samedi 10 septembre 2011

663 : vendredi 9 septembre 2011

Le Chanteron vous aborde toujours un sourire engageant aux lèvres. Dans son regard orbital et onctueux vous vous sentez unique, désirable et fort à propos parmi les hommes. D’un rien – un geste discret sur l’épaule qui hésite entre la tape et la caresse, un clin d’œil scintillant entre deux portes - il vous allège des crasses du passé et de la morosité des jours. De son simple passage émane un éther subtil qui diffuse promesses et promotions. Et que dire quand il parle ! D’ailleurs, vous ne vous doutiez pas, avant de l’avoir croisé, avant de l’avoir entendu, à quel point votre existence était justifiée. A quel point vous aviez le droit d’être ce que vous êtes. Et puis sa silhouette diaphane s’estompe dans l’horizon. Pendant que vous le regardez disparaître, vos paroles s’alourdissent, se font gauches. Vous êtes à nouveau le petit prisonnier qui n’a rien choisi. Votre boîte à lettres dégueule de sollicitations désobligeantes, de factures qui vous minent. La femme qui partage votre vie attend simplement que vous assumiez votre quota de tâches ménagères et d’attributions paternelles. Le vieux fond de morve est revenu. Il vous berce. Et vous n’avez pas grand-chose à dire de cette drôle de migraine qui ne vous quitte plus. Le Chanteron, lui, est déjà loin, embaumant d’autres chemins.

------------------

1. Farigoule Bastard est simulacre / & pastiche / Les autres doutent de le croiser / Il porte une fausse moustache / Postiche / On dit qu’il se résigne à sa cabane. Il est renfrogné & ridicule / Il se terre comme un lièvre / Il est nu comme un ver / Il est constamment terrorisé / On le voit dormir dans un camion, trimballant des plaques de tôle ondulée, des drains multicolores de plastique / On l’entend qui ahane comme un bœuf, qui chuinte comme un nourrisson / On le voir aux zincs décatis miser de la rouille sur d’incertains paris / On le voit faire du stop à deux endroits en même temps / On le voit guetter de porte en porte / Il se glisse parfois dans les appartements et surprend les ébats secrets de Kévin et Kelly / On le voit assis sur les marches du temple, à se caresser la barbe, une bouteille serrée dans un sac de papier kraft / On le dénonce aux bonnes mœurs / Il apparaît, mais pas de la même manière ; il passe de visage en visage, il se fond dans la masse, il se confond. Il mime jusqu’aux marbrures et engelures de la nuit. / Il est plus souvent nommé qu’il ne parle et, si elles existaient, ses oreilles préviendrait les pompiers ; son corps est avertissement de grand malheur / Il est Ankou, oiseau de mauvais augure / On se détourne de lui / On lui jette des sorts fétides / Il est impuissant / Il collectionne les pierres / Il harnache de vieilles rosses, et leur soutire de l’avoine / Il est sans foi ni loi / Il a grandi avachi dans la courbure de ses paupières / Il est self-made man, self-made Bastard. 2. Farigoule Bastard est masque romain / un ancêtre. Masque tombal, on le tient dans un meuble du hall d’entrée / Il est le Vieux dont on garde en souvenir le petit ombilic, par superstition / Il est masque de théâtre, jour et nuit, lune-soleil, son empressement à être évident est consternant / Il est bruit et fureur, colère, tremblement / Il est geste brusque et morbus comitalis / Il est bave, pendant de langue, et la rage / Il croque des coquilles vides & suce les pattes des crustacés / Il est extravagance / Il accumule les heures, puis les mélange et les distribue au hasard / C’est une machine à perdre / Il est désorientation, boussole brisée en tombant sur un os / Alors il est passé dedans / Il évolue six pieds sous terre / Ses moustaches sont roussies / Il marche au fond de l’enfer. Il a trouvé une voie, personne ne peut dire / personne ne peut dire, pour revenir avec lui, ce qu’il y fait, ni pourquoi il se plaît à y séjourner. Quand il nous échoie, il ne rapporte rien, mauvais pêcheur — ou pécheur trop concerné / Il dévore le tribut de la mer, il engloutit son content d’âmes en peine / Il est vessie & lanterne. 3. Farigoule Bastard est un ours / torve habitant du dehors, du froid, de l’obscur / Il s’entortille dans la chevelure du lierre et se roule sous les feuilles jusqu’à la saison / Il ne paye aucun écot / Il germe / Il sème / Il insémine / Il se coule dans les vignes, écrase le mout le marc pieds nus / Il boit comme un trou et se dandine en gueulant sur le boulevard / Les fenêtres claquent ou ce sont ses dents / Il fout le feu aux moissons / Il se couvre de fétus et disloque les gerbes et les ballots / C’est un feu follet, il faut voir les razzias sur le champ / Il se laisse pousser la barbe / Il veille aux toisons / Il hiberne sous le lit à peine nubile / Il éclate en sanglot, à chaque lune gibbeuse, dans la tiédeur de leur laine / Il éructe larmes aux yeux / Il porte un lourd gourdin en bandoulière, et s’en sert pour assommer les fâcheux / Il chie à même le sol, voire au perron des habituels / Il patiente comme le serpent et soudain déboule, se dresse bifide, une couronne de lauriers sur la tête, général vainqueur, en chorégie de pacotille, braquemard tendu à éclater sous la toge, en goguette veineuse, vengeur, pour un triomphe de pétales nouveaux, de confettis de corps, de gouttes de sperme. Sa gibecière est cornemuse / Il souffle dans les urnes / Dans le bourdon des vielles et les éclats de crécelles, il se branle à l’unisson.