dimanche 28 février 2010

108 : samedi 27 février 2010

Julien de la Rovère, se tenait sur la terrasse de son palais, dans la chaleur qui montait avec la fin de cette matinée, et regardait le Rhône, les collines boisées, le fort Saint André, sans les voir, juste conscient de leur présence. Il savourait, songeait à autre ville, la mère, Rome, à autre fleuve, paresseux, le Tibre, et à Alexandre VI. Un petit sourire des lèvres maigres. Sa force. L'arrivée imminente de César Borgia, le pardon, la brièveté de sa disgrâce. Un petit sentiment de puissance. Le plaisir d'être, à nouveau, archevêque et légat, la satisfaction de l'œuvre accomplie dans la ville, la remise en ordre des collèges, du chapitre, des statuts de la ville, et, dans son dos, cette bâtisse, ce palais, qu'il avait repris d'Alain de Coëtivy, et embelli, qu'il préférait à son logement dans le dur palais pontifical de l'autre côté de l'esplanade. Et puis les nouvelles qu'il recevait de ses partisans, et un espoir encore vague. Une vraie puissance, un vrai pouvoir sur l'église, et la pierre, pour poser sa marque, pour créer aussi et assouvir la passion qu'il en avait. Il entendait les voix, les rires, les coups de marteau, les commandements des charpentiers qui dressaient le décor noblement fastueux qu'il destinait à l'orgueilleux accueil de l'envoyé.

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Depuis de nombreuses années pendant nos balades, nous nous étions régulièrement moqués des chasseurs, ces bandes de moustachus avinés en tenues militaires, qui ponctuent leur communion avec la nature de coups de feu précipités et subits. Puis nous commençâmes à trouver nos promenades champêtres et forestières trop brèves, et nous cherchâmes à les prolonger par quelques activités propices à la contemplation. Nous nous adonnâmes alors à la pêche, en bord de rivière, en plaisantant de temps à autres quant au fait qu'un jour l'un de nous recevrait du plomb venu d'une moustache tenant fusil. La pêche était agréable, nous avions nos habitudes dans quelques beaux sites en bordure de sous-bois, ou plus au nord où la rivière fait un coude pour contourner un escarpement. Tuer le poisson après qu'il avait mordu à l'hameçon et que nous l'avions tiré de l'eau nous avait un peu remué les premières fois, puis c'était devenu pour nous la chose la plus normale au monde, et même, elle s'était avérée un peu savoureuse. Non que nous prenions goût à cette violence elle-même où que nous étions devenus cruels, mais ce moment consacrait un nouveau rapport que nous avions avec la nature, une nouvelle forme de relation et de contact avec d'autres espèces, et ceci entraînait chez nous un nouveau regard sur l'étendue des lieux agrestes que nous parcourions familièrement depuis longtemps, car nous commencions à comprendre le comportement des animaux que nous avions goût à capturer. Que nous avions grand goût à manger également, pour la saveur de ces poissons mais surtout pour la saveur de notre implication dans la capture qui nous les donnait à manger. En quelque sorte, par la pêche, nous étions devenus chasseurs, et la violence que nous avions toujours refoulée en nous trouverait bientôt à s'exprimer directement, maintenant que nous n'avions plus aucune réserve sincère quant au fait de battre les champs et les forêts un fusil aux mains et des cartouchières à la ceinture.

samedi 27 février 2010

107 : vendredi 26 février 2010

La symétrie de son appétit pour la viande rouge et de son appétit sexuel était un peu trop grande pour ne pas sembler forcée, fabriquée, mais lequel des deux exagérait-il ? Les deux peut-être. Il se pouvait tout à fait qu'il n'aimât point spécialement ni le coït ni la chair de bœuf ingurgitée saignante. Combien d'années dans ce cas tiendrait-il, à surjouer ses fornications de brute avant de se ruer dans cuisine pour faire baigner du steak dans du beurre tenu en ébullition au fond d'une poêle, laissant au lit mi-choquée mi-ravie, ou presque complètement choquée et tout à fait dépitée, une jeune femme incrédule quant à la bestialité de celui qui jouait les gloutons à quelques mètres de là ? Parce que personne n'était plus que lui-même navré par son comportement, il agissait comme un sale type, pensant qu'il n'avait d'autres possibilité d'être un peu moins détesté. Mal barré, c'est-à-dire. Baiseur furieux et carnivore tout autant en attendant, la plus facile des difficultés qu'il avait trouvée à se coltiner comme la sienne, puisqu'il ne couperait pas à une sévère, de toute façon.

vendredi 26 février 2010

106 : jeudi 25 février 2010

Il était parti s'installer par delà les montagnes, au fond des plaines arides, et y avait fait bâtir un parallélépipède de béton, dans lequel un petite pièce accueillerait ses jours, et qui abriterait le grand bateau. Il fallut attendre le plein été pour entreprendre le transport du bateau au travers de la chaîne des montagnes, le long des routes en lacets porté par de petits véhicules, pendant qu'à l'arrière du convoi, il ne quittait le vaisseau du regard que pour scruter le ciel vide, et le soupçonner d'attirer au dessus d'eux des nuages qui feraient pleuvoir sur le bateau. Il ne plut pas, et ils purent entreposer la grande embarcation dans la bâtisse de béton neuf sans qu'aucune précipitation ne soit venue poser son humidité sur la coque, ni sur le pont et les cabines. Ici, au beau milieu de la plaine la plus sèche du continent, le risque de la rencontre d'eau et du bateau étaient infimes, et aussi nulles qu'elles peuvent l'être sur Terre les probabilités de tout usage du vaisseau pour la moindre flottaison. Il avait écarté autant qu'il était possible tout motif de peur.

jeudi 25 février 2010

105 : mercredi 24 février 2010

Je suis et reste figé là, au milieu de nulle part. Absent. Et pourtant… Tout déborde autour de moi. Des personnes, des mots, des sonneries de téléphones stridentes. Bientôt comme une rumeur qui se formalise auditive, le bourdonnement des paroles sourdes se mêle à mes pensées comme des accélérateurs de fuite. Ailleurs. Je n’écoute rien mais à mon insu j’entends tout. Lancinantes, les litanies aimables envoyées à une population de chalands m’accablent de leurs sirupeuses rengaines. Le sourire s’entend au téléphone. Le cynisme aussi. Le client est roi. Courbettes et bassesses aussi. Sacro-saints individus sur lesquels on transfère le pouvoir, élevés au rang du divin, tous souverains d’une royauté consumériste nauséabonde. Et les téléphones raccrochés, s’abattent sur eux les pires railleries générées par leur préciosité projetée. Je suis et reste figé là, au milieu de l’espace ouvert. Pris dans mon open-space, je regagne ma bulle.

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Ils ne ressemblent pas de plus en plus à Barbet Schroeder et à François Bégaudeau, mes deux lascars d'indics qui traînent au coin de la rue, à faire on ne sait quoi, comme doivent faire les indics, être là à un coin de rue à ne pas faire quelque chose dont qui que ce soit puisse dire ce que c'est. Regarder, parler, rester planté là, partir dans deux directions différentes, et plus tard revenir pour se retrouver au même endroit, converser à nouveau en faisant le pied de grue. Je ne les avais pas remarqués tout de suite, ces deux-là et leur manège de badauds à temps plein, il a fallu qu'ils s'impriment dans le décor à la manière de feux tricolores ou d'une enseigne de pharmacie pour qu'ils m'apparaissent comme étranges, de la façon dont il est étrange pour des êtres humains de faire autant partie du décor, et quasiment de la même manière, que des feux tricolores ou une enseigne de pharmacie. Commençant à les observer et à m'intéresser à leur cas, je leur trouvai à l'un et l'autre de vagues ressemblances avec d'autres visages, sans vraiment identifier lesquels. J'ai fini par attribuer au brun maigre une approximative ressemblance à François Bégaudeau, et au chauve une ressemblance approximative à Barbet Schroeder. En fait, leur visage ne sont que peu similaires à la figure de ceux dont ils sont selon moi les sosies, mais les voyant, j'identifie la ressemblance que leur ai un jour prêtée. Mon souvenir d'une ressemblance possible a pris valeur de ressemblance effective, pour ces deux là dont l'activité ressemble trop mal à la flânerie pour ne pas s'avérer être celle d'informateurs au service de la police.

mercredi 24 février 2010

104 : mardi 23 février 2010

Il les a vu danser autour de l'homme qui grognait et faisait hurler ses entrailles, les bras tendus dessinant des cercles et des hiéroglyphes d'air. Dans la cabane de bois branlante au fond du chemin qui traverse la luxuriance, dans la clairière humide des exhalaisons de sève, ils les a vus, à la nuit tombée autour du feu. Les corps des morts qui dansent. Une fois que le neuvième est mort, on fait d'eux-mêmes se lever leur corps pour qu'ils dansent ce qu'ils n'ont pas dansé et qu'ils auraient dû, pour qu'avant d'en disparaître ils animent l'air de l'amour et de la violence qu'ils n'ont pas délivrés tant qu'ils vivaient, l'air que les futurs morts respirent. Il leur faut être neuf, réunis et morts pour que la fureur des entrailles qui hurlent les danse autour des flammes, debout sur leurs dix-huit pieds et à pas lents, les gestes raides et assurés. Neuf dansant et morts, il les a vus.

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Je reste là, à côté de la fenêtre donnant sur la cour, le vide, le mur, les fenêtres des salles de bains et, plus petites, des wc de l'autre immeuble, sur ma chaise paillée, dos redressé et raidi, et mes bras s'abandonnent, mes mains posées sur mes genoux, mes mains qui tiennent cette lettre que j'ai lue, que je ne veux plus voir, cette lettre dont les mots demeurent comme un écran entre moi et ce peu qui m'entoure, dans lequel je voudrai trouver issue, appui pour franchir cette sidération qui m'a envahie. Je reste là, et puis je commence à entendre, à nouveau, la voix d'alto, « le voyage d'hiver ». Je reste là, et doucement mes épaules se libèrent, quittent la barre de volonté crispée que je leur imposais, en un instinctive défense ; je plie le cou ; je baisse les yeux sur le bois de la petite table, la douce surface, le jeu précis des veines du bois, étoile doucement soyeuse. La table que nous avions ramenée triomphalement, je te le rappelle à voix basse, pour le plaisir de ce nous qui n'est plus, qui ne sera plus me dit ta lettre que je tiens toujours. Ma main droite la quitte, ouvre le tiroir, repousse une pelote de ficelle, des petites piles électriques, un rond de serviette en ivoire, crée une place où je pose l'enveloppe, feuille et mots enfouis, enfermés en elle. Je ferme le tiroir. Je me lève. J'ouvre la penderie. Je prends un manteau et, en l'enfilant, j'éteins la chaîne. Je sors. Je vais marcher.

mardi 23 février 2010

103 : lundi 22 février 2010

L’obscurité était d’une consistance palpable. Baigné dans le liquide noir de cet air épais, la possibilité de toucher autre chose que cette matière souveraine eût dû lui paraître un événement considérable. L’intensité menaçante de la nuit qui le dévisageait ne laissait pas attendre de rencontre qui ne soit brutale. Ce que ses doigts ouverts venaient de trouver n’était pourtant qu’un mur, dont la surface était attendrie par ce qui devait être un papier peint recouvert d’une épaisse couche de poussière. Il constata à peine qu’il n’était pas surpris ; sa conscience de la réalité matérielle n’était pas si lointaine. En parcourant le mur de ses mains, il trouva vers la droite une embrasure de porte, sans porte. Tâtonnant toujours, il s’y glissa. Une lueur était là, comme sans source, quelques mètres plus loin. Il marcha lentement vers elle, dans une grande indifférence. Il vit ses pieds dessiner des ombres sur le sol faiblement éclairé. Un profond remous tourmenta brusquement l’espace sur sa droite. Tournant la tête il n’eut le temps de voir qu’une lumière violente qui lui frappa sauvagement le crâne. Rendu très lucide par ce choc, physiquement intègre, son réflexe fut de fuir. Il courut à pas précis le chemin à rebours : tout droit, à droite, à gauche, à droite, coup de pied dans la porte, cinq mètres jusqu’à la grille dans l’orange des lampadaires, escalade de la grille sans savoir comment, course dans la rue par la gauche jusqu’au souffle coupé. Il s’assit sur le trottoir, adossé à un muret. Pendant qu’il attendait que son cœur et ses poumons se calment, son indifférence remonta à la surface, d’où elle chassa la lucidité électrique qui avait fait courir son corps depuis une minute, deux minutes peut-être. Il ne pensa même pas qu’il pouvait être rejoint par ce qui l’avait frappé, et d’ailleurs rien ni personne ne le rejoignit. La seule pensée dont il était alors capable était de rentrer. Rentrer. Il marcha donc, calmement, jusqu’à la gare dans laquelle il ne remarqua personne, acheta un billet au distributeur automatique, l’introduisit dans le composteur, passa dans le tourniquet, et attendit sur le quai, assis sur un banc.

