vendredi 28 janvier 2011

441 : jeudi 27 janvier 2010

Vérifié sur la boîte aux lettres du hall : nom nouveau voisin palier = Samuel Spade (anglais ? amerloque ?).

-------------------


C’était, énervé, à chaud, répondre à un mail incriminant du client qui n’avait pas à nous contacter directement, répondre sèchement et avec sarcasme, faire bien comprendre qui, ici, savait et produisait, bref, travaillait vraiment, mettre ainsi mal à l’aise le commercial qui ne nous avait pas défendu suffisamment vite et, en l’absence d’option « Annuler » sur la messagerie, regretter de ne s’être pas calmé, se désoler de ce qu’allait souffrir le commercial de reproches, sa prime en moins peut-être mais devoir garder le visage froid, devoir rester sur sa lancée acrimonieuse.


-------------------


Repos Le squelette des arbres d’hiver lui font penser au sien qui ne cesse de la faire souffrir. Chaque nuit est un problème tant son corps l’encombre et l’empêche de s’endormir. Alors, cette nuit, elle a pris sa décision. Avec mille précautions, elle a dévissé sa tête, l’a posée doucement sur l’oreiller puis a laissé son corps s’installer à sa guise. Ses yeux l’ont surpris à s’étirer, se tourner dans tous les sens, se mettre en boule pour finalement s’étaler majestueusement sur toute la surface du lit. Quelques soubresauts, de longues et profondes respirations puis il a cessé de remuer et s’est endormi d’un coup, totalement apaisé. Sa tête l’a regardé, jalouse de son aptitude au repos, presque déçue de sa désinvolture. Elle a bien tenté de repousser les pensées qui l’asticotaient, a voulu être méthodique, les rangeant par priorités, rien n’y a fait ! Les yeux grands ouverts, elle a parcouru son corps, voluptueusement plongé dans le monde du sommeil et a continué à converser avec ses réflexions, ruminant ses préoccupations, méditant sur l’absurdité de son sort. Au petit matin, ses yeux se sont fermés tout seuls, sa tête a roulé pour se retrouver à sa place, lourde, épuisée, totalement vidée alors que son corps s’éveillait, délicieusement reposé.


-------------------


La seconde maison de la petite rue avait, au fond d'une profonde embrasure bordée d'un bandeau moyennement large, badigeonné de blanc, découpée dans l'enduit ocre pâle un peu usé de la façade, une porte assez étroite et plutôt haute, simple assemblage de bois, parfaitement soigné, poli et ciré, orné d'une simple moulure et d'un bandeau transversal portant un bouton de laiton, si parfaitement banale et ordinaire qu'elle aurait pu illustrer le mot porte dans un livre de lecture ou la lettre p dans un abécédaire un peu vieillot.


-------------------


Une fois sur place, il avait vu que les lieux n’avaient rien du bout du monde désolé que l’imagination avait dessiné comme cadre nécessaire de l’acte qu’il savait s’être déroulé ici. Ce n’était pas une bordure ensauvagée d’une maison solitaire et délabrée, à laquelle un unique chemin aurait mené depuis la grand’ route au loin, et le long duquel, approchant d’ici, on aurait vu avec la vieille bâtisse et le pauvre puits qui lui tenait compagnie les deux premières constructions humaines hors de la route depuis des dizaines de kilomètres. Il y avait en fait du voisinage, quelques maisons de part et d’autre, et en face, alignées face à la rue qui menait au centre-ville. Il n’avait pas eu besoin d’être loin de tout, de cette autorisation psychologique et de l’apparence de discrétion, pour le balancer dans le puits fiché au milieu de la pelouse bien tondue, juste derrière la maison. L’autre avait dû se pencher, dû se laisser convaincre qu’il y avait quelque chose à voir au fond, et se faire pousser dans le dos, en plein après-midi, à un moment où il avait fallu compter sur la chance pour que les voisins soient ailleurs, ou du moins pas dans leur jardin, ni derrière leur fenêtre à regarder s’il n’y avait pas un peu d’animation, à côté, de l’autre côté de la haie. Un regard panoramique, personne en vue, l’autre penché au dessus du puits, on n’a plus qu’à le pousser au fond d’un grand coup, lui soulever les jambes subitement pour qu’elles décollent du sol et que tout le corps soit emporté dans le même mouvement dans le trou. Il n’y avait pas d’eau, mais c’est profond, ça a dû taper un coup sec en tombant, et être terminé. Pas de voisins dans leur jardin, personne en vue, personne n’a vu, terminé.


