, le jeune garçon, l'adolescent, l'homme d'âge mur, le vieillard ou le mourant qu'il avait été ou serait un jour, s'était retiré des mémoires tel un rève lorsque la conscience s'ébroue au sortir de la nuit. Et de fait, Tamel avait rejoint ce jour là ce lieu, si intime et sincère qu'il atteint tout point de l'univers. Rien d'étonnant à ce que sa présence uniformément répartie se retrouve alors insignifiante pour tous. Hello petite étoile je te regarde et ne vois plus que toi et ne vois plus rien de toi et ne vois plus que moi... nous-moi.

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Aujourd'hui rien ne va. Sophie tire des chemisiers de sa penderie, les délaisse, hésite devant une robe et se dit qu'il fera trop froid, qu'elle serait trop habillée, bref ça ne va pas, tel pantalon a rétréci au lavage et tel autre a sauté un bouton, les couleurs de ses vestes lui semblent trop timide ou criardes, elle ne sait plus. S'habiller devrait être simple, un jean, un haut en coton et un pull, du pastel en éventail de gris et de rose et des chaussures confortables. Demain Sophie doit affronter la meute, seule face à la foule, demain elle doit convaincre, séduire sans en faire trop, être percutante et rassurante, finalement, enfin, elle se décide pour le premier ensemble qu'elle avait sorti de son placard, regarde la tornade de sa chambre et s'allonge un instant sur son lit : elle est déjà fatiguée...

dimanche 13 novembre 2011

716 : samedi 12 novembre 2011

Son verre est plein. Elle le fait tourner et regarde en face cet espèce de gros con au rire gras qui pense la flatter avec ses compliments à deux balles. Ses gestes maladroits sont trop sûrs de lui, en ses yeux brillent une lueur d’égoïsme infini d'où naissent les pires horreurs. Un autre jour, elle aurait passé sur ses propres impressions. Elle aurait sourit et incliné de la tête. Elle aurait basculé son corps, ensuite, et écarté les jambes. Aujourd'hui, elle ne peut pas. Elle prétexte une mauvaise excuse et se lève, s'oriente vers le boudoir des femmes, bifurque, et se retrouve dehors à héler un taxi. Ce soir elle a envie d'un bain et de la solitude des autres, et surtout, d’aucunes mains d'une impudeur infinie parcourant son être.

samedi 12 novembre 2011

715 : vendredi 11 novembre 2011

Qu’il en faut du temps, pour qu’un Voualatou daigne enfin lever les yeux vers vous ! Menacez-le de la mort la plus abominable, couvrez d’ignominies sa femme et ses enfants, maudissez sa descendance jusqu’au dernier avatar, plongez dans la fange le nom de ses ancêtres ou bien fondez d’amour à ses pieds en le flattant par tout ce dont les mots sont capables, répétez l’opération de votre choix durant plusieurs années et peut-être, j’ai bien dit peut-être, finira-t-il par redresser péniblement son font lourd et plissé dans votre direction. Mais ce ne sera jamais alors que pour émettre un soupir las avant de retomber dans l’écrasement le plus total.


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Il n'avait jamais trop bien supporté l'alcool et cette bouteille de bière de 970 cm3 comme l'indiquait l'étiquette, même partagée, lui avait tourné la tête sous le soleil. Après trois mois de voyage, il se laissait enfin aller dans le petit village argentin de Purmamarca. Il se trouvait aux pieds de la Montagne aux Sept Couleurs après tout : que pouvait-il lui arriver dans ce décor de conte de fées ? Il écoutait hébété le chant étrange d'un oiseau inconnu et invisible, perché pourtant au-dessus de sa tête dans un algorrobo negro, cet arbre dont les fleurs ressemblent à celles du mimosa. Chaque son produit par l'animal était différent. Il ne s'agissait ni de cri ni de mélodie, mais d'un enchaînement original et heureux de pépiements et de stridulations. Armand ne s'y connaissait pas du tout en ornithologie. Il aurait dit instinctivement un rossignol. Etait-ce plausible en Argentine ? S'il avait eu son Netbook et une bonne connexion Wi-Fi, il aurait vérifié sur le champ, là, sur la place principale où il se trouvait attablé. Il n'avait pourtant jamais observé de rossignol. A quoi l'oiseau pouvait-il ressembler ? Armand ignorait si son plumage était uni ou si au contraire, la tête, le corps et la queue du passereau se différenciaient. Quelles couleurs pouvait-il porter ? Cette rêverie l'accompagna jusqu'en toute fin d'après-midi, lorsque l'air se rafraîchit et qu'il commença à frissonner. C'est alors seulement qu'il remarqua l'absence de sa silencieuse compagne avec qui il avait partagé sa boisson. Il se dressa sur ses jambes de coton, essayant d'embrasser d'un même regard toute la place et ne sachant où chercher. Le barman lui tendit alors une enveloppe sur laquelle il lut son prénom. "De parte de la chica" murmura-t-il. Armand ouvrit très lentement l'enveloppe, concentré sur le papier qui se déchirait difficilement. Elle était vide.

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Soudain Léon me regarda d’un air glacé et s’écria avec un tremblement dans la voix : « Du chien naquit la niche ! »


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Jack la regarde, ravi. Sophie entre lentement dans leur bureau et tente de masquer par un sourire le sentiment horrifié qui grandit en elle. Il a tout déplacé, rangé, classé. Ses tiroirs sont réorganisés, ses chaussettes sont par paires, il a même vidé ses nombreux sacs à mains pour les suspendre dans le dressing. Sur la table basse, un petit tas de trésors fripés l'attendent, ce sont les reliquats qu'il n'a osé jeter sans son accord. Jack est si fier. Il s'est donné du mal pour elle. Incapable d'émettre un mot, Sophie s'assoit sur le canapé pour absorber le choc ainsi que les remontées d'acides provenant de son estomac.