lundi 22 février 2010

102 : dimanche 21 février 2010

"Je vous écris d'un pays lointain" (4) Envoyé trois lettres déjà, et dit tellement peu d’ici : sans doute que trop stagnant pour mes yeux. Beaucoup ces rues, ce ciel. Beaucoup ces arbres. Beaucoup ces villes. Et puis, la plaine, ici. « Horizon mort », on dit ici. Parfois, le soir, quand étalement sang du soleil, on dit qu’ainsi sur l’océan. J’ignore, comme tous ici. Rien que paroles innocentes, mots recueillis et qu’on répète. Parce que trop de distances pour l’océan, et trop de dangers d’aller là. Un vieux livre dans ma bibliothèque, où prose des voyageurs (grand temps des cœurs fermes, alors, grand temps des clés d’or et des hommes-songes). Disent qu’avant joindre l’océan, déserts où s’évanouir en grand silence, des dizaines y mourir, que là tempêtes sans plus dormir, et nuits aussi coupantes que le jour, puis montagnes extasiées où les pierres froides, où souffle bref et pensées lentes, marcher tête basse la crainte en gorge (grande crainte que celle sans nom), et enfin fleuve, si large tel qu’en rêve même personne y naviguer, même les hommes-songes seulement marcher le long, longue marche où les raids des Hommes-du-Vent, et souvent le sang sur leurs glaives (beaucoup d’horreurs dans ces pages vieilles). Si tant est difficile, que pour eux, alors, grande récompense se tenir devant l’Océan. Mais pour nous, plus que des mots où le souffle des morts. Et l’océan si loin. Bien à vous, …

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Profonde chaleur du bois. Dureté, épaisseur de la porte en bois. Masque de belle facture. Masque de métal sombre. Laideur décorative. Il me plaît. Il me réfute, me moque, me rejette. Autour de lui, le bois solide de la porte fermée. Vous n'êtes pas là. Derrière moi, les passants, les voitures, la lumière et le bruit de la rue. Vous n'êtes pas là. L'interphone est muet. Le masque me regarde. Pourquoi est ce que je ne pars pas ? Vous n'êtes pas là. Attendre, un peu, que le besoin de vous s'efface. Attendre un peu que mon esprit m'offre un but, une suite. Et je partirai.

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Lorsque à la fin s'évaporera tout le marbre que nous avions fondu et que ne danseront plus les cordes pour nous pendre, nos corps rongés par les effluves et tout devenu poussière, et les ondes du tonnerre qui de tout balaieront la poussière, les fantômes de nos monuments qui seront nos âmes manquantes, à jamais perdues et errantes dans le grand dehors sans horizons ni bords, à la lisière de nous-mêmes nous n'auront plus d'intériorité ni d'antériorité. La musique n'aura plus de son et nos corps n'auront plus d'amour, nous n'auront plus à mourir ni plus de morts. Tous nus dans des images sans lumière, sans espoir ni pensée pour le repos. La souffrance sans lisières ne blesse pas, soyons sans paix et tranquilles.

dimanche 21 février 2010

101 : samedi 20 février 2010

Mais probablement qu'Éric Garcia avait trop peur pour ainsi traîner dans ces environs sans que le loup qui y promène sa gueule considère qu'on était venu si jeter. On dit des chiens qu'ils sentent la peur de ceux qui les craignent, et qu'attirés par cette odeur d'effroi ils viennent droit se frotter à ceux qui ne voudraient rien tant qu'être ignorés. C'est ce qui arriva à Éric Garcia, terrifié à l'idée de tomber nez à nez avec Jean-Yves Verrier, qui loup prédateur et chien méchant était du genre canidé - calmement confiant quant au fait qu'il disposerait un jour fort à profit de cette proie qui n'était pas parvenue à véritablement fuir, tout en n'ayant cessé de s'échapper depuis quelques mois. Son gris anthracite porté comme un glas toujours prêt à sonner, l'Audi haut de gamme de Jean-Yves Verrier avait fini par venir jusqu'aux éoliennes, et se stationner bien soigneusement près du véhicule dont usait pour ses fonctions Éric Garcia. Il n'y avait personne dans ce fourgon blanc dont les portières n'étaient pas verrouillées, et pas la moindre silhouette à portée de la vue de Jean-Yves Verrier. Garcia devait être monté dans une des éoliennes, à faire précipitamment quelques réglages ou contrôles, sans profiter de la vue splendide qu'il pouvait alors avoir sur toute la baie des Pistons, trop pressé qu'il devait être de partir avant que celui qui s'était assis dans son fourgon pour l'attendre ne pointe le bout de son nez. Verrier n'eut pas longtemps à patienter, avant qu'il ait pu écraser dans le cendrier sa deuxième cigarette, Garcia paraissait en ouvrant une porte au pied d'une des colonnes blanches. Marchant d'un pas hâtif vers son fourgon, le chargé de maintenance au service de l'énergie verte allait dans les secondes suivantes avoir une sacrée surprise. Celle d'un cauchemar devenu réel, portant un sourire glacial et affichant la certitude de sa puissance, qui l'interrogerait sur le fonctionnement des éoliennes, sur ce qu'elles peuvent faire et ne pas faire, sans qu'on sache si c'était pour faire l'innocent ou avec derrière la tête une idée, qui lui dirait encore que quand même, ces éoliennes ne pouvaient pas ne servir qu'à rafraîchir comme des ventilateurs les corps et les visages exténués et en nage des clients d'une discothèque spécialisée et à hôtesses qui se serait installée là il y a quelques temps, un établissement du genre à profiter des extras du personnel féminin d'un hypermarché local avec l'accord de son patron, moyennant certaines contreparties, et qui aurait précipité dans sa chute un homme que le sort ironique aurait maintenu dans la fréquentation des éoliennes.

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J'avais perdu tout lien avec la réalité. L'hémisphère droit de mon cerveau boitait, une sciatique mentale, une haine démesurée de tout être intelligent. J'avais décidé de faire des phrases courtes. Brèves comme mon talent. Être nul est souffrance. Ne pas savoir écrire. Rêvé pourtant. Boire oui. Acheminer ses fantasmes. Où vont-ils me conduire. Pas loin. Je ne peux pas. Il ne faut pas se permettre. Non. Trouver son style. Manier la grammaire. Auto-censure. Oui. Peur de déplaire. Jeune poète, non. Jeune, oui. Écrire sur un carnet. Facile d'écrire pour soi. Se mettre en danger. Courir des risques. Un soir de décembre. "Je veux des photos de nous en vacances". Studio. Paris. Écharpe. Escalier. Vingt six ans. Des rires par le passé. Écharpe. Escalier. Police. Pompier. Porte fracassée. Faire court. Cette écharpe qui... Tu me manques.

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Je n'irai pas plus loin. C'est là, de toute façon, au bout de ce muret d'un blanc aussi éblouissant aujourd'hui qu'alors, sous le même soleil franc et sain. Je l'ai fait, m'avait-elle dit, ses sombres iris entièrement découverts apportant à ses mots une conviction dont ils n'avaient pas besoin, tant toute sa personne semblait arc-boutée pour mieux les soutenir, mieux porter cette décision et cet acte. Elle faisait tant d'efforts pour se montrer sûre et ferme que je comprenais, enfin, combien elle était fragile. J'ai eu tant d'occasions par la suite de voir que sa confiance en elle, l'assurance qu'on lui prêtait en général, était une construction complexe et chancelante. Elle luttait en permanence pour la maintenir debout. Mais l'air de défi qu'elle lançait à tous décourageait la plupart de tenter de l'ébranler. Moi c’est au contraire quand je l’ai sentie toute vibrante à l’intérieur de son blindage, ce jour-là, sur cette digue, au bout de cet éclatant muret blanc, c’est au contraire quand j’ai réalisé combien ce choix avait dû être terrible avec si peu de foi en elle pour le porter, que j’ai renoncé. Désarmé, j’ai renoncé à tenter de la convaincre, renoncé à résister à l’émotion qui me submergeait, renoncé à ne pas me sentir séduit.

samedi 20 février 2010

100 : vendredi 19 février 2010

Manque un (7) Alors que Pierre et Paul étaient de retour sur la petite place où ils s'étaient retrouvés plus tôt dans la journée, il y virent Jacques, assis sur un banc le regard perdu, face à la sanisette où ses deux amis l'avaient vu disparaître. Lorsqu'ils l'eurent rejoint, Pierre et Paul lui demandèrent où il s'était trouvé au cours des deux dernières heures, et Jacques n'eut d'autre réponse que de dire qu'il n'en avait aucune idée. Ainsi cette question fut-elle clôturée. Jacques était contrarié car à cette heure-ci, ils avaient manqué le rendez-vous chez M. Maître. Comme Pierre et Paul lui disaient qu'ils y étaient allés pour lui, Jacques leur confirma que la question qu'il voulait poser était celle du mot manquant. L'histoire trouva sa fin lorsque Pierre ou Paul annonça à Jacques qu'il ressortait de cette aventure une réponse à cette question, à savoir que Jacques devait hélas renoncer à l'écriture.

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La rue s'étirait, longue, si longue, tirant ses pas hésitants. La rue s'étirait, et le désespoir ridicule, qui lui en venait, freinait ses jambes, ses pas. Elle avait voulu, son corps silencieusement disait de ne pas, mais maintenant elle ne pouvait que, cheminer vers ce trou au bout, cette ouverture dans le vide de ciel bleu qui était son but. Et trop lasse était pour lever les yeux, en risque de vertige, et pour se haler sur la course des nuages. Alors, pour rythmer la distance, en la morcelant, a regardé les maisons, l'une après l'autre. Et dans ce quartier, humble, un peu villageois, n'étaient pas façades orgueilleuses, affichant, par leurs ornements, les masques, les sculptures, les porches, leur décision de se démarquer dans l'harmonie de leur succession. C'étaient là solides et simples bâtisses de bourg provençal, la marge de la ville, des rangées de murs enduits et nus. Mais elles offraient au regard qui les parcourait la variété de leurs tailles, la différence presque insensible de leurs percements, et puis la gamme douce de leurs couleurs passées sur lesquelles se détachaient les bleus, les gris éraflés des volets, quelques plantes et rideaux, et le pizzicato des taches de lumière. Une amabilité gaie et réservée.

