samedi 13 août 2011

636 : vendredi 12 août 2011

C'est l'histoire d'Atchoum, le nain à la goutte au nez en permanence. Ce qui le chagrine pour besogner Blanche Neige, (mardi c'est son jour). Lassé et mollasson, il monte l'escalier à reculons quand un pollen de bleuet effleure sa narine droite, (on est au printemps), un éternuement tellurique le propulse par la fenêtre laissée ouverte par la princesse qui ne fait plus le ménage. Traversée des airs, chute libre, tchack ! pile sur le dos d'un vautour envoyé en repérage par la marâtre. Amortissant en biais le poids plume du glaireux, l'oiseau dégringole, puis s'agrippe à un courant d'air ascendant qui remonte jusqu'au donjon. Pause syndicale, taillage de bavette et picorage de vers défraichis. Le vautour gémit sur ses conditions de travail, l'humidité des vieilles pierres conjuguée à de brusques flambées de l'âtre d'une cheminée géante lui donnent de l'arthrite. Ses yeux mordorés sont magnifiques. Tout d'un coup une voix caverneuse, impérative, l'appelle. Atchoum fait signe de prendre la tangente, le vautour étend ses ailes, ils s'enfuient dans une odeur de souffre, poursuivis par des flammes qui les rattrapent jusqu'à bruler leurs poumons. Un dragon les prend en chasse et d'un battement d'aile les colle, son haleine fétide va les aspirer...Grondement de tonnerre déchire le ciel, nouvel éternuement du nain qui le fait partir en vrille désaxée. Petit boulet de canon, il crève l'oeil rougeoyant du dragon. Celui-ci perd l'équilibre jusqu'à chuter, 7 mètres/seconde, (c'est beaucoup). L'insoupçonnable légèreté de l'âtre, se gausse le nain en effectuant une trajectoire courbe parfaite dessinée qui le fait repasser par la fenêtre à 9 mètres/seconde, (ce qui est inespéré). Regonflé et ragaillardi comme jamais, il atterrit pile – tchock ! entre les jambes de Blanche Neige. Joie profonde de l'amarrage réussi.


----------------------


Rencontre XXXVII Antoine prit Mathieu par les épaules, lui demanda d’enfiler sa combinaison de ski rapidement. Il monta voir Aude, lui mit Emeline dans les bras et lui expliqua, sur un ton qui n’admettait pas de réplique, qu’il emmenait Mathieu faire une balade à skis. Ils reviendraient tous deux en fin de matinée. La nature était comme endormie, sous son manteau blanc. Ils filèrent sans un mot. Pendant près de deux heures, Antoine précéda Mathieu, il skiait bien, c’était un régal ! Ils s’arrêtèrent près d’une cabane en pierres dont on ne voyait que le toit, totalement recouvert de neige. Reprenant son souffle, Antoine commença à parler… Il avait remarqué les sautes d’humeur, les absences, les tensions chez Aude Elle devait retourner voir son médecin ! L’accident, les semaines de coma, la frayeur de perdre son bébé avant l’accouchement, tout cela l’avait atteinte profondément. Il ne devait pas oublier non plus qu’elle n’avait pas connu ses parents : cela faisait une fracture de plus ! Il l’avait observée au Rwanda : sa manière de se protéger, sa détermination à guérir, son extraordinaire volonté… Ce qui s’était passé tout à l’heure avait sans doute une cause mais cela importait peu. « Tu dois être très patient mais très ferme avec elle. Tu ne dois pas lui donner la possibilité de s’échapper, pour ce qui est des soins dont elle a encore besoin. Elle reste fragile malgré tout, Emeline lui prend tout son temps. N’oublie pas que sa passion est l’écriture. Il faut trouver un moyen pour qu’elle s’y remette ! » Mathieu comprenait bien tout ça, mais il ne supportait pas qu’elle s’en prenne à lui, il lui avait consacré tant de temps, il lui avait donné tant d’amour ! Il sentait qu’elle s’éloignait de lui, il ne savait pas pourquoi… Son accident l’avait terriblement changée, même dans les moments les plus heureux, il savait qu’il y avait en elle quelque chose qui la rongeait. Antoine lui dit qu’ils devaient tous deux se remettre au travail, trouver une personne qui saurait s’occuper d’Emeline, juste le temps qu’Aude se fasse soigner. Mathieu était d’accord, il gagnait bien sa vie, cela ne poserait pas de problèmes…à condition qu’elle l’accepte ! Antoine décida de lui parler, en tant que médecin, elle l’écouterait, il avait l’habitude, il avait traité des cas bien plus difficiles !... Au chalet, une bonne odeur de crêpes leur sauta aux narines. Lucie et Aude s’activaient, tout en plaisantant. Les jumeaux, les mains pleines de confiture, les accueillirent avec des cris de joie. Emeline tapait avec une cuillère sur la petite table en bois. Pierre prenait sa douche. Aude s’approcha de Mathieu et lui mit un morceau de crêpe dans la bouche. Ses yeux brillaient, elle s’était maquillée. Antoine proposa d’emmener les femmes au village, dans l’après-midi. Curieusement, Aude ne protesta pas. Elle semblait aller mieux. Mathieu y perdait son latin. Antoine lui fit un clin d’œil et ils se mirent tous à table. Pierre avait fabriqué un toboggan de neige pour les enfants. Il fallait l’essayer cet après-midi ! Les crêpes étaient délicieuses ! Pendant la sieste, Lucie et Aude s’éclipsèrent avec Antoine qui arborait un air malicieux. Mathieu monta mettre un peu d’ordre. Sur leur lit, Aude avait laissé son carnet dont elle ne se séparait jamais. En le ramassant pour le ranger sur la table de nuit, il fit tomber quelque chose : c’était une photo d’un couple jeune qu’il n’avait jamais vue. Au dos, Aude avait écrit d’une écriture d’enfant « Maman, tu me manques ! » Il replaça la photo, songeant à ce que lui avait dit Antoine le matin.