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Vas-y. Vas-y maintenant répète Paul. La prochaine chanson, c'est la sienne, pour une fois qu'il a réussi à en pondre une qui sonne, qui balance, qui décolle. Le bassiste est un soutien total : pas une note de ses cordes, pas une fibre de son corps, pas une rythmique balancée qui ne puisse être le soubassement de la transe. Dans leur groupe le chanteur en compose beaucoup, comme le guitariste, et lui, tout le monde sait qu'il n'est pas naturellement doué en musique. Il est excellent pour prendre les poses , mais un nain pour les accords, juste bon à les plaquer dans le tempo en se concentrant. Et un soir, les notes ont chanté dans sa tête, les mots ont déferlé aussi, tout est sorti ensemble, notes et mots. Sur un bout de nappe en papier, avec un stylo à bille, il s'est lancé. Après la prison, ça avait débordé, la chanson était sortie, nette, tranchante, évidente. Il l'a déjà chanté à leurs précédents concerts, il était déjà passé par ce tunnel où sa voix s'ébréchait systématiquement la fin du refrain. Les autres toléraient qu'arrivé à la moitié du concert il la chante. Ils supportaient, ni partisans, ni hostiles. Le chanteur vient à sa place et lui indiquant son micro. Vas-y, à ton tour. Il avance pile au milieu de la scène, gorge rêche, il se cale. Le bassiste est un soutien total: pas une note de ses cordes, pas une fibre de son corps, pas une rythmique qui ne puisse balancer sa transe. C'est ses sons qu'il entonne devant les silhouettes en contre-jour qui disparaissent dans un nuage de fumée. S'acharnant comme il peut sur la basse, le chanteur renforce la mélodie. L'estrade résonne de ce qui est asséné sur la grosse caisse par le batteur plus déchainé que jamais. Le désordre qui règne dans la salle et la sono pourrie lui mettent les nerfs. Il inspire après les deux premières phrases, de toute façon cette chanson est en rodage, ça l'étonnerait qu'il y ait des amateurs de leur style ici, c'est pas un public de chevelus et de barbus qui apprécient leur musique, ils en sont encore aux Stones ces arriérés de français, encore moins un public qui déferle, s'écrase en contre-bas, puis recule dans des mouvements aussi convulsifs qu'imprévisibles. Dans le micro, il crache des mots pour s'en débarrasser, vite fait, puis retrouver sa place de poseur dans le coin droit. Il n'a pas l'assurance du chanteur, capable de tout pour captiver. Ça n'est que sa première chanson, des tarés de flics lui ont sauté dessus. Il testait la carabine du batteur sur des pigeons pouilleux...Il a quand même fait un carton sur un de ces rats volants, avant d'être choppé direction le poste de police. Le pigeon est tombé comme une pierre, il a bondit, sauté haut. Il s'en souvient dans l'instant. Le chanteur aussi est un soutien total : pas une vibration de ses cordes vocales, pas une fibre de son corps, pas un rythme scandé qui ne puisse être racine d'un envol.


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1. Farigoule est • point d'écoute • cahute • station. Cabane de chasseurs. Attente, inquiète, dans la brume, fusil à la main, au passage de la harde ; plus occupé au bruit des gouttes, au moiré des rosées. Fidèle, il accompagne, & ramène peu. Il est GPS. Guetteur, prospecteur, sonneur. Il est relais, ou balise. Il est signal éteint, feu de fumée sans feu. Foulard enroulé autour du buis au genévrier. Il est croix peinte sur caillou. Il est croix peinte. Farigoule Brassard. Point. •. 2. Farigoule est inventaire, liste, listing, tableau de fréquences, test de bande passante. Il est mire & alignements des têtes. Il est protocole & coche, feuille d'émargement & signature. Il est dedans & dehors / Échantillons, spécimens, prototype du troisième, tiers exclu & inclus, truand, entre la belle et la bête, & : tir. 3. Fuseau de moindre impact (FMI), il est • amplitude • longe • zonage • dition • enveloppe sensible / Couche, sous-couche • raster. Tracé au fusain sur la carte / Il est film / soubassement / enterrement de câbles, oléoduc et son périmètre de protection. La théorie des poutres montre qu'en flexion, le tuyau a un rendement inférieur à celui d'un conduit équivalent de section rectangulaire. Il est étirement et élongation, il est moins immobile qu'une colonie de vers de vase. 4. Il est réservoir, conteneur, div • il est autoportée solitude, encapsulée sentence, embeded with Samantha. Dux, autoproclamé, monarque, il est déjà en toi, tout à son frichti, il est en toi, y occupe, y habite, y fait ses petits, et les y élève. Comme bactérie ou douve du foie, il passe inaperçu, jusqu'au point sensible. Ténia, il est mille têtes possibles, dormant, enkysté pour l'hiver. Mais il se laisse oublier, centripète, comme un organe. Il se fond dans le paysage. Il est paysage. Doué de mimétisme, il parle tous les accents / Il désenvoûte les langues. 5. Il est aussi ombilic, escargot, colimaçon • zébrine zébrant ou bulime bullant, zonite zonant, grave • vortex, tourbillon, vertige / le poète Borne a dit de lui : Acceptez les ans, la spirale des saisons, le vertige des plantes qui désespèrent, reprennent espoir et vont au feu / torsade, spirale • hélice qui t'emporte, qui t'emporte, qui t'emporte, qui t'emporte, qui t'emporte. Vis (tour de) qui t'emporte. QUI t'emporte. qui T'emporte. qui t'EMPORTE. Qui t'emporte. Maillot. Loche. Soucoupe. Troque. Renverse, échange, intervertit. Tu es pris. Pris.