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Ce matin le réveil a sonné trois fois. Neuf minutes entre chaque sonneries : 6h30, 6h39, 6h48. A chaque fois tu t'es rendormi, neuf minutes pour un rêve inédit. Dans le premier ton frère apparaissait en cape de mouton, version revisitée de Peau d'âne. C'est vrai qu'il a toujours été le préféré de ta mère. Le deuxième suintait l'angoisse, tu étais coincé dans une cellule — pas en prison, mais dans le tableau de répartition des charges indirectes, corrigé la veille sur un strapontin du métro. Tu voulais sortir, faire saillir tes angles, mais une formule te rattrapait et t'arrondissait pour te faire rentrer dans la case. Il faut vraiment que tu arrêtes de travailler en dehors du bureau. Passer au roman, dès ce soir. Le troisième rêve a eu le don d'effacer ton ardoise. Tu t'es retrouvé dans le jardin de l'enfance, suspendu entre deux immeubles, fixé par des ponts de singe. Tu voyais la ville d'en haut, tu pouvais sentir la rumeur du monde. C'est ce dernier rêve que tu as tenté de retenir en t'engouffrant dans les entrailles d'Alesia.

vendredi 19 février 2010

99 : jeudi 18 février 2010

Manque un (6) Penauds devant la boutique du bouquiniste, Pierre et Paul se demandèrent ce que ferait Jacques dans cette situation, à leur place à eux qui était depuis quelques heures comme ils le pouvaient à la sienne. Ils l'imaginèrent ruser en se faisant passer pour le requérant quand bien même il aurait été là pour quelqu'un d'autre, et pénétrèrent à nouveau dans le magasin de livres anciens. Pierre ou Paul approcha du patron à béret et lui demanda ce qu'il en serait si c'était lui-même qui lui demandait le mot qui lui manque. Le grisonnant lui répliqua dans son haleine de tabac qu'il en irait dans ce cas tout autrement et qu'il s'en allait de ce pas lui répondre, à lui Pierre ou Paul qui était ici présent. Comme lorsqu'ils étaient tous deux entrés, le bouquiniste fixa longuement le visage de celui qui se prétendait en défaut d'un mot, puis s'assit et bourra pensivement une pipe, qu'il commença lentement à fumer les yeux fermés. Ses yeux s'ouvrirent à nouveau et il se leva, en marmonnant qu'il voyait, qu'il voyait. Il alla chercher un petit volume rabougri en bas d'une pile posée au sommet d'une étagère, retira le plastique qui le recouvrait pendant qu'il descendait les marches de son escabeau et, une fois debout sur le parquet, sembla ouvrir une page au hasard, et au hasard y pointer son index. Sourcils levés et yeux écarquillés, il referma lentement le petit livre et s'adressa à Pierre ou Paul, haussant les épaules : "Je suis désolé, jeune homme, comme il arrive parfois, il me faut vous dire que vous devez renoncer à écrire."

jeudi 18 février 2010

98 : mercredi 17 février 2010

Manque un (5) M. Maître indiqua à Pierre et Paul l'adresse d'un bouquiniste où il avait à dix minutes de marche ses habitudes, qui serait certainement le plus qualifié pour donner à ses amis la réponse à ce qu'il pensait être la question de Jacques, celle du mot qui lui manque pour écrire. Le binôme se rendit aussitôt à la boutique qui fournit à M. Maître nombre des volumes qui garnissent ses bibliothèques, un capharnaüm de tables et d'étagères situé dans une impasse proche du boulevard Victor Schœlcher, où chaque livre est soigneusement recouvert d'un film de plastique transparent. Quant ils dirent au barbu grisonnant à béret que c'était sur l'indication de M. Maître qu'ils venaient ici, l'homme, qui fumait la pipe dans l'échoppe sombre, referma lentement l'ouvrage à couverture de cuir qu'il tenait pour s'approcher. Après avoir sans une parole dévisagé les deux jeunes hommes, il demanda lequel des deux visiteurs cherchait le mot qui lui manquait, puisque certainement, comme toujours, c'est de ceci qu'il s'agissait. Pierre ou Paul répondit qu'aucun d'eux ne manquait d'un mot, que c'était Jacques, leur ami disparu, qui manquait d'un mot, du moins selon les déductions de M. Maître qui les envoyait ici. Le fumeur de pipe demanda aux deux si la disparition du troisième ne les inquiétait pas, et les deux répondirent que, ne sachant pas s'ils étaient inquiets, ils préféraient à choisir ne pas l'être. Toujours est-il, regretta le bouquiniste, qu'en l'absence de celui qui cherche un mot, il était dans la pure incapacité de fournir la moindre réponse.

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Il sort du métro et débouche sur l'une des plus grandes places de la capitale. Pavée, ceinturée de cafés. Les voitures tournent autour d'une statue comme les éléments d'un manège, les piétons se pressent sur les trottoirs au rythme d'une fête foraine. On dirait qu'ils ne savent pas où donner de la tête, ils titubent d'une enseigne à l'autre, ivres de néons dans une nuit d'hiver. C'est dans ce décor qu'elle apparaît, vêtue d'un manteau en plastique sans manches. "Vous n'auriez pas un ou deux euros pour manger ?" Il porte encore son gros Stephen King dans la main, ça ne va pas être pratique pour manœuvrer dans la foule. Il la regarde droit dans les yeux, elle ne lui rappelle personne mais il éprouve un sentiment d'amitié soudain. Ce n'est ni une attirance physique, ni une compassion tirant vers la pitié, quelque chose de plus calme. Sans doute parce qu'ils ont presque le même âge, elle pourrait être sa grande sœur d'un pays lointain. Il prend le temps de regarder dans son portefeuille et profite du moment où il gratte ses pièces, tête penchée, pour réfléchir à ce qui pourrait ajouter de la force à cette rencontre. Entraîné par le mouvement des passants, il n'a pourtant pas envie de s'attarder. Rien d'autre que l'argent ne lui vient à l'esprit. "Tenez, 10 euros, je n'ai pas de monnaie." Son regard s'éclaire, elle fixe tour à tour le visage de l'homme et le billet, comme si c'était une mauvaise blague et qu'il allait partir avec."Merci, c'est gentil", dans un sourire. Il continue son chemin en regrettant de ne pas savoir s'arrêter davantage quand l'étonnement le saisit.

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Sans vraiment comprendre les paroles de... Gimme some good times de Lou Reed D'abord on ne s'attend pas vraiment à ça. Souvent, une chanson débute en vous cajolant, au moins un peu, avant d'envoyer le premier couplet. Mais cette fois-ci il y a ce type qui m'interpelle en causant du nez, qui me brasse aux oreilles des pelletées de phrases absurdes : « Qu'est-ce que t'as fait de mon monocycle ? », « Le prends pas mal mais j'ai bouffé tes plantes vertes. », « Merde, Tonton Sam vient de passer par la fenêtre ! » Je n'y entends rien. Je suis pourtant chez moi, dans mon salon enfin, mais avec l'impression poisseuse de déambuler au travers d'une fête à laquelle je ne suis pas invité. Au fond du corridor – d'habitude il s'y trouve un bac de litière et quelques cartons encore fermés d'adhésif par le dernier déménagement – j'aperçois un attroupement. Je donne un peu du coude et de la tête pour me frayer un chemin, mais ce que je découvre me fait regretter ces efforts. J'aurais préféré sans doute ne pas voir ça, ne pas me laisser engluer parmi les spectateurs de ce numéro sordide. Au fond du corridor quatre hommes, deux paires de jumeaux aux cheveux frisés, d'une maigreur affligeante, qui portent queue-de-pie, haut-de-forme et collants de nylon colorés. Des Frères Jacques héroïnomanes qui chantent et dansent en prenant des poses de grenouilles ridicules. Ils s'accroupissent puis se remettent debout, lèvent leurs jambes sur le côté, aussi haut que possible, en fléchissant les genoux. Les gens ont l'air de trouver ça très chouette, très sympa. L'un des frères se permet même quelques œillades obscènes, semblant encourager les spectateurs à regarder ses collants colorés au bon endroit. Tous les quatre ils chantent (et leurs voix vibrent comme celle d'un vieillard ou d'un chevreau vagissant) un refrain lent, pâteux, que tout le monde reprend en chœur autour de moi. Cela dure quelques longues minutes jusqu'à ce que la queue-de-pie de gauche entrevoie mes lèvres restées closes, seules, au milieu des dizaines de bouches braillant désormais à pleines dents des paroles qui me sont clairement adressées : « Finalement, t'en sais rien, hein ? T'en sais rien en fait... T'en sais rien du tout ! C'est pas vrai, que t'en sais rien ? C'est bien vrai que t'en sais rien... » Leur litanie se répète, assourdissante, cacophonique. J'aperçois une dernière fois les jumeaux, qui agitent leurs mains en ma direction dans un final qu'ils espèrent grandiose, et dans le brouillon des voix qui m'entourent, des gestes qui m'enserrent, je finis par tomber inconscient. Au matin, ma tête repose contre le carrelage et le bas de mon pantalon gît dans les besoins du chat.

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Il avait été heureux, un peu surpris d'ailleurs, que cette réunion l'amène à revenir, pour un soir, dans cette ville. Elle avait changé, mais un peu, si peu, dans le centre, où il avait vécu, où il devait rester. Il ne reconnaissait personne, et ceux qu'il devait rencontrer n'y habitaient pas du temps de son enfance et son adolescence, mais il reconnaissait certaines maisons, sous le fart nouveau des devantures restaurées, des nouvelles enseignes, et ses pas surtout avaient naturellement retrouvé les cheminements qu'il croyait oubliés. Comme le lendemain était un samedi, il a décidé de rester, pour flâner un peu, pour retrouver – il s'est interrogé sur ce désir : début de vieillesse ? page tournée ? – l'adolescent taiseux, révolté et aimant, qui rêvait, s'armait pour le départ, l'éloignement, l'évasion. Il s'est assis, pour un petit déjeuner paresseux, à une table du grand café - et c'était si simple, cela qui lui était alors inaccessible - il est descendu vers la rivière, il l'a regardée un moment, fixant un rameau qui dérivait, il est remonté vers la cathédrale, la place, la douce façade de la Préfecture, il a baillé, il avait faim, et il s'est décidé. Il a marché plus vite, comme quelqu'un qui a un but, et en tournant le coin, il l'a vue. Il s'est arrêté, saisi. Elle semblait plus grande, si blanche, un peu impérieuse, fière de son âge, elle qui était alors, en leur temps, humiliée par sa décrépitude, mais c'était bien elle, étrangère maintenant. Il savait, bien entendu, puisque ses frères avaient eu besoin de son accord, qu'elle avait été vendue, et à Monsieur X. - et Jacques s'était cru obligé de plaider la nécessité où ils étaient, et la belle offre, comme pour s'excuser de ce qui, semblait-il, était à leurs yeux une trahison – à ce Monsieur X dont leur mère parlait en reniflant, parce qu'il était trop riche, et depuis trop peu de temps, puisque son père ne l'était pas, et qui le montrait trop. Et en s'approchant, lentement, en regardant, il se disait qu'elle devait être bien heureuse, la maison, d'être à Monsieur X qui la soignait si bien (et avec goût, le diable d'homme, a-t-il pensé en notant les interventions discrètes, supprimant les ajouts disgracieux commis par la famille au fil des générations, sans reconstituer, faire du faux) et non plus à eux qui s'y accrochaient sans être capables de la voir vraiment, comme on ne se voit pas réellement. Il s'est arrêté devant la porte. Il a levé la main, a fermé les yeux, et caressé le feuillage supportant le tore cintré du portail. La pierre était douce, il l'a cru familière, bienveillante. Il l'a saluée avec humilité. Il est parti.

