vendredi 17 juin 2011

580 : jeudi 16 juin 2011

C’était revoir et corriger, améliorer, reprendre, sculpter, dégrossir, poncer, peaufiner au mieux, ciseler fin, limer, arranger, polir, réordonner, ajuster, accorder encore, réagencer mieux, resserrer toujours, raccourcir un peu, rogner, abréger, repréciser, détailler et généraliser, clarifier, souligner comme par trois fois, caractériser, particulariser, refactoriser, déspécialiser, repousser au plus, le point, qu’on dit final sans vouloir pour autant mourir, disons dernier, s’il existait en pareil métier.


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Dans la nuit du tombeau, les échos de l’éternel retour n’en finissent pas de résonner, et l’on entrevoit l’ombre de l’homme qui, débout près de l’entrée, frappe à coups majestueux sur le gong. Lit-il dans cette quasi obscurité les destins croisés des chambellans et des portières ? Il a rejeté en arrière son chapeau orné de trois plumes de tétras fuligineux. Ce qu’il attend, c’est une autre épiphanie, qui ne saurait se produire sans un décret des puissances supérieures.


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Rencontre I Les deux hommes étaient assis sur les marches de la vieille maison. L’un d’eux, le plus grand, fumait. Elle ne les connaissait pas. Elle resta un instant à les observer. Qui étaient-ils ? Que faisaient-ils ici, devant la maison de sa grand-mère ? Il y a deux mois, après la mort de celle-ci, elle était venue seule, dans l’espoir de comprendre… Cette femme qu’elle avait tant aimée et dont elle s’était éloignée parce que la vie en avait décidé ainsi. Elle avait arpenté chaque parcelle du parc, retrouvant les beaux arbres derrière lesquels elle s’était cachée, petite. Les odeurs lui rappelaient les moments privilégiés de son enfance. Les souvenirs jaillissaient et avec eux, une certaine nostalgie. Elle revoyait cette femme silencieuse qui lui avait tant donné. Sa maigreur, son apparente sévérité qui masquait un cœur d’or ! Maintenant, elle n’était plus là mais cet endroit vivait toujours. Les rosiers embaumaient, la petite passerelle sur laquelle elle avait couru lui semblait si fragile !... Elle abandonna ses souvenirs car les visiteurs s’étaient levés. Ils l’avaient aperçue. Elle alla à leur rencontre. Le plus jeune parlait beaucoup et elle eut du mal à démêler, dans ce flot de paroles, la raison de leur visite. Ils étaient frères, cela ne se voyait pas. Ils avaient bien connu ma grand-mère : sur la fin de sa vie, ils lui avaient rendu de menus services. Elle était si seule ! A tour de rôle, ils lui faisaient ses courses, venaient passer avec elle quelques soirées, lui faisaient la lecture car sa vue avait bien baissé. Parfois, ils l’emmenaient en ville et l’accompagnaient au concert, à une exposition, ou tout simplement chez le coiffeur. Elle ne savait pas, elle était désolée. Comment leur expliquer que sa vie était compliquée, qu’elle ne pouvait plus venir mais qu’elles correspondaient, toutes les deux, très régulièrement. Oui, ils savaient tout cela, la vieille dame le leur avait dit, elle était très émue quand le facteur lui apportait une lettre. C’est pour ça qu’ils étaient venus, ils voulaient connaître cette jeune femme dont elle leur avait si souvent parlé. Aude les regardait à tour de rôle, se demandant si elle ne rêvait pas… Elle se sentait partagée entre une délicieuse envie d’en savoir plus et une légère angoisse à l’idée de les connaître davantage. Elle les fit entrer dans la maison et fut surprise de constater qu’ils y étaient très à l’aise. Pierre, celui qui parlait beaucoup, proposa des rafraîchissements. Il disparut dans la cuisine. Mathieu s’était confortablement installé dans un fauteuil et l’observait en silence, un grand sourire sur son beau visage. Il était très grand, maigre, très brun avec un profond regard rayonnant d’intelligence. Elle se sentit tout à coup minuscule, démunie, elle s’assit sur la petite chaise paillée qui avait toujours été la sienne. Au son de sa voix, elle l’avait reconnu : c’était lui qui l’avait appelée pour l’informer de la mort de sa grand-mère. « Ainsi, vous écrivez ? » demanda-t-il. « Oui, et vous ? », murmura-t-elle. Elle se sentait piégée et désirait ardemment qu’il parle de lui. « Je compose. Mon frère, lui, est architecte. C’est un peu lui qui me fait vivre », dit-il en riant. « Vous savez, votre grand-mère, elle s’intéressait à tout ! Elle était bien plus cultivée que nous deux réunis ! Nous avons passé de belles soirées à l’écouter. » Aude n’en revenait pas ! Elle commençait à comprendre le ton joyeux qu’elle trouvait si souvent dans les longues lettres. Pourquoi ne lui en avait-elle rien dit ? Elle but la citronnade que lui tendait Pierre, puis leur demanda de partir. Trop d’émotions ! Elle avait besoin de réfléchir. Ils l’embrassèrent chacun sur les deux joues, lui promirent de revenir et s’éclipsèrent, la laissant un peu bouleversée.


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Amandine pose ses ciseaux et rêve. A travers la vitre du salon de coiffure des clients passent. Ils n'ont pas rendez-vous aujourd'hui et fixent le trottoir devant eux sans songer à lever les yeux pour lui sourire. Amandine admire un instant le ciel chargé de nuages et soupire avant de prendre un mèche de sa cliente plongée dans un magazine. "On fait quoi aujourd'hui ?"