samedi 4 juin 2011

567 : vendredi 3 juin 2011

Miné par le chagrin et les excès de calva, Charles, de l’avis de chacun, sombrait peu à peu dans les abimes de la folie : ne disait-on pas que la semaine dernière, tandis qu’il venait à peine d’arriver dans la cour de ferme de l’un de ses malades, il avait brusquement sauté de cheval et, courant à perdre haleine vers la basse-cour, s’était précipité sur un paon, l’avait saisi de ses deux mains tremblantes et lui avait méthodiquement tordu le cou, serrant du plus fort qu’il pouvait et faisant subir au corps du volatile le même mouvement que le linge qu’on essore, les yeux comme perdus avait dit l’une des jeunes domestiques qui avait assisté à la scène, et avec de la bave aux lèvres, avait-elle ajouté, avant de préciser que monsieur le docteur arrêtait pas de répéter avec la voix qui grondait à vous en donner des drôles de frissons partout dans le corps : « Ah ! Léon !... »


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C’était se régaler d’un espace vide, presque vide, travailler enfin au calme, efficacement, douce adrénaline, comme un aboutissement, comme une nouvelle vie de travail qui commençait, quelque chose d’une utopie, d’une révolution en marche, le silence accru de toutes ces machines éteintes laissant plus de place à la pensée, et se sentir une solidarité nouvelle, unique, avec les quelques qui ne faisaient pas le pont, et ne pas vouloir penser que tout cela, dans deux jours aurait disparu.


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Épluchez, lavez, essorez, mettez à sécher dans un lieu abrité, les mots ont besoin d’ombre, faites attention à ce que le vent ne les emporte pas, après on se retrouve avec un tissu narratif tout mité, c’est lamentable. Ne craignez pas d’étaler et d’étirer les adverbes, de manière à ne conserver que ceux qui auront résisté à ce traitement. Étrillez bien les adjectifs, ils le méritent. Chaque pronom devra être accompagné de son représentant légal titulaire d’une procuration en bonne et due forme. On ne saurait trop insister sur la nécessité de préserver l’incognito des métonymies. Enfin, servez frais avec un rosé de Provence.


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Eugène vacille sur son tracteur. Un vent chaud venu des terres fouette son visage ruisselant. Lui, il aime la brume s'élevant de la terre alors que la nature s'éveille à peine, la brise fraîche portée par la mer, voire la pluie en bruine qui caresse ses champs, et dont on ne sait s'il s'agit d'une averse discrète ou de gouttelettes qu'un vent coquin aurait arraché aux ruisseaux et aux fossés. Ce printemps lui en rappelle un autre, il y a 35 ans, il se souvient encore de la Bretagne jaune et assoiffée, des agriculteurs désespérés guettant le ciel blanc de chaleur, et de la terre aride et poussière. Il faudrait vraiment qu'il pleuve, longtemps et pas trop fort, pour épargner les tiges.


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J'évite de commencer cette histoire par il faut, car quand elle m'est tombé dessus, nécessité et devoir semblaient des mots creux comme une jarre vide. Peu s'en faut que j'en déblatère une autre, moins foireuse, une réjouissante car avec toi, on a vécu pas mal des histoires à pas piquer des vers, des qui mettraient de l'eau dans le vin amer de celle-ci. Cela dit, je me suis fait à l'idée de démarrer par il faut, donc ouvrez vos esgourdes en grand. Il faut battre le feu pendant qu'il y a à faire, et sur un rafiot encore plus qu'ailleurs. Le compas dans l'œil, tu mets le cap sur une île, les autres manœuvrent les voiles, je jette l'ancre et on débarque. La mer nous avait fait oublier l'odeur du grillé, on frétille en respirant un parfum appétissant qui semble sortir d'une grotte. Juste le temps de balancer nos armes par terre et de se précipiter dedans, vers un buffet gigantesque. Tu restes immobile devant des œufs de caille, comme si un œil invisible t'observait du coin. Tu me souffles une des tes phrases sibyllines et imbitables, une de celles qui te font passer pour un cerveau auprès des compagnons, alors que t'es seulement pas trop con : - L'avenir a parfois hauts œufs qui se pondent faux. Faux résonne en écho entre les parois de roche. Je ne sais pas trop s'il faut que te répondre, tu es perdu dans tes pensées, alors que ce buffet bien réel nous tend les bras ! On se jette dessus, ah les outres vides qu'on est devenu. Un buffet géant, trop de tout, à se faire péter la panse, à en rêver chaque nuit, ah ces plats d'airain débordants de lièvres rôtis, porcs tièdes et moutons braisés. Il faut battre le fer fumant pendant qu'il y a de l'huile d'olive sur le feu. On s'empiffre, gruau d'orge aux herbes, salmigondis de chèvre, fèves, châtaignes, gâteaux au miel et ce qui me fait le plus kiffer : de l'oie à la fêta ! Ici, la valeur des petits plats n'atteint pas le nombre des années des grands dans lesquels ils sont mis. On boit à l'œil des vins divins, des cuits, des résinés, même des doux à la cannelle. Tu grignotes tout en restant sur tes gardes, tu te retournes pour voir l'entrée de la grotte, des blocs de pierre sans mousse y roulent, ils crissent et en bouchent un gros coin. Pierre qui roucoule n'amasse pas frousse, mais quand même, j'en mène pas long... Je reprends de l'oie, trois fois, avec l'obscurité qui gagne je balise, comme l'impression qu'on est moins nombreux. Tu parles à un homme immense comme un chêne, difficile de voir son visage dans cette pénombre, ses dents ont la taille de mon bras, tu lui apportes une cruche de vin non coupé. Il l'avale d'un trait et tu retournes en chercher, lui ramènes, encore et encore, faut ce qu'il faut. Ton vin est trop fort, épais, lourd comme de la lave, il ne stagne pas dans la cruche, trop de degrés; tu vas à la jarre, plus que trois fois. Et l'autre, engloutissant l'alcool en un clin d'œil chaque fois. Tant va ta cruche au vin, qu'à la fin tu le casses. Son énorme tête brinquebale, s'affaisse et juste avant de s'effondrer, il demande c'est quoi ton nom. Tu balances d'un ton dégagé : - Personne. Les syllabes grincent comme la bôme du bateau, comme si un courant d'air bégayait personne, y avait décidément trop d'échos dans cette grotte.