samedi 29 janvier 2011

442 : vendredi 28 janvier 2010

Léon se saisit de sa madeleine et, la contemplant avant de la tremper dans son thé, fut un instant fugace traversé par l’idée que ce gâteau lui rappelait confusément un roman dont on lui avait parlé au lycée…

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Les circonstances ont éparpillé les pièces, une main discrète a renversé l’échiquier... Que nul souffle ne vienne ternir le soir, le ciel dépouillé, dur comme l’émail, les senteurs de jasmin et de cire chaude, l’air stérile, les reflets d’une lune tardive, le dôme nu, le silence...


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C’était la croiser, aujourd’hui comme chaque jour, même heure pour la même destination et, aujourd’hui seulement, vouloir la remarquer, vouloir la regarder, la voir peut-être pour la première fois, un peu plus longtemps que d’habitude et, pour changer, monter par la même porte qu’elle dans la voiture qui ne s’arrêtait pas face à notre escalator en gare d’arrivée et considérer ce temps perdu, dont elle n’aurait bien sûr jamais conscience, comme une secrète et vaine preuve d’amour.


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Dans son sac, un goûter, des crayons de couleurs éparpillés, un paquet de mouchoir, sa trousse et ses affaires d'école et un carnet de mots. A sept ans sa collection est déjà large, avec "ekcellent", "amboulatoire", "roconnéssance", "de guingois". Son orthographe est créative mais phonétiquement juste, son écriture tient entre les lignes qui la contraignent, il n'y a aucune rature. Au fil des jours, il recopie de la rue, note à l'oreille, ferme les yeux et savoure le goût de chaque syllabe et voyage que ses mots lui procurent. Grâce à eux, sa vie se colore d'univers "aimprévus", d'aventures "rokambolsaisques" et de rêves "extraodinères".


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Il reconnut l'écriture sur l'enveloppe, le cachet de la poste sur le timbre qui en signalait la ville d'origine, même avec deux lettres manquantes, mal tamponnées. Il n'y avait pas de doute : ce courrier portait des nouvelles de l'ami d'enfance, si cher à son cœur, même après des années de parcours éloignés. Il savoura l'instant où il décacheta le pli avec le coupe-papier, cœur battant, yeux pétillants. La même écriture serrée à l'intérieur sur une feuille parfaitement pliée en trois parties égales. Une suite de mots logiques, correctement orthographiés et ordonnés, mais qui ne faisait pas de sens pour son destinataire. Le propos ressemblait plus à une démarche administrative qu'à une confidence. Il déclinait cordialement l'invitation qui lui avait été faite "pour des motifs sérieux mais néanmoins sans gravité". C'était tout. Plus que le refus d'une nouvelle rencontre, le ton impersonnel de la lettre le blessait. Une blessure profonde, ancienne, qui se rouvrait soudainement, douloureuse. Sans doute cette écriture distanciée était un effet de cette maladie qu'ils n'avaient jamais nommée ensemble. Comment lui faire face ? Comment même lui tourner le dos ? Il ne comprit pas que ce détachement était le seul moyen que son ami avait jugé acceptable pour exposer un rejet qu'il savait cruel et qui malgré sa forme trahissait une réalité plus pénible encore. Longtemps après seulement il en eut l'intuition. Des mois avaient passé. Une année peut-être avant qu'il ne puisse entrevoir cette lettre sous un autre jour.