samedi 26 février 2011

470 : vendredi 25 février 2011

Charles quitta son lit sans faire de bruit, descendit jusqu’à la cuisine et là, assis à la table, médita devant un grand verre de calva : non, il n’avait pas rêvé, ce prénom qu’Emma prononçait chaque nuit pendant son sommeil, et que la semaine dernière encore tandis que tous deux…


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Le sauvetage du capitaine Bretwood (3/3) Mayar ne se souvenait guère avoir vu un tel spectacle dans cette partie habituellement calme du lac, où il avait l’habitude de venir pêcher. Il distingua tout d’abord le bruit d’un moteur se rapprochant, puis, ce qui lui glaça le sang, celui des chants guerriers Organda qu’il ne connaissait que trop bien. Cela lui avait rappelé en un instant sa fuite de la tribu lorsqu’il fut condamné à mort, et la période de traque qui s‘en suivit durant laquelle ce chant lui devint familier, comme produit par la forêt même tandis qu’il restait caché, tout le jour parfois. Par réflexe il se planqua de nouveau, - prenant bien soin de ne pas abîmer sa canne à pêche - en se demandant néanmoins ce que pouvaient bien venir faire si loin de leur territoire habituel les Organda. Il vit alors apparaître dans son champ de vision une barque, dans laquelle figurait un premier type assis, grattouillant d’un instrument et semblant chanter, et un second debout, de fière allure. Le bruit de moteur se rapprocha, et il vit passer comme une flèche un hydravion qui provoqua des remous mettant en péril l’équilibre de la barque. Néanmoins aucun de ces 2 occupants ne fit le moindre mouvement. Tandis que le bruit de moteur s’éloignait, le chant des Organda montait. Il reconnut le léger sifflement qu’il entendit (ainsi que quelques cris dus sans doute au passage de l’hydravion pour les déstabiliser), et des flèches commencèrent à s’abattre en direction de la barque, néanmoins encore provisoirement hors de portée. Finalement l’hydravion apparut, naviguant à faible allure, des flèches rebondissant sur la carlingue. Une porte s’ouvrit et un type hurla en direction de la barque. Les deux cette fois étaient debout, les flèches se rapprochant dangereusement. L’une vint se ficher dans l’étrange instrument porté en bandoulière, au grand dépit de son propriétaire qui se mit à pester en brandissant le poing en direction des guerriers Organda, tandis que l‘objet émit ce qui semblait un glapissement de bois et de cordes. Mais l’autre le poussa bon an mal an dans l’avion, monta à sa suite, et l’engin démarra cette fois, sous une pluie de flèches. Mayar jugea qu’il en avait vu assez, et qu’il était plus prudent désormais de s’esquiver. Il reprit le chemin de sa cabane, se repassant cette histoire dans la tête, tâchant d’éclaircir ses idées, ce qui était une chose à faire car il allait devoir justifier auprès de sa femme son retour sans la moindre prise pour le déjeuner.


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C’était abandonner. Par dépit, ras-le-bol, fatigue, s’en foutre. Mail, surf, vidéos, cette fenêtre là, et l’autre sur le dehors, la rue, la ville, les platanes nus, attendre le soir, le weekend, le repos, le silence du seul.


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Il en déboule de partout. Et elle, elle va où ? Chaque pas crisse dans ce tohu-bohu sans échappatoire. Des instants comme des coups, un concassage méthodique quand à travers la foule, elle tente de s'en sortir. Densité des os, raclage du gosier, aspirer à s'éjecter de la masse tête la première. S'incliner en avant, ne plus se rendre compte de ces gens, leur nombre, ils s'agglutinent. Difficile quand d'autres veulent entrer et forcent le passage en sens inverse, mais comment passer si on ne laisse aucune issue. D'où viennent-ils ? À essayer de mettre ses pas dans ceux qui précèdent, elle s'écrase sur des dos. Avec un peu d'élan, contourne deux personnes en progressant au ralenti. Et le sol disparaît. Quand déboule, sur la gauche, un nouveau tas d'impatients qui jouent des coudes, frôlent, écrasent. Déferle l'angoisse de se faire écraser au moment où le ciel s'assombrit, les lumières s'éteignent, alors que d'autres affluent. Se dégager de la nasse devient rêve, l'impétuosité se transforme en violence. Ouvrir un passage entre des bousculades, progresser de quelques centimètres et apercevoir, derrière ceux qui chargent à contre-courant, apercevoir un interstice. Un possible passage, où frémit de l'air... ne pas perdre pied... avancer... ne pas trébucher... là où s'extirper de la cohue... orteils écrasés... enfin respirer... et foncer sans reprendre son souffle.