mercredi 17 février 2010

97 : mardi 16 février 2010

Tu es entré dans ce bar en trébuchant, le teint jaune, voûté, et tu t'es affalé sur la première banquette que tu as vue. Tu étais très en avance. Tu t'es donc rongé les ongles en soupirant, encore et encore, en attendant l'une des innombrables ex-femmes de ta vie. Cette façon de soupirer que tu as, comme si tu étais à l'agonie, c'est ta spécialité. Tu as commandé un alcool que tu ne supportes pas, mauvais pour ton foie mais après tout, à ce stade... Que vas-tu lui dire ? Comment t'y prendre ? A cet instant tu ne le sais pas toi-même. Le plus important c'est de conserver une porte de sortie pour ta pomme. Selon son attitude, tu décideras peut-être finalement de ne pas aborder le sujet qui te préoccupe. C'est ce qui fait dire aux gens que tu es bizarre. On voit bien que tu prépares quelque chose, mais on ne sait jamais quoi. Tu inspires naturellement la suspicion. Ce que tu voudrais savoir dans le fond, c'est comment reparler à tes filles. Plutôt que de leur poser directement la question et d'entendre leurs réponses trop claires, tu préfères rappeler cette femme qui t'a quitté il y a trente ans. Ta devise : "pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?" Ton côté shadok a quelque chose de touchant il faut bien le dire. Cette femme n'a pas refait sa vie, elle doit garder une certaine empathie à ton égard. Elle ne va pas t'accabler. Au fond tu viens témoigner auprès d'elle de ta souffrance. Tu vas peut-être même te mettre à pleurer. Finalement c'est toi la plus grande victime du mal que tu infliges continuellement à ceux qui t'entourent. Tu oses le croire. Tu vas encore plaider aujourd'hui. La belle affaire ! Elle entre, le visage brouillé, en boitant légèrement à cause d'une sciatique. Tu lui fais un sourire en forme de grimace puis tu te lèves gauchement pour l'embrasser, bousculant la table au passage. Le verre et la carafe vacillent dangereusement mais ne se renversent pas. Tu appliques deux bises bien sonores sur ses joues, comme ta mère t'a appris. Elle est plus laide que dans ton souvenir. Elle a bien pris vingt kilos depuis vos vingt ans. Ses cheveux ont blanchi. Évidemment. Tu as vraiment envie de chialer pour le coup. Toi aussi tu as des tâches de vieillesse qui apparaissent, sur les mains et le visage. Tu les vois tous les matins. Sale coup. Tu crains déjà de sentir mauvais sans t'en rendre compte. L'odeur de ta chair qui se décompose. Elle regarde ton verre. Du pastis à 11h du matin, c'est pas ton genre elle le sait bien. Elle commande un truc tout aussi aberrant, un scotch on the rocks. L'heure est grave visiblement. Aussi mal à l'aise l'un que l'autre, vous vous jaugez un peu sans parler. Après quelques secondes, tu pousses brusquement vers elle cette magnifique rose rouge dans son papier kraft. Peut-être que ça l'obligera à rompre le silence la première. Avec un mot positif au moins. Merci. Beau tableau, vraiment, que ce couple muet de sexagénaires attablés dans un bistrot de quartier.

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Manque un (4) M. Maître, l'ancien professeur de lettres ouvrit la porte sur Pierre et Paul qui venaient d'y sonner. Le visage des jeunes gens était familier, et l'enseignant retraité localisa au lycée le cadre passé dans lequel ses deux jeunes gens avaient pu s'inscrire dans sa mémoire. Une coïncidence semblait se manifester chez lui sous la forme d'anciennes figures de son passé de professeur, au moment précis où il en attendait une autre. Les deux jeunes hommes se présentèrent, Pierre et Paul, deux amis de Jacques, celui qu'il attendait. Jacques venait de disparaître, ses deux amis venaient donc le remplacer à son rendez-vous afin qu'il ne perde pas de temps quand il réapparaîtrait. Ils allèrent plus droitement au but en mentionnant la question qu'en particulier Jacques souhaitait lui poser, qu'ils ignoraient mais dont ils espéraient que le professeur, lui, la savait. En somme, ils venaient, pour la personne qui avait posé la question, chercher la réponse auprès de celui qui la connaissait. M. Maître ignorait tout des motifs qui devaient lui valoir la visite de Jacques, ce qui sembla d'emblée opposer un cul-de-sac aux deux compères. Dans le salon où le professeur avait tout de même fait entrer les deux anciens lycéens, au milieu des bibliothèques où les tranches multicolores de livres formaient de très régulières façades, le silence s'éternisait. Pierre ou Paul finit par indiquer que c'est en raison de ses nouveaux projets littéraires que Jacques souhaitait rendre visite à M. Maître, et qu'il était probable que la réponse qu'il cherchait soit de l'ordre du conseil d'écriture. Le vieux professeur leva le sourcil doit pendant qu'il fixait longuement l'horloge face à lui, puis lâcha que Jacques voulait probablement lui trouver le mot qui lui manquait, comme le font tous ses anciens élèves, lorsqu'ils viennent lui rendre visite quand ils entreprennent d'écrire.

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Quand je remonte la longue rue qui me ramène chez moi, en général, il ne se passe rien. La rue est en pente, droite, austère, sans magasins, ni restaurants, avec le ciel en point de fuite. Voici une rue qui ne fait aucune concession à la société de consommation. Elle aligne une perspective d’immeubles de bureaux, en pierre ou en béton, construits sans recherche architecturale sur 5 ou 6 étages rythmés de baies vitrées rectangulaires. A cette heure en début de soirée, les employés ont déserté. Les fenêtres sont noires dans la pénombre nocturne et ne racontent rien. La rue ne fait pas d’effort pour se rendre avenante. Ni miséreuse, ni cossue, elle se montre cash, avec ses entrées aux doubles portes vitrées protégées de grilles qui ne cachent aucune arrière cour pavée discrètement verdoyante. Sans état d’âme, elle se consacre à des activités administratives de compagnies d’assurance et de sociétés de services.

mardi 16 février 2010

96 : lundi 15 février 2010

La lourde porte de bois se ferme. Elle avance. Le trottoir, les voitures, les passants. Elle marche et s'étonne presque de le faire si bien. Puisqu'elle n'est pas là. Pas encore consciente. Et surtout pas de ce corps. Elle ne veut pas penser à lui. A ce qu'il lui fait, à ce qui l'attend. Elle sait seulement, elle ne sait que cela, qu'il y a... Elle est contente d'elle, de son calme quand la femme, le médecin, c'est vrai c'est un médecin, a prononcé le mot, lui répondant. Parce qu'elle n'a pas supporté les mots apaisants. Et elle a su poser calmement des questions, discuter de ce qui allait être fait, être pratique. Parce que c'était plus facile. Mais elle croit qu'elle a été bien. A vrai dire c'était si étrange, juste des phrases comme on peut en lire - elle jouait son rôle. Il en reste, elle le sent, ses joues figées autour d'un petit sourire, qui, d'un coup, l'insupporte. Elle s'applique à l'effacer, et, peu à peu, reprend conscience d'elle, cela qui avance, les muscles, la peau, et puis le contact du soleil. Elle lève les yeux vers les branches dénudées des arbres qui bordent la rue, et, oui, le ciel est pur, d'un bleu qui commence à s'effacer avec le soir. Elle se souvient avoir pensé, tout à l'heure, qu'elle avait de la chance. Ce temps presque printanier, un cadeau qui lui était fait pour cette demie-journée de vacance qu'elle s'offrait, sous le prétexte de... et là, brusquement, elle sent une boule, non une houle, qui se rue dans sa gorge. Elle s'arrête, crispée. Elle se calme. Elle doit se calmer. Elle devra être calme demain, en annonçant, au bureau, ils doivent savoir. Comment... et puis elle ne peux plus. Elle fouille dans son sac, elle sort son téléphone, elle appelle, et – est-ce une chance ? – sa soeur répond, elle ne sait plus laquelle – nous avons toutes la même voix, la seule chose.. Elle lui dit, brutalement. Et puis elle s'excuse. Elle dit qu'elle rappellera. Que ça va. Mais que c'est elle qui rappellera. Et elle repart. Elle a un peu honte. Mais voilà, c'est vrai, et elle n'est pas seule.

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Manque un (3) Pierre et Paul examinèrent les alentours immédiats de la sanisette, puis balayèrent du regard toute la place, entrèrent dans l'église puis dans le square, observèrent enfin les rues adjacentes. Aucune trace de Jacques, il s'était tout bonnement volatilisé. Il n'aurait pu chercher à les semer, c'est lui qui avait tenu à ce qu'ils l'accompagnent, et s'il avait changé d'avis et finalement préféré aller seul à son rendez-vous, il se serait simplement contenté de le dire à ses deux amis. Le phénomène semblait tout à fait incompréhensible, voire paranormal, aussi Pierre et Paul n'essayèrent pas de le comprendre ni de l'expliquer. Ils s'en tinrent à ce constat : Jacques avait disparu. Parce qu'ils étaient d'une part venus pour ceci, et parce qu'ils pensèrent d'autre part que cela serait utile à Jacques quand il allait reparaître, ils se rendirent alors chez l'ancien professeur de lettres à trois rues d'ici, afin de recueillir auprès de lui la réponse à la question particulière que Jacques souhaitait lui poser, bien qu'ils ignoraient tout à fait cette dernière.

lundi 15 février 2010

95 : dimanche 14 février 2010

"Je vous écris d'un pays lointain" (3) Tellement je voudrais dire, mais quand les mots butent comme aujourd’hui et qu’impossible de démêler les fils… Toujours ainsi les jours du « grand pourtant » (ça aussi j’aurais voulu mieux traduire). Jamais savoir quand eux éclore et refermer l’étreinte. Des mois sans et puis cascades. Pourquoi personne ne sait ici. Mais on le sent vite que jour du « grand pourtant ». Vous connaissez peut-être dedans un autre mot: alors seulement imaginez l’impression qui reste, quand les enfants dans la rue qui vont à l’école, et leurs cris, et tout le matin qu’ils portent et poursuivent, et qu’ensuite le silence et une tasse de café, et que là vous tout froissé d’immobile. Ainsi les jours de « grand pourtant ». À s’asséner regrets, se dire qu’aimer tant avoir force insouciante du mouvoir, brusqueries fracassantes, comme eux quand capables lâcher net l’énergie toute. Au lieu que s’asseoir, et penser trop vastes les heures qui viennent. Ainsi maintenant à vous écrire, sans même sûre que demain pas le même aussi. Mais à quoi bon vous éreinter de tous mes émiettements ? Bien à vous, …

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Manque un (2) Il sembla à Pierre et Paul que d'assez nombreuses minutes s'étaient écoulées depuis que la porte coulissante de la sanisette s'était refermée sur Jacques. Leur conversation s'arrêta un instant sur cette impression commune, qui fut sujette à plaisanteries, puis ils se turent et ne firent que concentrer leurs regard et attention sur cette sanisette, la porte qui restait fermée mais qui ne manquerait pas d'un instant à l'autre s'ouvrir, et Jacques qui alors sortirait pour qu'il aille avec eux deux au rendez-vous avec son ancien professeur de lettres. Plusieurs minutes passèrent encore sans parole ni autre mouvement sur la petite place que celui des branches et feuilles sous le vent, le vol de quelques pigeons et moineaux. Les deux se levèrent en direction de la sanisette, pour aller y frapper à la recherche de nouvelles. Ils furent précédés à la porte de l'équipement urbain par un homme qui entendait en avoir usage et pressa le bouton alors que Pierre et Paul couvraient les derniers mètres. Ils virent la porte s'ouvrir puis se refermer sur l'homme entré à l'intérieur. Ils n'osèrent frapper en la présence de l'inconnu et attendirent sa sortie, qui eut très vite lieu. Après le lavage automatique des toilettes qui suit chacune de leurs utilisations, ils ouvrirent la porte et constatèrent que Jacques n'était pas à l'intérieur, ni vivant ni mort, nécessairement ailleurs car pas ici.

dimanche 14 février 2010

94 : samedi 13 février 2010

La plus grande bibliothèque de Paris (4) Il est lourd, ce bouquin. Il me casse les bras dans mon lit. Mais il me tient tellement à corps que je l'emmène jusque dans le métro. Si je le pose sur les jambes, j'ai des fourmis en moins de deux secondes. Et comme c'est un Stephen King, les fourmis se transforment en asticots, en araignées poisseuses et malgré les néons du wagon, je vois les bêtes ramper. Je dois donc le soutenir entièrement, des deux mains, et maintenir l'équilibre avec les pieds bien à plat sur le sol. J'envie ma voisine, avec son petit livre tout fin. Elle peut tenir son sac d'une main et son roman de l'autre. Le mien, je ne peux pas le lâcher d'un doigt. C'est même lui qui s'agrippe. J'ai du mal à descendre de la rame, une fois plongé la tête dedans. Et si je ne trouve pas de place assise, c'est un drame, car il m'est impossible de le lire debout. Je le porte alors comme on porte un chien mort sur la route vers le cimetière indien. Mais là, c'est bon, j'ai ma place. On ne m'en délogera pas. Je descends à l'avant dernière station de la ligne, vingt bonnes minutes s'annoncent, davantage si j'ai la chance de tomber sur un incident voyageur. Je ne suis plus là.

