mercredi 1 décembre 2010

383 : mardi 30 novembre 2010

Léon aimait à répéter que s’il devait un jour se mettre une plume dans le cul, à coup sûr celle-ci aurait auparavant appartenu à un paon.

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Voix d'enfant, jardin à l'abandon, joie d'oublier – mais qui nous y trouvera ? La rumeur et l'aveu, peuvent-ils comprendre que tu songes à les confonde en une seule et même ombre ? Une enquête, oui, sur la dégradation du réel, et sur sa reconquête: rassembler, compléter la mosaïque, visage entrevu au miroir, trop proche déjà de qui, rendant son reflet, le convoite malgré tout... Tu nous précèdes avec tes mots, appâts mués en gains, ce qui fut dévorant ce qui est... Que nous est-il resté – et à toi ? Rien que des voix qui ne se peuvent dompter, démêler, celle-ci, cette autre, implorant, voici mon histoire, et tu leur demandes, avec le même entêtement qu'elles mettent à t'écarteler : quelle est la vôtre, donc, quelle est la mienne ? Que tu aies voulu intervenir dans l'Histoire, c'est cela qui n'a pas de sens. Elle ne s'est point arrêtée et, tu le sais, elle persévère, comme le soleil du loch, lumière stricte, sans poussière, froide et familière de l'ombre, qui soudain modèle la vallée, miroir sous l'eau qu'aucun pont n'enjamba, aucun chiffre, ni fiel, ni fable... C'est l'heure : tu ne détournes pas l'obscur, ne franchis pas le seuil, le convive de pierre ne vient pas te chercher, pas un fief de l'énigme n'est rendu. C'est de toi que tu t'arraches, à peine éraillé par le souvenir, tel cet appel qu'on ne lance qu'une fois, jusqu'à ce qu'un autre le redécouvre, le reprenne, et t'en défasse...


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Dans cette ville, comme dans les villes du nord, depuis une trentaine d'années, et cela prenait un air de tradition, sauf pour les anciens, le coeur de l'hiver voyait l'installation de verticalités ornées, des sapins ou leurs cousins, que regardaient, avec une bienveillance dédaigneuse les courbes échevelées ou tendues des grands arbres, platanes, micocouliers ou cèdres. Tranquillement fiers de leur permanence, bien trop ancrés dans leur terre pour admettre ces mignons décors importés, attendant de reprendre leur royauté, gracieusement en retrait.


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Assise sur la plage, elle cherche parmi les galets celui qu’elle va emporter, encore un, petit, en forme d’œuf, un peu rosé. Elle vient chaque jour, c’est un rituel, elle s’y oblige pour ne pas se perdre. Elle a du mal, ses gestes sont lents, ses mains ne lui obéissent plus. Elle entend ses pas, elle ne se retourne pas. Elle attend. Surtout ne rien dire, le laisser parler, ne pas réagir. Il va s’asseoir, c’est sûr, elle le sait. Il passe. Elle ferme les yeux. Il lui parle, la secoue, elle ne bronche pas. Il s’assied, là, tout près. Il la regarde, longtemps. Elle ne voit rien. Il dresse un monticule de galets pour elle. Il les choisit, un à un, plutôt petits, tout ronds, marbrés. Il sourit, raconte des histoires à dormir debout, comme ça, pour la faire rire. Elle est muette, ailleurs, immobile, mystérieuse, absente. Elle pense qu’elle devrait au moins ouvrir les yeux. Pour lui, pour qu’il ne soit pas triste, qu’il ne se méprenne pas, qu’il ne s’inquiète pas, qu’il la laisse tranquille, qu’il parte ! Il s’allonge à côté d’elle, il se tait, il connaît son histoire, il guette un petit geste, un son, un frémissement sur son visage, il se risque à la toucher, elle ne cille même pas. Il n’a pas de colère, il n’ose plus lui parler. Elle s’est retirée. Il en a l’habitude, combien de fois est-il parti ainsi à sa recherche ? Ces longues heures à l’espérer, à susciter son retour. Ce corps qu’il aime, qu’il dessine souvent, qu’il peint pour lui redonner vie… Il se souvient des premières fois, de la douceur de son regard, de sa main qu’elle posait sur ses genoux, lui intimant d’être patient. Il la revoit joyeuse, son rire éclatait pour un rien, elle lui murmurait à l’oreille des petits mots dont il s’emparait aussitôt , qu’il écrivait partout, sur la glace de la salle de bain, sur le pare-brise de sa voiture, sur la porte de son appartement. Il les inscrivait dans son petit carnet, les gardant précieusement comme des cadeaux. Elle aimerait se rapprocher de lui, pouvoir exprimer ce qu’elle pressent, lui dire pourquoi elle est si lasse, expliquer la sensation qui ne la quitte plus, la glace qui la recouvre : elle s’en va, c’est ça ! Elle sait qu’elle s’en va. Elle n’a plus conscience des heures qui défilent, le monde étrange dans lequel elle se déplace est silencieux, vide, froid. Elle veut pourtant lui dire au revoir, bientôt, elle n’aura plus de souvenirs. Elle ne trouve pas les mots, ils se sont enfuis, il n’en sait rien, elle a trop souvent joué à se taire, son jeu l’a emportée, elle ne peut plus rien faire. Elle a si froid ! Il n’est plus là. Elle l’a perdu… Il la regarde intensément. Il ne comprend pas, tout à coup, les larmes qui glissent sur ses joues.


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C’était devoir réaliser une présentation Powerpoint, prévenu au dernier moment, pour telle réunion importante à laquelle nous n’étions pas convié : des « slides » évidemment synthétiques, clairs, pas plus de dix, tous devant concentrer toute l’expérience, tous devant transcender tous les points de vue, tous devant compléter toutes les lacunes et, à le faire, dans l’urgence, prendre goût à cette contrainte, compresser tous ces savoir et ces savoir-faire, vite, dans les quelques formes proposées par le menu déroulant, dans les quelques images Clipart, dans le minimum de mots choisis, dans la police sans patte, le fond bleu.


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Vous vous maquillâtes bien que la joliesse dont vous espériez seulement un peu vous parer ce faisant vous fût déjà acquise, du moins à mes yeux ayant il est vrai perdu depuis longtemps toute objectivité à votre sujet, si j’en eus jamais, si elle est possible sur une telle question, bien sûr que non elle ne l'est pas. J'étais dans ce temps où, par son propre amour émerveillé, l’on voit en chaque être croisé la possibilité qu’il soit aimé d’un autre, où l’on perçoit la beauté d’un visage dont quelques mois plus tôt on n'aurait vu que la banalité, voire que la laideur; on ne l'aurait pas vu du tout, émerveillé par rien qu'on était alors. Dans le métro, je m'étais surpris à observer une fille à bonnet bleu et trieur orange, lequel trieur avait quatre de ses six sections renseignées : interprétation, interprétation, solitude, anglais. Il fallait que quelqu'un aimât cette fille et son bonnet bleu et son trieur orange, trio auquel j'attribuais volontiers charme et mélancolie, mystère et douceur, mais auquel je n'aurais même pas pris peine de chercher à attribuer quoique ce fût avant que vous ne m'émerveillassiez, avec ou sans maquillage, donc.