-------------------


Il avait longtemps pensé qu'ils avaient un cerisier du Japon. Sa femme en prenait soin, taillait ses branches et s'extasiait devant ses fleurs. Sa femme était morte aujourd'hui, mais Eugène continuait à regarder l'arbre se développer avec un débordement de créativité car il n'osait rien tailler. Pourquoi avait-il fallu que la voisine vienne ternir ce souvenir et lui montrer, fruit coupé en deux à l'appui, que son cerisier était, en réalité rien d'autre qu'un pommier chétif qui donnait des fruits minuscules... Une tasse de café à la main, une moitié de pomme dans l'autre, elle arborait un rictus triomphant de mégère victorieuse. C'en était trop. Eugène saisi sa voisine à pleine taille et la balança par le balcon de l'étage de sa maison. Elle atterri la tête la première sur le pavé, son sang giclant jusqu'aux racines de l'arbre en question.


-------------------


Martin les a comptés à quatre reprises. La première fois sans méthode. Il a ouvert tous les sachets et vidé leur contenu dans les récipients qu'il a trouvés dans sa cuisine bol, casserole, saladier... Puis il les a dénombrés dans chaque récipient, noté sur une feuille la somme, avant d'effectuer l'addition pour arriver à 807. Il se doute bien avec un chiffre pareil que ça ne va pas, que ça ne peut pas aller. La deuxième tentative ne donne guère mieux, jugez vous-même : 805. Il décide d'appliquer une méthode, fait des groupes de vingt, et hop !, retour à 807. Bon, et si on passait au paquet de dix ? Ça donne quoi Martin ? 807. Ah, ça ne s'arrange pas. Bilan des courses : 807, 805, 807, 807. Cette histoire de comptage commence à vous agacer, c'était prévisible. Alors, il me faut expliquer. Martin compte des M&M's. Et il en veut 808, exactement. Car Martin a une idée fixe, pas celle de compter des M&M's : il veut se venger de son chef. Ce dernier le surnomme M&M's, et Martin n'en peut plus. La 808e fois fut celle de trop. Il sait qu'il y en a eu 808, et non 807, encore moins 805. Il le sait parce qu'à chaque fois, il a tracé un bâton sur son carnet et qu’aujourd’hui il y a combien de bâtons ? 808 ! Finalement, vous suivez quand même. Ce quolibet, son chef en est fier. Il l'appelle ainsi parce que le nom de famille de Martin, c'est Martin. Eh oui, ses parents, sûrement aussi drôles que son supérieur hiérarchique, ont trouvé "rigolote" cette identité tautologique. Tout comme ses camarades de classe, de club de sport, et de travail à présent. Martin estime que ça suffit. Et injustement, mais bon, la justice dans ce pays, on sait ce que ça veut dire, donc, injustement, il a pour projet de faire payer son chef pour toutes les brimades subies durant sa vie. En gros, et pour reprendre ses mots "il va les bouffer les M&M's". 808 pour être précis. Le voilà maintenant devant la boulangerie, pour acheter un sachet supplémentaire.

-------------------

Soleil masqué, scepticisme des jours d'aplomb. À l'aube tu iras écouter aux portes des temples les supplications et les lamentations des foules, et leurs imprécations. Tu en éprouveras un certain vertige. Alors des distances se créeront qui te donneront la certitude du présent. Alors le temple se vide. Tu pars, la nuit revient. Un temps, tu te sens transparent. Alors ton œil brille et se reflète au dedans. Alors tout message disparaît. Seuls les signes et leurs cadences insensées. Quelque chose de fuyant t'assaille. Tu ne fais pas attention. Tu trébuches, tu manques de vaciller, tu te reprends, tu résistes. Tu te concentres. Tu fulmines. En un déclic, une autre harmonie s'établit. Tu contemples tes durées tu estimes le temps des cycles les rythmes te sidèrent. Tu te concentres sur quelque chose d'ouvert dans ton expérience immédiate. Tentatives de perspectives. Un temps tout te semble insignifiant, cela t'est indifférent. Tu n'attends plus vraiment de savoir ce que tu attends. Tu contemples en toi ce qui vient à se représenter, bribes qui en toi s'agrègent se désagrègent. Lignes de fuites. L'incidence d'un angle précis aura sollicité ton attention. Alors, comme un point fixe, réel par défaut, butée, bornée, obstinément et par à-coups, l'obsession revient, implacable.