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Madame Flambier a fermé sa porte, s'est penchée, a saisi les poignées de son cabas de sa main droite, a fait un pas, a empoigné le bois poli de la rampe, a souri machinalement, par habitude, à sa douceur et sa blondeur luisante, preuve des soins de la gardienne, a entrepris de descendre avec ce peu de maladresse hésitante qui lui venait, dont elle prenait conscience depuis quelque temps, ce qui l'amenait à l'accentuer presque inconsciemment, avec aussi un peu d'auto-ironie protectrice. Quelques marches en dessous du deuxième palier, il y avait les dos de Martine Sanchez et Martin Durand, têtes penchées sur un journal tendu entre leurs mains, leurs corps serrés occupant tout le passage. Madame Flambier a toussoté, a dit « bonjour », a poussé son cabas contre le dos de Martin. Ils ont tourné la tête, Martine a souri et répondu « pardon, bonjour ». Martin a soupiré, lâché sa moitié de journal, s'est levé, pressé contre le mur, a constaté que le trou creusé ainsi était insuffisant, est descendu de quatre marches, a levé la tête vers la femme qui a faufilé son début de corpulence en frôlant Martine, l'a salué, lui, d'un hochement de tête en passant devant lui, a continué sa descente. Et pendant qu'il reprenait sa place, elle, une volée de marches en dessous, tendait l'oreille pour savoir par quels mots, quel ton, ils commenteraient la rencontre, et la caractériseraient elle. Mais n'est venu qu'un qualificatif énergiquement ironique sur la déclaration d'un édile municipal.

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Manque un (1) Pierre et Paul était arrivés en même temps sur la petite place où ils avaient rendez-vous. La matinée était douce et la lumière claire, les deux amis prirent place sur un des bancs du parvis de l'église, en bordure de square, pour converser en attendant Jacques, leur ami à l'initiative de cette rencontre matinale. Il arriva quelques minutes plus tard, à l'heure dite pour qu'ils puissent tous trois aller chez son ancien professeur de lettres. Depuis qu'il avait décidé de se lancer dans la littérature, Jacques voulait le revoir. Il avait une question en particulier à lui poser. Après avoir convaincu Pierre et Paul de l'accompagner, il pria l'enseignant retraité de le recevoir. C'est ce matin qu'il était invité à se présenter chez le maître, un peu après dix heures, dans quelques minutes à trois rues de cette petite place. Pierre et Paul connaissaient la timidité de Jacques et sa vieille admiration pour son professeur de lettres de l'époque de la terminale littéraire, ils le connaissaient tous deux de vue, croisé cent fois dans les couloirs du lycée, regardé attentivement à la suite des éloges de Jacques sur la profondeur de la science et la valeur de l'enseignement de l'homme, mais n'avaient jamais suivi ses cours, ni eu de conversation avec lui. Jacques avait oublié de passer par les toilettes avant de venir jusqu'ici, et annonça à ses amis qu'il les faisait patienter quelques instants supplémentaires sur la petite place, où se trouvait une sanisette ; le temps qu'il se mette à l'aise, puis qu'ils se rendraient tous trois à l'adresse du rendez-vous. Pierre et Paul virent Jacques marcher vers la sanisette, y entrer et la porte coulissante se refermer sur lui. Ils commencèrent à patienter, assis sur le banc.

samedi 13 février 2010

93 : vendredi 12 février 2010

Plusieurs personnes ont assisté à la scène, qui se serait déroulée devant témoins. Gérard Leduc, la victime présumée, qui préfère garder l'anonymat, n'exclut pas de porter plainte, ou du moins de se plaindre en général. Aussitôt après l'incident, Jean-Paul Castel (conformément au souhait de M. Gérard Leduc, nous le nommerons ici Jean-Paul Castel, mais c'est bien de Gérard Leduc dont il s'agît ici, que le lecteur ne s'y trompe pas) déclarait aux personnes y ayant assisté, ou ayant du moins été témoin de quelque chose ici ou ailleurs au moment où la mésaventure de Jean-Paul Castel aurait eu lieu, qu'il commençait dès lors à réfléchir à éventuellement devenir une personne plaintive, ce qu'il n'aurait, d'après ses dires, jamais été auparavant. La rédaction prie toute personne qui aurait déjà vu "Jean-Paul Castel" (qui n'est autre que Gérard Leduc, résidant au 28 rue des Minimes, 76000 Rouen) se plaindre de quoi que ce soit de faire parvenir son témoignage à l'adresse suivante : Infos Rouen Métropole Hebdo, Opération "Tous contre Gérard Leduc", 47 rue Boucicaut, 76130 Mont-Saint-Aignan. Toutes nos excuses auprès des personnes réellement dénommées Jean-Paul Castel, l'association de leur nom à ce fait divers est non intentionnelle et relève d'une pure coïncidence.

vendredi 12 février 2010

92 : jeudi 11 février 2010

Je m'étais précipité pour trouver au fond de ma poche mon portefeuille, l'ouvrir, en extraire un ticket de métro et le lui tendre, à elle qui avait demandé à la cantonade si quelqu'un voulait bien lui en prêter un qu'elle rendrait plus tard. Cette précipitation, c'était pour absolument être celui qui lui donnerait, ou lui prêterait, ce qu'elle demandait. Pour être celui qui serait le plus gentil avec elle qui me plaisait tant, alors que je sentais bien qu'elle ne m'aimait pas trop, ou du moins qu'elle était totalement indifférente à mon existence. On était dans la même bande, où de mes bons amis étaient aussi des siens, mais si je ne sais quelles circonstances nous avaient conduits à nous retrouver tous les deux sans les autres, elle n'aurait certainement rien eu a me dire et je n'aurais probablement rien trouvé d'autre que quelques banalités en guise de conversation laborieuse. De tels moments, où nous aurions été seul à seule mais où ça se passerait bien, où ce ne serait pas un silence gêné qui s'étire, j'en rêvais mais sans penser le moins du monde qu'ils puissent avoir lieu, ni du tout savoir comment j'aurais pu m'y prendre pour qu'ils se produisent. Et après tout, pourquoi tant vouloir aller à la catastrophe ? En quoi masochisme et honnêteté suicidaire m'auraient-ils épanoui ? Je m'en tenais donc à de minuscules actes de gentillesse à son endroit, du type faire en sorte d'être celui qui lui donne un ticket de métro, puis être celui qui lui dit que ce n'était pas la peine, quand elle s'acquitte de sa dette miniature. Comme les enfants quand ils tiennent absolument à ce que ce soit eux qui portent à un adulte aimé ce qu'un autre adulte veut lui faire parvenir. Voilà à peu près où j'en étais, affectivement.

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La plus grande bibliothèque de Paris (3) Le froid ne le quitte pas, du bureau à la maison. Le trajet retour est le plus difficile. Il est lourd de tableaux, de relevés d'erreurs et de chiffres ajoutés à la dernière minute. Même sur le strapontin, la journée continue. Il sort son netbook, fiche la clé USB, ouvre le document, rajuste ses lunettes. Il va peut-être devoir se lever à la prochaine station mais a sans doute le temps de vérifier deux ou trois choses pour la réunion de demain. Défilement de cases, de cellules, de virgules et d'entiers. Stop. Ici, la cellule est vide et ne devrait pas l'être. L'ordinateur tenu dans la main gauche, il corrige. Pas facile de se concentrer dans un tel brouhaha. "=Arrondi.sup(cellule;nombre de décimales)" Et 45,15 qui font 46. Il préfère les trajets aller, le matin, quand son cerveau est encore embrumé des rêves figés par le bruit du réveil. Lorsqu'il tente de retenir une image qui s'étiole. Heureusement qu'il rêve encore, sinon le netbook serait ouvert dès 7 heures 30. La tête chauffe sous le bonnet, les doigts sont crispés, mais voici que son quai s'avance. Alesia. Il sort de la rame l'ordinateur toujours en main, l'index collé sur la flèche du bas.

jeudi 11 février 2010

91 : mercredi 10 février 2010

Au bout de la rue, il y avait le désir de découvrir ce qui se dissimulait derrière cette palissade un peu étrange, soignée, avec l'évidence de sa perfection sans atteinte ni traces d'âge, étrange oui, un peu, par sa construction insolite, ce tissage, cette muraille de planches horizontales, rousses, leurs faces travaillées, avec des nervures en rives, se superposant entre des poteaux, comme des remplissages de briques minces entre des piles de ciment, très hautes, avec, aussi, le réseau fin de branchages morts, plantes que l'hiver avait essentialisées, ramenées à leurs squelettes, qui semblait coudre les lattes, dessinant à leur surface une dentelle grise. Et les feuillages persistants, le vert des panaches résineux qui s'élançaient au dessus, avec juste le contrepoint d'un bouquet de rameaux d'un blanc grisâtre, étaient si serrés, triomphants qu'il semblait improbable qu'il y ait, dans cet enclos, place pour quoi que ce soit d'autre, bâtisse, clairière, chemins à part un serpentement étroit entre les troncs. Au cours de mes premiers mois dans cette ville, à chacun de mes passages, je restai un moment immobile sur le trottoir, essayant de deviner, au delà de l'impasse qui la bordait sur la droite, quelle était l'étendue du terrain, son ouverture, imaginant une longue façade qui borderait une autre rue, plus loin, peut être beaucoup plus loin, et derrière la maison, se succédant, pour la promenade ou pour y faire errer des regards ennuyés depuis une porte-fenêtre, une terrasse dallée, avec peut-être l'ombre d'une treille, un espace de terre battue, avec un bassin, une ou deux mauvaises statues se désagrégeant, et des parterres de plantes grasses et fleurs aussi mal tenus que cette clôture, dressée après le petit bois de conifères au fond du jardin, en marchant vers moi, était autoritairement récente. Avec le temps j'ai renoncé à savoir, ne l'aurais plus voulu, et d'ailleurs ne voyait plus l'enclos que comme un repère sur mon chemin.

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Quand à la fin de l'après-midi le jour se fait comme un peu plus clair, avant qu'il plonge dans la nuit, quand il va chercher la fraîcheur au fond de l'air, et que soleil caché lumière rasante irradient blanc le ciel en leur direction. Alors l'espace s'agrandit. C'est à cette heure, dans cette lumière qu'on partirait en voyage imprévu, qu'on déciderait d'aventures. Lorsque le ciel s'ouvre pour donner à nos murs des faces majestueuses, lorsque le froid mord les pieds comme s'ils marchaient en montagne et descendaient vers le refuge un peu avant la nuit, avant le lendemain où la vue s'ouvrira sur toute la chaîne des sommets avant qu'on franchisse la frontière.

