samedi 22 octobre 2011

695 : vendredi 21 octobre 2011

Quand un Pichoul avale un autre Pichoul, il sait qu’il n’en a plus pour longtemps. Un Pichoul va bientôt l’avaler. C’est ce qui fait la différence entre un projet de société constructif et une bonne pichoulade.

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Lorsqu’ils eurent terminé l’inventaire des biens du défunt Léon, ses héritiers ne dissimulèrent pas leur soulagement : leur parent n’avait laissé ni polichinelle ni manuscrit dans ses tiroirs.


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Un cri, suivit d’un second identique traversèrent la clairière où se trouvait le village. L’instant d’après presque tous les Hules, hommes, femmes, enfants et vénérables, se tenaient devant les maisons, sur le pas des portes ou dans la rue et regardaient le ciel. Un gigantesque corbeau y dessinait des courbes irrégulières jouant de l’étendue et des profondeurs, parfois sans aucun mouvement de ses ailes, d’autres fois en accélérant son vol de battements rapides et vigoureux. De temps à autres, après un piqué particulièrement appuyé, son corps couvrait d’ombre la quasi totalité du village.


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Farigoule Bastard est assis à la table de la Vieille à présent. C'est la première fois, depuis. Il a franchi le col de l'Homme Mort, en lui même l'effort ç'a été gravir aussi. Et sur le champ, c'est l'écheveau des chantages qu'on déroule. Qu'on pose en travers comme un chevalet et allez on envoie. Tu les as retrouvées ? elle commence. Non, j'ai parcouru tout le Dévers pour rien. Ou elles se sont bouffées, soit précipitées dans un biau, soit planquées dans un barte. Ou le loup. Le silence de la Vieille est un incendie, c'est-à-dire une catastrophe. Sur l'Albe, il y a une chevrette robuste, presque sauvage. J'entends bien l'intégrer au troupeau. L'an dernier elle est descendue d'estive avec nous. En retrait, en arrière, méfiante. Elle a passé les premières nuits dans l'enclos, mais n'a pas voulu de la bergerie. Cette année je l'ai vue guetter de loin, sur des rocailles. Il faudrait qu'elle se fasse saillir , mais le Rove est au tablier. Si en plus le loup. On n'en sait rien, il reprend, du côté de la vallée, vers Eyzahut, ils ont parlé, un veau tranché en deux. Plus près, sur le Tuègne, seize précipitées. Dans les deux cas, deux ou trois en cause, mais personne ne voit rien. Moi ici, je n'entends rien de dire. Personne ne monte plus jamais et toi : ça fait au moins vingt mois que tu n'as pas passé la porte. Je me suis fermée de silence. Je suis là, étanche, étrangée. De répondre : Les derniers mois n'ont pas été faciles, je te garantis. Je ne suis pas aux bavardages. Tu connais la terra lena, sur lesquelles rien ne pousse ? Je suis sorti de l'hiver comme ça, siliceux, stérile. Après, je ne renie pas, ni le passé ni les histoires, ni les sacrifices qu'à nos égards on a échafaudés. Mais il faudra le temps, tu parles d'une saison, tu vois une chaleur, c'est cette fleur là qu'il me faut recoudre, ce surjet là me désigne le jour. Je ne te suis pas Elle répond, tu parles trop sombre ou trop bien. Je ne te demande pas des explications, ou des dessins ou des histoires. Je veux que tu viennes, je te veux présent, un mur à l'ombre duquel je puisse me tenir. Alors tes histoires, tes dessins, tu peux les garder. Si tu viens pour ne pas venir. Si tu ne viens pas. Reste là-bas, reste dans ton cerne dans ton puits dans l'ombilic ton ombilic. Ce qu'on a vu on l'a trahi oui, ce qu'on a porté on l'a laissé tombé, ce qu'on a tenu on l'a lâché, maintenant laisse-moi sécher en paix, laisse-moi au soleil, avec le temps c'est comme un cordon coupé, ça se rabougrit, puis ça disparaît. Quant à Farigoule, aussi : après plus de mots que jusque là jamais, c'est la débandade. C'est comme un drapeau qui à force de vent s'effiloche.


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( ...un restaurant pakistanais entièrement muré. Sous la verrière du passage, des murs de bétons affleurent derrière les vitrines, un grand graffiti de tête de mort décore une palissade crade, le délabrement s’insinue entre les vitres scotchées, les carreaux ébréchés, les panneaux annonçant les ventes. Des joueurs de backgammon tournent lentement leurs visages éteints dans la direction de Noémie Mongin, l’un plisse légèrement les paupières avant qu’ils ne reprennent ensemble leurs poses momifiées. Un coup de vent s’engouffre en catimini. Le bruit de ses bottes résonne en écho net, la femme reconnait à peine sa silhouette épaisse dans une vitre poussiéreuse, depuis hier ses cheveux mi-long raccourcis en carré, un nouveau épais manteau. La vitrine d’un restaurant indien reste allumée, les tables vides recouvertes de nappes roses sont prêtes pour le second service. Elle se rapproche d’un haut miroir piqueté de minuscules taches, elle s'observe attentivement dans la lumière laiteuse, se trouve un peu pâle, les traits légèrement flous. Un air d'affamée. Orné de grandes antennes, un insecte marron déboule d’une des brèches du mur et avance sur son reflet. Quand il passe sur le dessin de sa bouche, elle ne peut retenir une grimace. Une pancarte de guingois sur un mur de briques de béton, des mots rouge vif tracés sur un fond jaune citron attention réfection en cours. Juste à côté d’une porte entrouverte qui laisse passer une odeur de lait de coco et de cardamome. Dans un froissement métallique, un corbeau atterrit à l’autre bout du passage, replie ses ailes et se met à picorer entre les dalles. De ce côté, personne, juste ce petit parfum qui papillonne jusque dans ses narines, douceur portée par un courant d'air et une porte qui oscille, l’odeur qui s’épaissit, Noémie Mongin tend la main, un tremblement d’air vif pousse la porte à sa place. Elle grimpe l’escalier brinquebalant jusqu’au premier étage jusqu'à une boutique. Deux personnes, cheveux blancs, attendent au milieu d’étagères à bocaux poussiéreux. De toutes les tailles, remplis d’insectes aux carapaces sombres. Derrière un comptoir, une obèse, aux traits évoquant vaguement un batracien, lit attentivement une feuille. Personne ne regarde l'arrivante, cependant elle ressent le poids d’un examen minutieux de la tête au pied. Ce ne sont pas des yeux qu’ils ont dans le dos mais des antennes. La vendeuse fait signe d'avancer, un grand sourire jovial se déploie sur ses bajoues de grenouille. Après avoir farfouillé dans un tiroir, elle extirpe un papier mauve plié en quatre qu'elle tend à Noémie. La femme saisit la feuille du bout des doigts, descend les marches grinçantes en soupirant à plusieurs reprises, longe le mur décati sous la verrière jusqu'à déboucher sur...)