jeudi 10 février 2011

454 : mercredi 9 février 2010

Noté dans le courrier des lecteurs : Le personnage d’Emma ne vous aurait-il pas été inspiré par celui de la marquise de la Bôle ?

-------------------


C’était la voir dans le train du retour, pour la première fois le soir, et se demander combien de fois, combien de trajets, combien de nuits l’avaient soustraite, par le passé, à notre vue, combien épuisé, humilié, machiné nous avions dû être pour rater sa présence, ses yeux, seulement vus de côté, son nez et la forme de ses joues, les mouvements de ses lèvres, au téléphone parfois, tous ces fragments d’elle que le matin même nous imprimions en nous pour un jour plus léger, et se demander combien elle aussi devait être entamée par sa journée pour que son éclat soit terni, pour baisser autant le front et, comme ce soir, fermer les yeux ou, comme les autres soirs, entièrement disparaître.


-------------------


Dans la petite rue, trois maisons se faisaient suite, anciennes et simples, sans ornement autre que la régularité de leurs percements et la profondeur de ceux-ci, du fait de l'épaisseur des murs, le jeu entre les fenêtres qui, créant des encoignures peut-être garnies de bancs de pierre à l'intérieur des pièces, se posaient au niveau de la façade et certains fenestrons et les portes qui s'enfonçaient dans des grottes de pierre, comme sous des arcades sourcilières. La porte de la première, divisée en quatre panneaux discrètement moulurés, était parfaitement proportionnée, comme sur une esquisse d'élève. Elle était peinte d'un bleu gris assez soutenu qui lui donnait une élégance débonnaire et souriante, contrastant avec le délabrement naissant du crépi des murs et les quelques éclats de la haute marche usée du perron.


-------------------


Ce n’est ni son visage ni sa silhouette immense qui l’ont bouleversée. Elle ne le connaît pas, elle ne l’a jamais vu. Il s’est arrêté brusquement, l’a regardée longuement, plus exactement l’a scrutée, sans un mot. Ca n’a duré que quelques minutes, là, sur le trottoir, au milieu des travaux, des ouvriers, des marteaux-piqueurs. Elle n’a pas bougé, son cœur battait à tout rompre, elle n’a rien dit. Elle l’a laissé partir, elle tremblait de la tête aux pieds. Mille questions se bousculent depuis. Qui est-il ? Que voulait-il ? L’a-t-il reconnue ? Pourquoi n’a-t-il rien dit ? Le malaise se dissipe peu à peu mais elle ne parvient pas à faire disparaître ce regard qui l’a fouillée. Comme s’il était entré dans sa tête. Était-ce un jeu ? Elle ne sait rien de cet homme si ce n’est avec certitude qu’il lui a volé un petit peu d’elle-même. Pourquoi ?


-------------------


Il est cinq heure du matin, Jean est sorti de chez lui et peint son portail. Dans quelques heures le soleil sera haut dans le ciel, la chaleur étouffante de l'été assommera sa ville, sa rue et ses habitants. Tout le monde dort, seul Jean est éveillé. Il peint doucement, concentré sur son pinceau et sa peinture spéciale anti-rouille vert foncé. Il embauche à 8h00 à la poste, enfile ses 7h entrecoupées d'une heure pour le déjeuner. Sa vie est simple, sa femme institutrice, leurs deux garçons, les vacances, leur pavillon, le petit jardin jauni de soif, le portail en manque de peinture. Jean sifflote doucement.