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Ces années à l’université m’avaient vu terminer très tard chaque soirée de la semaine, soit seul devant une abêtissante émission de télévision, soit seul devant un abêtissant verre d’alcool qui faisait suite à trop d’autres. Ma solitude dans ce dernier cas était toutefois relative puisqu’entourée de celle de mes semblables aussi seuls que moi avec leur verre, au mieux presque aussi seuls que moi avec le garçon ou la fille dont ils tâchaient, sans succès bien sûr, d’attraper le meilleur de la jeunesse en l’aspirant par la bouche. Comprenant enfin qu’il était vain d’essayer de prolonger plus longtemps le temps béni de l’adolescence, je décidai abruptement de donner la place qu’elle méritait dans mon existence – je m’en rendais compte maintenant – à mon idylle avec la brune enseignante qui jusqu’alors ne l'habitait qu’à temps très partiel. J'avais soudain un goût de trop peu, me demandant pourquoi je continuais à compter sur ces courtes entrevues du samedi ou du dimanche pour magnifier des semaines entières. Je résolus d'insuffler toute la fulgurance possible à l'allure bonhomme de notre amour. Absolument convaincu moi-même de la nécessité de cet extrême changement de braquet, il me fallait maintenant obtenir son adhésion, à elle, dont tout l'esprit aventureux s'exprimait le plus souvent par le choix d'un mot singulier dans une lettre, ou par un mouvement de la jambe droite peu académique pendant un cha cha cha. Il me fallait la prendre par surprise.

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Solange ne sait pas dire non. Pourtant elle s’exerce à la fermeté. Elle la répète cent fois dans sa tête avant la confrontation. Et puis c’est plus fort qu’elle, face à l’importun, elle lui servira exactement ce qu’il a envie d’entendre, avec mille gracieusetés encore ! Hier, elle a été sollicitée sur le boulevard pour participer à un test : l’enquêtrice cherchait des amateurs de camemberts non journalistes, ainsi sont conçus les sondages ; Solange est journaliste depuis vingt ans et ne mange jamais de fromage. Elle s’est logiquement retrouvée dans une arrière salle mal éclairée à goûter puis comparer deux camemberts, après avoir spontanément menti en se déclarant employée de banque et camemberophage. Puis elle est rentrée chez elle, dégoûtée de sa lâcheté, encore une occasion perdue - aussi futile soit-elle - d’affirmer un petit bout de personnalité.

mercredi 10 février 2010

90 : mardi 9 février 2010

Capable de gentillesse, toujours capable de gentillesse. C'est tout ce qui reste quand plus capable de rien d'autre. C'est insupportable, cette gentillesse qui dévore tout, ne présente rien d'autre de soi qu'elle même, qui plutôt ne présente de soi qu'un être nu incapable de tout autre réaction que celle de la gentillesse. La gentillesse comme demande de pardon pour sa propre existence. La gentillesse qui fait mal et expose vide. Cette gentillesse dont on décide, un jour qu'on est au fond d'un désert d'estime de soi et car c'est la seule solution qu'on trouve pour continuer. La gentillesse, qui n'est pas la bonté, est un contenant, pas un contenu. On doit agir avec gentillesse, mais être gentil sans autre acte que la livraison de la gentillesse est comme n'être rien. La gentillesse est un moyen, ne doit pas être une fin. Non qu'une fin ici indique un comportement précisément intéressé, plutôt une certitude de son impossibilité d'aboutir qui s'en remettrait à sa dernière ressource, la gentillesse, pour se faire pardonner son incapacité à quoi que ce soit. La gentillesse en appelle au salut de soi, à la libération du devoir de vivre bien qu'on se sente indigne et infoutu.

mardi 9 février 2010

89 : lundi 8 février 2010

Le parfait sosie qu'il avait trouvé pour le remplacer ne boudait pas son plaisir, ce dont il ne perdait pas une miette depuis les proches parages qu'il n'avait jamais quittés. Il avait quitté femme, enfants et amis mais pas les lieux. Il restait à côté, caché et seul, comme il l'avait voulu. Il était libéré de la vie sociale qui lui était un cauchemar, des relations aux d'autres qui ne lui étaient qu'un poids. Ce qui l'avait retenu jusqu'à maintenant était l'idée insupportable qu'on puisse lui reprocher ses abandons, lui obsédé par la responsabilité voulait la fuir sans d'aucune manière passer pour un irresponsable. Quant il avait rencontré cet homme à lui si semblable, même visage, même posture, même taille, même corpulence, même voix - même voix... -, il s'était demandé stupéfait s'il n'avait pas un jumeau qu'on lui aurait caché depuis toujours. Puis, le souvenir de films et feuilletons où le jumeau est employé comme double lui accapara l'esprit. Son parfait sosie avait des revenus modestes, et même une situation sociale précaire, alors que lui était né très riche et n'avait cessé de toujours l'être davantage au cours de son existence, il lui proposa un marché très simple à comprendre : la moitié de sa fortune, plusieurs dizaines de millions d'euros, s'il acceptait de prendre sa place, dans tous les domaines de sa vie et pour le restant de ses jours, en en conservant le secret total. Après avoir fourni de nombreuses preuves que sa proposition était sérieuse, honnête dans la mesure où l'on pouvait à ce sujet parler d'honnêteté, et la fortune réelle, il était parvenu à convaincre son sosie de devenir son double. La décision de celui-ci avait amplement été aidée par la beauté de la femme qui deviendrait son épouse, par l'élégance de la demeure qui deviendrait la sienne, et par la localisation de ses futures résidences secondaires aux Baux-de-Provence, à New York, Rome et Kyôto. Né très riche et à mesure de l'existence de plus en plus riche, il n'avait jamais travaillé et s'était contenté d'être comme un aristocrate oisif pendant que ses capitaux travaillait pour lui sous la surveillance de ses conseillers financiers. Ne plus jamais avoir à travailler était ce qui avait définitivement fait basculer les dernières réticences morales de celui qui avait donc accepté de devenir le double, et d'avoir la grande vie à la place d'un autre et à sa demande.

lundi 8 février 2010

88 : dimanche 7 février 2010

"Je vous écris d'un pays lointain" (2) Le pavillon où j’habite s’oriente sud-est. Ce qui est parfait pour luminosité et transparence (est-ce ainsi que vous dites ?). L’aube se lève sur la fenêtre de la cuisine. Chaque matin c’est plaisir. Mais ce n’est pas pour ça que je dis sud est. Je parle sud est à cause de la nuit. Pas de toutes les nuits. Mais de quelques-unes par an. Je les appelle nuits palissades. Comme si des palissades sonores et glissantes au dessus du toit. Mais je ne trouve pas d’équivalent vrai dans le dictionnaire. Parce que si difficile de dire l’effet produit quand dans le sommeil et le rêve et que les avions longtemps. Cette continuité qui distend et finit par réveil. Pas le bruit rond des moteurs. Mais l’air qu’on brasse et déplace et le nombre. Car nombreux sont les avions dans le ciel quand ces nuits. Se réveiller, et soulever paupières pour pleurer : c’est grande tristesse ! Grande tristesse parce que ressentir comme une grande enfonçure. Oui, enfonçure nocturne, ces avions baleines, quand penser ce qui de leur ventre crachera sans rechigner. Cracheront là-bas, au sud est, car là-bas qu’ils vont. Je ne voudrais pas, mais si est-ce qu’une lourde nappe qui s’étole sur mon crâne. Bien à vous, …

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La plus grande bibliothèque de Paris (2) Je suis un homme sérieux. A heure de forte affluence, sur la ligne de métro la plus fréquentée de la capitale, je m'arrange toujours pour m'asseoir à l'extrémité de la rame, dans ce coin où les places à six ménagent un peu d'espace — ne dit-on pas que c'est un luxe. Il n'est pas toujours aisé de parvenir à cet éden. Il y a toutes ces femmes, vieilles, enceintes, claudicantes, un enfant dans les bras, parfois tout ça à la fois. Je les laisse passer, diligemment. Ma charpente en impose, mais à grand pouvoir, grande responsabilité. Mes larges épaules servent surtout dans le corps à corps entre représentants du sexe fort, au moment d'entrer dans le wagon. Un point capital : faire part physiquement d'une intention de pénétrer dans le goulot étroit des places à six — se rétracter au dernier moment si une de ces pétasses arrive, mais rester à proximité. Les jambes dans leur torchon à scandale. Les mains baladeuses. Ouf, une place se libère. Enfin à six. J'ai des dossiers. J'ai des chemises en papier, cartonnées, écornées. J'ai surtout mes revues professionnelles. Sérieuses. De l'information fiable, pour tous les acteurs et professionnels de l'immobilier d'entreprise. Je ne rate rien de l'actualité de mon marché, et le savoir me détend. Un peu plus de cran dans ma couenne et j'enlèverais mes chaussures. Que c'est bon de voir la plèbe s'agiter dans l'espace bondé de la contre-allée. Saucissonnés comme des porcs. Je commence toujours par la quatrième de couverture, j'aime parcourir ma revue à l'envers. Décontracté. Pas comme mon voisin, crispé sur son Sudoku. Âne bâté. Taisez-vous tous, je veux lire en paix.

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J'avais décidé d'aller à pied jusqu'en Sibérie, parce que c'est loin et qu'il y fait froid. Et puis grand. Le grand est valorisé parmi nous autres, on aime que ce soit grand chez soi plutôt que petit. Les personnes grandes plutôt que petites. La grandeur plutôt que la petitesse. Personne ne doit dire qu'il ou elle a toujours rêvé de petits espaces, alors que de grands espaces. En terme de grands espaces, j'ai pensé que la Sibérie était idéale, d'autant plus qu'on peut y aller à pied, pas comme le Canada ou la Champagne-Ardenne. Mon idée était d'aller à pied jusqu'aux grands espaces, il n'y avait plus d'hésitation à avoir, direction la Sibérie. En plus, c'est loin et froid, tout pour me plaire. Dans mon sac à dos, des vêtements chauds, et direction plein est. Je marche et je marche, toujours plus avant vers l'est, l'allure et l'expression fières de ceux qui, couvrant de leurs pas la distance des mappemondes, accomplissent des actes qu'on reporte sur les chronologies. Bientôt, toujours plus avant vers l'est, confronté au rude climat continental, je commence à avoir froid et me couvre des vêtements que j'avais prévus. J'ai froid et je commence à être arrivé loin, la Sibérie doit être proche. La surprise de constater que la Sibérie ressemble à s'y méprendre à la France, que les indigènes y parlent français, et que journaux et enseignes de magasins sont tous en français. Que de découvertes ! La nuit va tomber, je me dirige vers une gare que mon trajet rencontre très opportunément, pour revenir à mon point de départ. En Sibérie, on règle son billet de train en euros. La petite ville, à n'en pas douter typiquement sibérienne, où je prends le train du retour est nommée Lagny-sur-Marne. Toute la familiarité de ce décor est décidément très étonnante pour des contrées aussi retirées. Je préfère par prudence ne pas passer la nuit en Sibérie, trop dangereuse, quand on sait comme moi que nombre des prisonniers des goulags sont des criminels de droit commun, assassins, voleurs et violeurs. Quand on sait aussi que la plupart des habitants disposent d'armes nucléaires.

