lundi 11 juillet 2011

602 : samedi 9 juillet 2011

J'ai rêvé que tu fuyais – la nuit était douce, ma lassitude, je le savais, grande, et tu étais si beau dans ta course que je te regardais calmement avec un amour distrait, et pourtant c'était moi que tu fuyais.

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Rencontre XIII Il y avait foule au vernissage. Lucie rayonnait dans une longue robe de soie ocre, un magnifique collier de perles africaines autour du cou. Pierre ne la quittait pas des yeux. Il était venu avant tout le monde et avait longuement admiré les grandes toiles suspendues. C’était un bain de couleurs ! Sur certaines, de longues silhouettes de femmes parées de multiples bracelets ou colliers étaient dessinées, sur d’autres étaient esquissés des visages, sur d’autres encore étaient représentées des scènes de la vie quotidienne. Lucie avait peint ses toiles à même le sol. Pour en préserver les couleurs, elle avait dû passer à grands traits une sorte de vernis qui les rendait moins souples mais plus lumineuses encore. Cela l’avait irritée. Elle voulait trouver un procédé qui n’altère pas la matière. Elle avait passé des mois entiers à fabriquer ses poudres avec l’aide d’artistes africains. Elle avait admiré leur patience, leur lenteur, leur sérénité. Elle avait pris conscience d’un rythme autre que le sien, qui lui permettait de laisser aller sa pensée au-delà du quotidien. Son désir profond de vivre sur ce continent s’était intensifié. Elle avait observé leurs gestes, précis, empreints tout à la fois de légèreté et de dignité, comme s’ils avaient toujours su l’importance du geste accompli. Dans les villages où travaillait son frère, elle avait noté combien chacun était respecté, y avait sa place. On se parlait surtout le soir et tout le monde était écouté. Les jeunes enfants venaient souvent la voir travailler : elle leur donnait des couleurs et ils traçaient avec leurs petits doigts des histoires qui leur appartenaient. Lucie était heureuse et cela se voyait ! Avec Pierre, elle se sentait bien. Ils se complétaient. Il était enthousiaste, généreux, plein d’humour avec un côté très pragmatique. Leur projet tenait la route, elle n’était pas inquiète. Elle passa parmi les invités et le rejoignit. Mathieu et Aude étaient avec lui. Son amie semblait fatiguée et soucieuse. Mathieu la félicita chaleureusement, mais dans sa voix, elle décela un léger tremblement qui témoignait d’une grande tension. Il leur proposa de se retrouver dans la soirée, tous les quatre. Elle acquiesça puis les laissa, rejoignant des amis qui l’attendaient. Aude insista alors pour retourner voir quelques toiles. Mathieu resta avec son frère à discuter. Aude était très impressionnée par le travail de Lucie. C’était simple, beau et la recherche des couleurs extraordinaire ! Au moment où elle repassait devant une grande et longue toile qui l’attirait particulièrement, elle se figea. François se tenait face à elle. Son air arrogant la glaça. Elle fut incapable de prononcer un seul mot. Il s’approcha d’elle et la prit par les épaules. Elle tressaillit à son contact, comme sous l’effet d’une brûlure. Retrouvant la parole, elle le supplia de s’éloigner immédiatement. Il éclata de rire et la gifla. Aude se sentit tomber. Elle prit une grande inspiration et réussit à traverser la salle et à sortir dans la rue. Elle s’effondra sur le trottoir, tremblant de tous ses membres. Elle n’entendit pas Mathieu s’approcher. Il la prit contre lui, la sommant de s’expliquer. Il l’avait vue sortir, blême et terrorisée. Elle lui demanda d’une toute petite voix de l’emmener ailleurs. Il n’hésita pas une seconde : ils appelleraient Pierre et Lucie plus tard ! En dévalant les marches, il s’était cogné à un homme brun qui avait plongé son regard dur dans le sien et s’était éloigné en ricanant. Mathieu se souviendrait longtemps de ce regard froid, extrêmement méprisant ! Il emmena Aude jusqu’au café le plus proche où il lui commanda un grand thé. Elle reprit peu à peu des couleurs et se mit à parler lentement, presque comme un enfant qui commence à déchiffrer les premières pages de son livre. Pendant deux heures, Mathieu l’écouta sans un mot lui raconter l’enfer qu’elle avait vécu avec François, son espoir de le voir changer, sa terreur lorsqu’il rentrait ivre, sa patience lorsqu’il écrivait… Oui, il était poète, au début, elle avait aimé sa manière d’attraper les mots, de les bousculer. Mais ce qu’il écrivait était destructeur, tant pour lui que pour ses lecteurs, à la fin, elle ne parvenait plus à le lire. Elle lui dit aussi, en détachant les syllabes, l’enfant qu’elle avait perdu. Elle lui livra tout, dans les moindres détails et lorsqu’elle se tut, Mathieu avait, blottie contre lui, une véritable poupée de chiffon. Il lui caressa lentement le visage, essuyant ses larmes. Elle lui demanda s’il voulait encore d’elle. Pour toute réponse, il l’entraîna à son petit studio où il lui fit l’amour longuement, avec toute la tendresse et la délicatesse dont il était capable. Elle s’endormit, un sourire aux lèvres. Mathieu déchargea sa colère en composant, pour elle, ce qu’elle nommerait plus tard sa « tempête ».