samedi 1 octobre 2011

675 : vendredi 30 septembre 2011

[Te nommer] à cet instant, à cet instant précis, est pour moi d’une gravité, d’une difficulté extrêmes. Au point que c’en est impossible. Tu m’as souvent fait remarquer combien parler, pour moi, relevait d’un effort considérable, et que le faire pourtant, le faire malgré tout, pourrait simplifier notre relation. Je sais à peine parler. Je m’en sens moins capable aujourd’hui. Je m’en sens encore moins habile que je n’y suis pas autorisé. Je ne suis pas à la hauteur de ça. Parce que [c'est faire briller], à cet instant, à cet instant précis, des éclats trop douloureux. Je me tiens en défense, sur la margelle d’un puits, sur l’ourlet. Il faudrait que nous réglions notre rapport aux autres sur la circonférence d’une casserole… tu sais, quand on verse l’eau bouillante, ce replat ce coupant qui fend l’eau et l’empêche de venir lécher le récipient. Nous sommes trop conciliants — nous laissons de nous des miettes partout. Nous nous effritons. Bien que seul ici ce soir, je ressens [la présence d'un] souffle, d’un murmure. Tu pourrais dire que c’est le ronron du frigo ! Ou du chat, si j’en avais un. Ou du vent brisé par les branchages à la frondaison, hésitant obstiné, lui non plus sans parvenir à complètement se détacher. Mais ce n’est pas seulement ça. Pas seulement. J’entends passer un moteur, un diésel, je crois encore que c’est toi, mais non. Plus. Jamais. C’est comme un… une bouche bée… non pas une absence ou un manque, plutôt comme un renfoncement d’[être], un secteur dans l’espace qui serait… embouti… je ne sais comment dire… un plus-que-vide qui désigne trop. Je ne sais pas comment dire. Un sanglot peut-être. Ou un hoquet. C’est comme une distorsion, un élastique sur un orifice… comme des lèvres… comme un sourire. Ce cri étouffé embaume toute la pièce où il se trouve, il désigne le possible d’un à venir non accompli, un futur [antérieur], par exemple. Il désigne une portion de l’histoire qui échappe à celui même qui la vit. Tu es tout entière tournée vers ce domaine. Il ne faut pas que je pense à toi. Il ne faut pas que je pense à la manière dont tu occupes le lit. Il ne faut pas que je pense au galbe de ta poitrine que trahit la tunique. A la manière dont ton corps sous la main respire, se gonfle. Il ne faut, Il ne faut pas que je pense à ton sexe. Je ne dois pas voir/savoir. Cela ne ferait que permettre, ou donner cours [à ta disparition.] Il ne faut pas que je pense à toi, parce que ce serait un affront à tout le silence qui nous a séparés. C’est une provocation, pour la douleur qui nous a traversés. C’est un gage bon à saper les fondations de notre amitié, de notre fidélité, de notre intimité. Toute mon attention se focalise ; voilà que tout mon corps et mon âme, en même temps que leur crasse qui est faite de mots, disparaît tout à coup en tourbillonnant vers ce point, comme vers un siphon, qui avidement aspire.