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Il était là devant moi, planté sur sa jambe gauche, la droite légèrement décalée, en avant, le pied tourné vers l'extérieur, un peu comme dans l'attente d'un pas de danse, dans une pose qui donnait une certaine élégance à son corps trapu, malgré l'habit un peu chiffonné, les pans un peu trop longs, la chemise tendue sur l'estomac, et qui sortait un peu du pantalon, à droite. Son visage vaguement poupin se plissait un peu sur le bois luisant du violon, et la bouche, que je voyais de biais, se tordait légèrement, entrouverte en un sourire rêveur. J'étais si près que le pianiste disparaissait derrière son piano, et que l'archet que le poignet plié, cassé, tirait vers nous, pendant que la note montait, s'éternisait, et que le corps se portait un peu en avant, paraissait immense. J'ai fermé un moment les yeux, écoutant la musique qui vibrait dans le silence, dans mon imagination, et puis je les ai ouverts pour regarder encore ce fabuleux dessin que j'aurais voulu emporter.

dimanche 7 février 2010

87 : samedi 6 février 2010

Quelque chose qui coince en bas du dos, comme si un mécanisme s'était mis dans les organes et s'était grippé, comme si les os s'étaient effrités en sable qui serait venu se loger là, là où du métal ne devrait pas être, corps étranger dans un corps étranger à lui qu'il menace et qui vient le menacer. Du métal dans le corps forgé depuis l'intérieur, extrait d'une mine entre les reins, dans les méandres des intestins, un os qui pousse et qui croît au travers là où il ne doit pas, comme si on avait pris du plomb, de la grenaille, de la chevrotine sans qu'on le sache et qui reprendrait vie pour soi en mourant sûrement, en rouillant en partant en poussière.

samedi 6 février 2010

86 : vendredi 5 février 2010

La petite frappe n'avait pas roulé des mécaniques bien longtemps, une fois que les paluches du Stup' s'étaient abattues sur ses épaules. Le caïd de bas étage venait de sortir d'une de ses turnes, il n'avait qu'à peine eu le temps de faire trois pas sur le trottoir qu'une poigne de garagiste sortait d'un angle mort pour lui pétrir menu les trapèzes et les mastoïdo-deltoïdiens. Le Stup' avait tout de suite voulu lui montrer qui était le patron. Pas de formule de politesse, pas de préliminaire, le Stup' n'attend pas que tu sois dilaté quand il sait qu'il peut passer en force, petit mec, t'aurais mieux fait de surveiller tes arrières. Quand le Stup' ne veut pas que ça traîne, il ne la joue pas gentil flic-méchant flic, il la joue double méchant flic à lui tout seul. Et ce n'est pas ce petit rigolo, cette majorette mal sortie de l'adolescence, qui allait demander son reste ou tenter de jouer la vertu du guerrier les reins solides. Tout de suite, le Stup' avait mis cartes sur table, il était juste preneur d'un peu d'informations sur la diversification récente des activités de tu sais quelle bande de Serbes, notamment au niveau de l'import-export d'équipements pour boucheries-charcuteries, si tu vois ce que je veux dire. Juste une petite prise de renseignements, tranquillement, comme quand on va chercher deux-trois brochures au syndicat d'initiatives. La regard de la majorette avait tout de suite trahi qu'elle voyait très bien de quoi il en retournait, mais d'abord elle avait trop les foies pour que sa gorge puisse lâcher le moindre mot. La tête d'un petit lapin au milieu de la route quand il a des phares de bagnole en plein dans les yeux, alors le Stup' avait dû un peu vérifier l'elasticité des clavicules de Lapinou pour lui libérer la parole. "Alors, juste en savoir un peu plus sur le matos de boucherie-charcuterie des Serbes. Se lancer dans le commerce de hachoirs grosse capacité, t'as pas peur qu'ils risquent le conflit d'intérêt ?" Grand truc du Stup', faire croire au mec qu'il en sait plus que ce qu'il connaît vraiment, pour que le gars lâche les tuyaux pensant que le Stup' est de toute façon déjà rencardé. D'aucuns disent au commissariat, parmi les collègues un peu droitdelhommistes du Stup', que ce genre de technique ne sert qu'à faire dire à un gus ce qu'on veut entendre, mais rien de fiable, ni rien de plus. Le Stup', ça le fait marrer, il leur répond qu'à la fin de ses enquêtes, il y a toujours un coupable, et les dossiers toujours classés bien net, propre ou pas, mais bien net, alors que lui, le Stup', les salue et dort sur ses deux oreilles. Bref, Lapinou la majorette avait tout lâché fissa, les Serbes baignaient bien dans le business du hachoir à barbaque grosse capacité, et il y avait plus à en apprendre du côté d'un entrepôt en bord de Marne vers Maisons-Alfort. Le Stup' a laissé la majorette rentrer faire ses roulades en collant rose dans son terrier et est rentré chez lui à pied, seul avec la ville dans la nuit.

vendredi 5 février 2010

85 : jeudi 4 février 2010

Candidature Je vous prie de bien vouloir trouver ci-jointe ma lettre de non-motivation concernant ma candidature pour un stage dans votre entreprise pendant le mois d’août 2010. Mon père me contraint à ces démarches grand-guignolesques pour m’empêcher de passer, peinard, mes vacances sur mon ordinateur. Il ne sait plus quoi inventer pour m’embêter. J’ai effectué il y a deux ans mon stage de découverte de classe de 3ème dans votre entreprise. Déjà à l’époque, il avait été pour moi un long moment d’ennui, sauf le jour où je me suis rincé au picon bière avec un de vos collaborateurs. Aujourd’hui, c’est bien pire : il s’agit de squatter un mois durant dans vos bureaux. Je n’ai aucun intérêt à découvrir avec plus de précision ou de façon plus opérationnelle le monde professionnel dans lequel j’espère bien éviter à tout jamais d’entrer. Cette expérience ne me sera d’aucun apport tant est grande ma détermination de ne rien faire, ni apprendre au cours de ce mois de pénitence. Ne comptez sur rien : pas de dynamisme, aucun sérieux, encore moins de bonne volonté. Pourriez-vous cependant me faire parvenir le menu détaillé de la cantine, qui sera, je crois, les seules heures que je passerai véritablement réveillé dans vos services. Quant aux horaires, pour vous éviter de laborieuses mises au point, je préfère vous informer directement des miens : 10h00-12h00 ; 14h00-16h00. Je vous prie d’agréer l’expression de mon total désœuvrement.

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Je ne sais pas si j'irai seul ou accompagné à la Nouvelle-Orléans. J'aimerais y aller seul peut-être. J'ai décidé qu'on voyageait à la Nouvelle-Orléans pour vivre une histoire d'amour ou pour pleurer une histoire d'amour qu'on y a vécue. Y aller seul, ce sera pour pleurer l'histoire d'amour que je n'y ai pas eue, au cours de la vie que je n'ai pas eue dans le vieux Sud des États-Unis. Certains lieux requièrent notre solitude pour qu'on y souffre la nostalgie des histoires qu'on n'y pas vécues. J'ai un amour néo-orléanais que je n'ai pas vécu et dont je doit porter le deuil, le deuil qu'il ait pris fin, que toute cette beauté ensemble à la Nouvelle-Orléans se soit terminée, et le deuil qu'il n'ait pas eu lieu. J'ai aussi une enfance québécoise que je n'ai pas vécue, quand on se roulait parmi les feuilles mortes aux couleurs si vives, sur la pelouse en automne dans le jardin de nos parents, un peu avant que l'interminable hiver arrive. Il faisait froid déjà, on portait un bonnet sur notre tête de gamin et un manteau épais, mais c'était avant les premières neiges et les températures négatives. On riait et riait dans les feuilles jaunes et rouges sur la pelouse toujours bien tondue, avec notre jolie cousine qui une fois nous avait pris en photo pendant qu'on jouait. Et après, quand le soir tombait, on rentrait à la maison, prendre à la cuisine un chocolat chaud que Maman nous avait préparé, pour moi et le frère que je n'ai pas eu. L'autre frère, le Québécois.

jeudi 4 février 2010

84 : mercredi 3 février 2010

La plus grande bibliothèque de Paris (1) Il voudrait savoir ce qu'elle lit. Elle tient le gros volume ouvert, serré contre sa poitrine, mais la couverture est enveloppée dans un papier blanc opaque. Ses yeux se meuvent d'une ligne à l'autre, par moment sa bouche close s'entr'ouvre et laisse passer un sourire. Elle oublie de respirer, laisse tomber un souffle et tourne la page. Il ne parvient pas à percer le mystère de cette couverture blanche. Il est pourtant assis près d'elle, dans sa diagonale, sur les sièges à quatre où les genoux des voyageurs dodelinent les uns contre les autres. Elle en est au début — mais au début de quoi ? Charonne. Elle lève la tête, le regard inquiet vers la tôle émaillée, puis replonge son museau dans les profondeurs de l'histoire — mais quelle histoire ? Il tend le cou, discrètement. La rame ralentit. Voltaire. Non pas l'auteur, la station. Elle reste immobile, concentrée, son gros sac à main sur les genoux. Combray. Le nom semble surgir du noir, comme un quai éclairé après un long tunnel. "Combray de loin, à dix lieues à la ronde, vu du chemin de fer quand nous y arrivions la dernière semaine avant Pâques, ce n’était qu’une église résumant la ville..." La jeune fille commence la Recherche, une phrase entre deux gares.

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La lassitude nivelle tout, elle met tout à la même distance, une depuis laquelle tout revient au même, tout est relatif, plus ou moins grandement mais déchu à la même relativité. Moi, finalement, je me serais bien contenté d'avoir su me contenter de n'avoir que quelques idées. Mais, non, il y a eu un ego trop gros qui a toujours poussé derrière pour que je veule en avoir plein. Cet ego, le mien, c'est moi. Personne d'autre. C'est à chaque fois désolant de constater qu'on a tant d'ego alors qu'on s'aime si peu. Il aura fallu que je veuille avoir plein d'idées, sans peut-être la carrure pour aller les chercher comme il le faut. Toutes ses idées à porter au bout d'un moment, la lassitude, on ne sait plus quoi en faire. Toutes, elles finissent par sembler bien inconséquentes, alors que si on avait la force, finalement on saurait les porter ainsi qu'elles n'auraient plus d'importance, justement parce qu'elles sembleraient capitales en elles-mêmes, alors que seule la manière dont on aurait servi chacune d'elle l'aurait chargée d'or. Donner un bout de chiffon de façon à ce que la personne qui le reçoit se dise que la manière dont on vous livre un tel joyau n'importe pas, voilà le grand art. J'aurais mieux fait d'être modeste, d'être un peu plus cohérent avec moi-même, et de constater dès le départ que moins on a d'idées, mieux c'est. Mieux on est parti. Les mots et les sons, les idées, tout le monde peut en avoir et peu importe, c'est comme les histoires qui sont plein les journaux, comme un autre avait dit. Ce qu'il faut, c'est la musique pour les faire danser.

mercredi 3 février 2010

83 : mardi 2 février 2010

Il était quatorze heures et en partant, il a dit "bonsoir". Il ne doit jamais dire "au revoir". S'il part le matin, il doit dire "bonne journée", ou peut-être déjà "bonsoir", si "bonsoir" est pour lui l'exact synonyme d'"au revoir". Et alors "au revoir" l'expression qu'il n'emploie jamais. Par contrainte mentale, il s'est interdit "au revoir", "au revoir" lui semble mauvais, lui semble ne pas se dire. Certains écrivains ont de telles interdictions, non qu'ils aient décidé d'écrire sous contrainte par jeu, mais parce qu'ils ne peuvent pas employer tel ou tel mot, signe ou forme. Ils les trouvent sales ou stridents. Ou déplacés parmi leurs mots, même si admissibles au milieu des mots d'autres. Un écrivain par exemple n'utilise jamais le moindre trait d'union, il peut s'en trouver dans les premières versions de ses textes, mais tout sera réécrit, les phrases reformulées, jusqu'à ce qu'aucun trait d'union ne reste dans le texte final. Pas de "peut-être", pas de "c'est-à-dire", au sacrifice de tournures et de constructions qu'il faut contourner. Il ne s'autorise pas davantage de "ça", qu'il peut tout à fait employer à l'oral, mais il ne peut publier un "ça". Il aimerait, il serait content si un jour un de ses livres comprenait une phrase telle que "ça va bien." Mais il n'y arrive pas, bien que s'autorisant les cédilles en général. C'est le "ça" qui bloque. J'ai décelé la même chose chez une personne que je connais personnellement, qui n'emploie qu'accidentellement "ça" par écrit, y compris hors de tout contexte de publication, même dans un message court et strictement informatif. Jamais de "ça", "cela" toujours à la place. Je pense qu'elle doit trouver "ça" vulgaire.