----------------------


Des cubes blancs qui ont poussé sur les monts, et autour tapis d'herbe et arbustes au cordeau, un village pulvérisé, on arrive alentour de l'humain. La pluie ne cesse pas, et il reste encore quelques encablures avant la Vieille. L'humain est encore loin. Comme les montagnes deviennent derrière, deviennent hier, et qu'on aborde ce qu'on appelle la plaine, les activités se raisonnent. On cultive en mieux, en plus grand, en plus droit. Et on le voit maintenant, d'ici où on marche. Alors on marcherait plus vite, mais la pluie. Alors dans une espèce de bois communal, Farigoule sait une cabane aux chasseurs. Un mauvais estanco qui contient un poêle, un banc et deux chaises, et de vieilles cartes postales jaunies et délavées. Il la retrouve à quelque peine — les arbres ont pris — et veut s'installer pour laisser passer l'orage. Déballées quelques affaires sur la table, et se plonge entier dans le fourneau de la pipe. Parti ; et donc en partance et ce tangage est jusqu'au bout hésitant, d'une hésitation bonne, qui revigore, soit, mais qui distrait. Déshabiter, c'est ainsi qu'on occupe. La pluie sur la toiture gondolée fait un fracas d'enfer, il n'est pas aisé de se laisser absorber par la fumée qui se dilate, ni même par le simple choir électrique de l'averse. Il faudrait beau pourtant se couler dans l'eau, s'abandonner à son chant, au clapotis et au rideau, et laisser venir ce trop de paroles en mots. Je t'offre l'inconnu dit la pluie, et elle le dit fort. Je t'offre l'inconnu et tu renâcles aux racines. Abandonner, abandonner. Relâcher les tensions, et se dissoudre comme le tabac en vapeur, comme la poussière en gouttes... Comme le pas en paysages, ou le chemin : en voyage. Déjà la mémoire est poreuse, et au fond, les dépôts les calcaires sont dissous. D'où, parti, d'où ? Les formes familières, la coutume, les visages quotidiens, tout est hier, derrière, et à l'instant absolument sans hameçon pour les rapatrier. A mesure qu'on avance, au revers du chemin se dispersent les voix. Qui sont-il, ceux qui arrivent, se présentent au passage Alors une ombre passe Faut-il se passer des mots pour se rappeler Une ombre passe, elle est encore lointaine, indécise, imprévisible Faut-il des mots pour les ombres Mais on ne voit pas si c'est animal ou rocher, ou arbre ou homme Mais elle grandit Elle approche Y a-t-il des mots à ce qui vient Une figure en plein, dans l'embrassure, essouffle, et Farigoule Bastard sursaute.