jeudi 30 juin 2011

593 : mercredi 29 juin 2011

C’était préparer l’en-cours, écrire a posteriori les conceptions, les études, puis documenter ce qui n’était pas fait mais devait l’être, tout ça venu de la hiérarchie directe qui avait comptes à rendre en très haut lieu d’un jour à l’autre, président et fonds de pension, actionnaires et clients – tout ou partie de ces engeances, comment savoir réellement ? – réunion en anglais et millions à la clé, alors devoir modifier ce qui, dans un proche jadis nous avait été familier avant de changer complètement ces ébauches, tout en imaginant ce que cela serait dans un futur de seulement quelques jours ou semaines, terre non fouillée d’un projet hors du temps.


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Rencontre IX Des merveilleuses odeurs de cuisine s’échappaient de la fenêtre de la cuisine. Aude s’y était mise dès le début de l’après-midi. Elle avait préparé et farci les légumes, son plat était appétissant avec toutes ses couleurs ! Elle mettrait les daurades au four dès qu’ils seraient là ! Il lui restait à choisir le vin et à faire cuire sa tarte aux prunes. C’était une recette de sa grand-mère, avec les belles quetsches du jardin. Elle dresserait la table sous le tilleul et disposerait les petites bougies achetées la veille. Elle remonta ses cheveux sur la nuque et s’adossa à la fenêtre. Elle se sentait bien ici ! Elle alluma une cigarette et se prit à rêver… Si seulement Mathieu donnait signe de vie ! Elle avait écouté toute la soirée les deux derniers disques : au travers de sa musique, elle percevait son côté farouche, sa détermination, mais aussi de la douceur qui se mêlait à une sorte de désolation. Il avait su choisir ses musiciens. Les morceaux étaient parfois très lents, graves, laissant l’auditeur admiratif. Puis venaient de petites pièces courtes, au piano, d’une grande originalité. Le pianiste faisait corps avec son instrument, le rythme était presque endiablé ! Et cette longue mélodie au violon, avec ses variantes. Aude l’adorait, avec ces passages tout en retenue, les notes qui restaient comme suspendues, cherchant leur souffle… Aude ne savait jouer d’aucun instrument, elle le regrettait. Car elle aimait la musique, passionnément ! Et dans cette maison, elle pouvait enfin l’écouter tout à loisir. Elle se demandait si Mathieu composait aussi du jazz. Certains passages lui faisaient penser aux disques de Keith Jarrett qu’elle affectionnait particulièrement. Elle aurait voulu pouvoir lui parler, lui exprimer ce qu’elle ressentait, passer du temps avec lui. La veille, elle avait pris conscience de ses sentiments pour lui. Mais elle savait qu’elle devait être prudente. Mathieu n’était pas ordinaire, son caractère était tout en contrastes. Elle ne voulait plus revivre l’enfer des derniers mois, avant la mort de sa grand-mère. L’échec avait été cruel, dévastateur ! Une passion folle, désespérée avec un être malade, qui avait fini par des semaines de tourmente. Elle s’était retrouvée un matin, brisée, tant physiquement que moralement, avec, pour seul réconfort, un appartement dévasté. François était parti en saccageant tout, jusqu’à ses livres et ses manuscrits qu’il avait brûlés. Un être de feu, incohérent, exigeant, d’une beauté exceptionnelle mais d’une intelligence démoniaque. Quelques jours après son départ, elle mesurait le cauchemar dans lequel elle s’était plongée. Sa grand-mère n’avait posé aucune question mais son regard en disait long sur sa désapprobation. Pendant des journées et des nuits interminables, Aude avait lentement remonté la pente. Mais ce n’est qu’ici qu’elle avait pu se remettre à écrire… Elle avait tant besoin de douceur ! Et cette impression qui ne la lâchait pas : sa vie lui filait entre les doigts ! Elle haussa les épaules, enfila une robe légère, se brossa les cheveux et se dirigea vers le gros arbre auquel elle avait accroché un hamac. Une petite sieste lui ferait du bien !


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Du fond de son lit, Aude entend le mugissement du vent. Le son du raclement des branches traverse le mur de la maison et vient nourrir ses frayeurs d'enfant. Dehors l'orage gronde et la pluie bat la terre. Elle se sent en sécurité sous sa couette sans être tout à fait rassurée, les éléments qui se déchaînent dépassent son entendement. Enfin deux bras aimant viennent l'entourer tandis qu'une voix douce murmure dans ses oreilles. Aude se blottit contre sa maman et se rendort apaisée.