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Il attendait. La lumière était blanche, dure, très forte, pénétrant par une petite fenêtre qui s'ouvrait sur la grande cour lugubre et filtrant des vasques, découpant, détaillant tout, les meubles, les rides des visages, les plis des tissus, les cuirs brillants et fatigués, une douce joue égarée. Il attendait. Il s'habituait peu à peu à ne plus sentir l'odeur un peu fade, un peu piquante, médicamenteuse, mais en gardait dans la gorge un vide humide, un écœurement. Il attendait. Et chaque nouvelle personne qui entrait, et qu'il saluait sous le regard neutre des autres, déplaçait légèrement, en s'asseyant, les pieds métalliques de sa chaise avec un bruit qui rebondissait, sonnait dans le silence, persistait un moment, comme deviné. Il attendait. L'homme à la courte veste blanche a ouvert la porte, a souri dans le vague, a appelé un nom, et derrière il y avait son ami avec un visage lumineux qui lui a souri. Il a soupiré, il s'est levé et l'a rejoint. Une fausse alerte.

mardi 2 février 2010

82 : lundi 1er février 2010

Dans ces moments là, on trouve toujours qu'il y a trop de monde, alors que depuis une semaine on avait peur qu'il n'y en ait pas assez, aussi qu'on soit incapable de sortir un son correct bien sûr, mais alors on concentrait son attention sur l'angoisse venue de l'autre peur, celle que le petit théâtre du premier étage soit vide et qu'on se présente devant quatre personnes ou moins. On préfère cette peur là tant qu'on peut parce que si ce qu'on craint advient, il sera plus facile de s'en consoler. Être déçu par les autres, avoir des reproches à leur formuler, on vit mieux avec ça que la honte, parce qu'alors ce n'est pas de sa faute, alors que la honte ce n'est que de soi. Ce qu'on se reproche à soi vous colle toujours de plus près. Depuis la coulisse, alors qu'il allait falloir y aller dans quelques minutes, marcher quelques mètres jusqu'au plateau sans le droit de faire marche arrière quand on y sera, on voit bien que la salle est aux deux tiers pleine, ça fait une trentaine de personnes, ils sont venus les salauds, une trentaine c'est beaucoup pour avoir honte devant. Alors, on voit bien que la vraie angoisse c'est celle-ci, que l'autre, si on l'a eue jusqu'à hier soir, c'est parce que son cerveau vous offrait une diversion pour qu'on puisse quand même dormir un peu. Il faut y aller alors on y va, il y a cinq mètres à faire, ça doit faire sept ou huit pas, les quatre derniers on sera vu par les gens mais soi on les verra mal à cause des deux projecteurs dans les yeux, on entendra qu'ils vous ont vu parce qu'ils applaudiront certainement, à ce moment-là ils applaudiront, s'ils sont venus c'est qu'ils sont disposés à applaudir, et avant que ça commence ils n'ont rien vu encore qui les en a dissuadés. On pensait que mal voir le public aiderait mais en fait c'est pire, parce que s'ils ont des sourires ou des regards bienveillants à ce moment là, et sûrement ils en ont, on ne les voit pas, à la place on imagine qu'ils ont tous peur de bientôt avoir honte, de devoir revoir plus tard quelqu'un qu'ils sont venus voir et qu'ils ne sauront plus regarder, à qui ils ne sauront cacher leur pitié derrière une semblance de compassion, ou de comme si de rien n'avait été, de rien n'était. Oui, effectivement, ils ont applaudi, après les sept ou huit pas, on a juste attendu que le silence arrive et comme on a senti que rien de la panique ne passait, on a commencé tout de suite, juste une inspiration un peu plus longue comme avant de mettre la tête sous l'eau, pas si longue, non, une inspiration de la longueur de celles qu'on a avant de se moucher. On a juste fait ça et puis on a lancé le chant, la voix toute fébrile, tremblante et chevrotante. Le silence s'est épaissi autour de la voix qui peinait, la voix perdue. Quand on est perdu, soit on ralentit et on regarde tout autour de soi, soit on prend un chemin au hasard sans savoir si c'est le bon. La voix perdue a fait les deux, elle a ralenti en s'écoutant perdue, elle a pris un des chemins qui se présentaient à elle, pas le bon, ne sachant plus quel pouvait être le bon, plus s'il y en avait un bon. Un son aussi laid, un chant aussi faux, il a fallu l'arrêter avant la fin de la troisième phrase, le temps si long avant de se dire que continuer c'était pire, de décider que ça ne serait que pire. Le silence dans la salle derrière l'éblouissement des deux projecteurs, le silence d'un champ de bataille quand les armes arrêtent de tirer doit être le même. Est-ce qu'il faut commenter, s'excuser, le mieux c'est plaisanter mais à condition que ce soit drôle, sinon c'est pire, plaisanter les faire bien rire et reprendre mais cette fois très bien, la seule solution. Les secondes qui s'égrenent comme des coups de glas, aucune idée de phrase, aucun mot qui vient pendant qu'on se ratatine écrasé par le silence qui prend de plus en plus de place, qui en laisse de moins en moins à chacun, c'est le silence qu'on fait tous, la trentaine derrière les projecteurs et soi tout seul de l'autre côté, le silence qu'on fait tous et pourtant il ne nous laisse pas de place, il nous ratatine, nous écrase, suffoque. Ou alors, ils sont partis, ils sont tous partis, c'est pour ça que la salle est si silencieuse, ce qu'on aimerait que la trentaine soit partie, comme ça ce serait fini, on n'aurait pas besoin de devoir trouver encore un moyen de sortir, au moins sa sortie ne serait pas vue, la sortie qu'on ne sait pas faire, pas faire du tout quand ça se passe comme ça. Non ils sont encore là, la trentaine, ce silence là ne peut pas être fait par une seule personne. On ne sait plus combien de temps ça dure, dix secondes, vingt, une heure. Pas d'autres mots que les premières paroles de la première chanson, le reste que du silence, du noir, plein à craquer de noir. Alors on reprend le chant, les paroles sont là mais on ne sait plus l'air, on n'a plus d'air, on ne va pas réciter les paroles, on ne croit plus qu'on a de voix, qu'on aura d'autre langue que le silence. Alors on sort, on ne peut rien faire d'autre, on sort, la pire des hontes est meilleure que celle-ci, on ne reverra plus jamais la trentaine, on ne pourra pas, la pire des hontes est meilleure que celle-ci.

lundi 1 février 2010

81 : dimanche 31 janvier 2010

"Je vous écris d'un pays lointain" (1) Je ne sais trop par quoi commencer. Parce que j’aimerais tant que vous puissiez imaginer ce qui m’entoure. Au dessus de mes forces peut-être que de dire ce qui là. J’essaierai néanmoins. Avant tout début, ceci : soyez indulgent envers mes maladresses. Il y a si peu de temps que je parle votre langue. Vous avez beau me dire dans votre lettre qu’elle chaque jour s’éloigne de vous un peu plus, il me semble cependant que mes mots engourdis. Vous voyez, ça commence ! Et pourtant, j’ai beau réfléchir, attendre les deux mains au dessus du clavier que remonte un terme plus approprié, c’est en vain. Je ne trouve pas mieux. La raison est peut-être que notre langue tellement plus apte aux images. Ou du moins l‘était. L’a été. Ici, les images désormais nous sont extérieures. Tant autour de nous. Alors, en plus en nous produire d’autres images... Autres pourtant, et qu’elles me manquent j’en suis presque sûre. Désolée ! J’ai bien l’impression d’avoir enfondu vos mots de notre syntaxe. Mais, corriger, je crois, vous éloignerait de moi. Bien à vous, …

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Le dysfonctionnement de l'ascenseur était suspect. Il aurait pu être l'occasion de multiples gags dans une comédie. Après que nous avions constaté que la dernière visite du technicien chargé de la maintenance datait du premier avril, nous avons cru à une blague de sa part. Si elle avait été courte, nous en aurions ri. Il nous soutint qu'il n'y avait aucune blague, qu'il ne se serait jamais permis, et nous demanda même si ce n'était pas nous qui lui faisions une blague, même si nous n'étions pas le premier avril, en lui faisait croire que nous rencontrions le problème que nous lui décrivions. L'ascenseur ne menait pas à l'étage demandé, à celui correspondant aux nombres inscrits sur les boutons. Avant de croire à une blague, nous fîmes des essais, en songeant que, par exemple, le bouton du premier étage menait toujours au troisième et que, par exemple, celui du septième étage menait toujours au rez-de-chaussée - ainsi nous aurions pu nous reposer temporairement sur une solution de fortune, collant sur chaque bouton des étiquettes indiquant l'étage effectivement desservi. Quelques tentatives suffirent à évacuer cet espoir, chaque pression sur un seul et même bouton conduisait l'ascenseur à des étages différents. Le doctorant en physique du troisième étage, celui qu'avec son propre accord mais sans aucune originalité nous surnommons le geek, pensait comprendre les séquences de destinations auxquelles obéissait l'ascenseur. Il disait que la série fonctionnait de manière logique, par modules de quatre, si après avoir choisi un bouton au hasard, on n'appuyait plus que sur le même. Il exposait ainsi la séquence de base : si on multiplie les nombres des deux premiers étages auxquels mène l'ascenseur, et qu'on divise ce produit par le nombre du troisième étage desservi, on trouve la destination du quatrième voyage (l'ascenseur arrondissant à l'entier le plus proche, ou prenant au hasard un des deux entiers les plus proches si le résultat est de type x,5). Même ceux qui comprirent ou accordèrent de l'intérêt à la démonstration du geek saisirent tout de suite que ça ne les mènerait pas plus vite à leur étage, et ne pouvait servir qu'à prévoir celui auquel ils arriveraient la quatrième fois s'ils avaient la patience d'attendre le quatrième voyage, ou la malchance de devoir tenter quatre fois. Intérêt pratique nul. Je précise pour sa défense que, premièrement, le geek est dans la recherche fondamentale et pas dans la recherche appliquée (ce qui fait plus de lui un nerd qu'un geek d'ailleurs, mais ça le vexe quand on lui dit), et que deuxièmement son observation semble être parfaitement exacte : par exemple, la dernière fois que j'ai essayé, j'ai appuyé quatre fois sur le bouton du deuxième, et l'ascenseur ma mené successivement au sixième étage, au cinquième, au huitième et enfin au quatrième, soit : 6x5 = 30 et 30/8 = 3,75 ≈ 4. Tout ce cirque a duré trois semaines qui virent le syndic au bord de la crise de nerfs, et un peu plus près encore du bord de la crise de nerfs les résidents, surtout ceux qui vivent au-delà du quatrième étage. Un jour M. Chapelier revenait de ses courses avec packs d'eau, paquets de lessive et de litière pour son chat, et il était hors de question de porter tout ce chargement dans l'escalier jusqu'à son appartement du neuvième étage : au bout d'un moment, il s'est mis à hurler et à jurer tout ce qu'il savait à chaque tour d'ascenseur parce qu'il n'arrivait jamais au neuvième (il a fallu quarante-trois essais pour que l'ascenseur trouve le neuvième étage). Le geek a essayé d'expliquer à M. Chapelier qu'il avait dû appuyer sur des boutons différents, parce qu'il y avait de multiples combinaisons pour arriver au neuvième et dernier étage en quatre fois si on appuie toujours sur le même bouton. Si on se sert d'un bouton différent à chaque fois, par contre, c'est à chaque pression 1 chance sur 10 d'arriver au neuvième, sans plus de chance les fois suivantes qu'à la première. Le geek a même précisé à M. Chapelier qu'il y avait de toute façon toujours la possibilité suivante pour arriver au neuvième étage en quatre voyages et en appuyant toujours sur le même bouton : arriver quatre fois de suite au neuvième, parce que 9x9 = 81 et 81/9 = 9. M. Chapelier, rouge de colère, a répliqué que s'il arrivait quatre fois de suite au neuvième étage, il descendrait dès la première fois et n'essaierait pas les trois fois suivantes. Le geek a répondu à M. Chapelier qu'il fallait garder son calme, qu'il n'était pas dans la recherche appliquée mais dans la recherche fondamentale et que d'ailleurs, ce que venait de dire M. Chapelier n'avait aucun sens. M. Chapelier, qui est un homme très doux, est venu lui présenter ses excuses le lendemain.