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Dans les escaliers roulants, tous en file indienne, les mains sur la rampe qui accompagnent nos pieds immobiles. Tous à coup, la rampe s'arrête. Une main agrippé en est surprise, s'étonne, ne comprend pas. Une main fripée et fatiguée tombe sur les indiens derrière et sur les suivants. Les escaliers continuent sans la rampe, les indiens sont confus autour du corps immobile qui s'affaisse écartelé entre la main et le pied. Des cris s'élèvent, des doigts s'agitent sur le bouton de sûreté, tout s'arrête alors que l'homme se relève. Il est âgé, secoué et vexé. Son pied s'est enfoncé dans ma jambe avant d'écraser le mien alors qu'indienne derrière lui je retenais son corps lourd de mes bras. Nous repartons en boitant, lui entouré de passants intentionnés, et moi seule, courant après mon train qui piaffe sur le quai.


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Il n’avait pas remis les pieds dans cette maison depuis bien longtemps, il n’arrivait pas à se souvenir de l’année de sa dernière visite. Il se rappelait le contexte, les détails, mais ne parvenait pas à les situer précisément dans le temps. Avec un petit effort sans doute il aurait retrouvé une date mais cela lui coûtait déjà trop. Il s’était interdit d’y retourner un jour. Ce qui ne l’empêchait pas de l’arpenter virtuellement. Il visualisait parfaitement l’entrée de pierre de la propriété, privée de portail, puis le chemin de sable qui serpentait jusqu’à cette grande bâtisse qui réunissait en fait trois habitations de styles et d’époques différentes. Comme un château flanqué de deux tours disparates. Il voyait les volets oranges accrochés à la façade, la vigne vierge courant au-dessus du perron central, avec la cloche qu’on pouvait y sonner. Mais il entrait par un autre perron à l’extrémité ouest de la maison qui offrait une vue sur le jardin et le potager. Il donnait accès à la cuisine et à la salle à manger. On faisait dans cette pièce des repas gargantuesques pour plus de vingt personnes, régulièrement. Après, c’était le bureau où le grand-père disparaissait à l’heure de la sieste sous prétexte d’ouvrir son courrier. Derrière, il y avait une salle vide et froide que l’on utilisait uniquement pour Noël. On y mettait le grand sapin et les montagnes de cadeaux. Une porte ouvrait sur un appartement privé. Un long couloir longeait le bureau, le salon de Noël, l’appartement et menait à un escalier de bois peint. A l’entresol se trouvait une chambre unique. Il se souvenait du bruit familier de la porte qui claquait. A l’étage, trois chambres en enfilade : la chambre dite “des ancêtres” avec ses portraits jaunis, la chambre dite “provençale” avec ses lits jumeaux, et la chambre de Paul où il avait parfois veillé à cause du Loir qui descendait certaines nuit du grenier en glissant le long du tuyau de chauffage. Une autre porte au bout du corridor, un autre bruit délicieux en la claquant, plus souple, moins métallique que celui de l’entresol. La chambre des grands-parents, un bureau, une salle de bain et un escalier qui redescendait à la cuisine. Il pouvait avancer pas à pas dans cette maison fantôme en identifiant bruits et odeurs, il savait où se nichaient les toiles d’araignées. Il s’en tiendrait là.