dimanche 12 juin 2011

575 : samedi 11 juin 2011

Notes marginales : admettre une fois pour toutes (et ce quitte à choquer l’Université française !) que Léon doit autant à Fénéon qu’à Plume Latraverse !


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Comme des objets hétéroclites qui s’échappent soudain d’un carton de déménagement déchiré, et qui veulent obstinément vivre leur vie sans nous, mais on les remet très vite dans le droit chemin, nom d’un petit bonhomme ! ainsi des souvenirs sans queue ni tête débarquent sans avoir été invités, et insistent pour être reçus avec les honneurs dus à leur rang : passez votre chemin, jusqu’à nouvel ordre c’est tout de même moi qui fais la loi ici, je vous le rappelle. Revenez un autre jour, ou plutôt non, ne revenez pas, on vous écrira.


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11. Le crayon du docteur Mouton Le docteur Mouton est le médecin de famille. Il vient souvent à la maison avec sa grosse sacoche en cuir remplit de boîtes métalliques, de médicaments, de carnets d’ordonnances, de feuilles de Sécurité sociale… Elle est toujours beaucoup trop pleine, & le plus souvent les embouts en cœur du stéthoscope en dépassent — nous avons tous cette image en partage. Il écrit avec un gros stylo noir, en bakélite, à la plume en or, sur ses ordonnances. Il écrit très gros & très bien. C’est rare. Les médecins, en général, écrivent comme des cochons. Le docteur Mouton aime beaucoup l’opéra, il en parle souvent. C’est sa seule distraction. Il a entendu la Callas dans Tosca, une fois à la Scala de Milan. L’orchestre était dirigé par Victor de Sabata. Un jour, j’ai une angine blanche de plus, il parle à ma mère, en regardant mes amygdales en feu, de Régine Crespin qui est venu chanter à l’Opéra de Dijon quelques jours auparavant. Il prescrit, entre deux airs de la Maréchale, un badigeon & quelques cachets. Il prend un reste de crayon posé sur la table de la cuisine pour battre la mesure. Je crois entendre moi aussi la musique de Richard Strauss. Des années plus tard je ne me lasse pas du Chevalier à la rose, mais dans la version du Philarmonic de Berlin sous la direction d’Herbert von Karajan, avec Elisabeth Szcharfkoff dans le rôle de la Maréchale. En partant, le docteur Mouton a gardé le reste de crayon de maman. C’était un crayon encore assez neuf, de couleur rouge, avec une gomme cerclée de métal dorée à une des extrémités. Je me suis, la semaine suivante, acheté le même qui fut ma première baguette de chef d’orchestre. Depuis, chaque fois qu’un chef lève sa baguette dans la fosse, j’ai une petite pensée pour le bon docteur Mouton.


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Lorsque Bertrand avait donné rendez-vous à Lili au Da Rosa, il ne pensait pas qu'elle viendrait accompagnée de sa sœur et de son beau-frère.