vendredi 12 novembre 2010

365 : jeudi 11 novembre 2010

Un reste de crayon. 1. J’ai toujours dans ma poche un reste de crayon. J’ignore, le plus souvent, d’où il vient. Lorsqu’il n’est pas dans ma poche, je le retrouve entre les feuillets d’un livre, marquant la page où une autre affaire m’a entraîné à quitter sa lecture. Cette autre affaire peut être la lecture d’un second livre, auquel cas il me faut trouver un nouveau bout de crayon. Ce n’est pas toujours facile. Je me résout souvent au porte-mines en plastique, même si c’est, évidemment, beaucoup moins bien. Je le retrouve aussi souvent au fonds de mon cartable, entre un carnet et un livre, dans une chemise en carton ou sous mon étui à lunettes. Il est malin, il se faufile dans les plis du vieux cuir tout usé, mais je le repère très vite, il le sait. Quand je pars pour plusieurs jours, je le range, avec mon stylo plume et une gomme, dans un vieux plumier métallique fermé par un gros élastique. Je glisse toujours un reste de crayon dans mes carnets de voyage et autres guides. C’est très pratique pour marquer des impressions, noter des mots dont nous n’avons pas compris le sens et que nous pourrons retrouver dans le dictionnaire le soir à l’étape, ou tracer des circuits. 2. Mon grand-père a lui aussi toujours un reste de crayon dans sa poche. Un de ces crayons plats, rouge d’un côté, bleu de l’autre. Il n’écrit pas avec, mais trace des lignes sur les planches et les bouts de ferraille, qu’il entend travailler. Mon grand-père a installé un atelier et une forge dans la grange – son père, mon arrière-grand-père, était forgeron de métier – et il passe des journées entières à fabriquer des boîtes à cigarettes en forme de chalet Suisse – il faut appuyer sur la cheminée et les quatre murs s’ouvrent pour offrir aux fumeurs les cylindres de papier contenant son tabac préféré retenus et présentés dans un simple, mais ingénieux, système de plaques de verre et de ressorts faits maison – , ou de tas de bois – très (trop) régulier – qui s’ouvrent comme des tiroirs. Parce qu’il a été soldat en quatorze, il travaille, à chaud, les douilles de balles et d’obus et, en les cognant avec divers marteaux, il les transforme en vases de formes et de tailles différentes. Comme il a servi dans la marine, il fabrique avec des traverses de chemin de fer et des vieux bois de charpente, de grands bateaux à voiles – en papier huilé –, usinant l’accastillage dans sa forge avec du cuivre de récupération. Pour tracer les lignes, il mouille le bout de son crayon entre ses lèvres. Ça énerve particulièrement sa femme, qui est aussi ma grand-mère, et qui trouve que ça ne se fait pas, que ce n’est pas propre. Il le taille, au couteau de poche, très acéré sur deux faces seulement, afin de donner à la fois de la finesse et de l’épaisseur au trait. Quand il ne se sert pas de son crayon, mon grand-père le glisse dans la poche de poitrine de sa blouse grise – toujours. Lorsqu’il met la chemise blanche, la cravate et le costume du dimanche, il laisse le crayon dans la blouse de travail. Je ne sais pas si le crayon s’ennuie le dimanche.

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Novembre c’est Moi(s) ! 1. | 1. 1. | 1. 1. 0. | 1. 1. 1. 1. 1. 0. | Comme un programme | | Comme un programme en langage binaire. | || | Comme si ||| comme s’il y avait de la joie dans la répétition. Du binaire. || || | | comme si la litanie des chiffres, celle qui s’érige en rythme, comme si des bras levés ou des éclats d’obus, ou comme des bâtons, des lances, des fusils dressés pour | || C’est une troupe, un régiment, un convoi, une horde. Les hommes : leurs armes font comme des statues ou des piliers, avancent comme scolopendre ou scutigère, et dans leur dandinement articulé et ridicule, la tortue ou la quinconce, ils cherchent à reproduire la maison. Il se réclusent, tout encombrés de leurs armures ou leur harnachement, dans le domestique. | Joie dans la répétition. Two words falling between the drops and the moans of his condition || Cette meute bâtit son propre monument. | || | || ||| Leurs corps tranquilles-sans souffle, deviennent la raison pour laquelle d’autres montent au front. Ce dehors ils en font un dedans, ce dedans est leur dehors, ils rythment. || || | || Binaire. Rythme. Battement. || ||| | | Le monument est la maison de la guerre. Ce qui est se meut dans l’alternance des 1 et des 0, dans le binaire, le rythme ou le battement, c’est tout le possible de parler, d’écrire. Des traits noirs sur du papier blanc. || 11/11 ça me parle. | 11/11 c’est mon mois, c’est moi(s). || | || | || ||| | 11/11 c’est lili. | || |||| | || lIlI. || | ||| Tout se répète. Tout se reproduit. | || | ||| || C’est tout le possible de (se) reproduire | ||| | || || | || | | Ma question est grave, terrible. Elle est le malheur de ton existence. Elle met en doute ta réponse. Regarde la ville, les noms des rues, les monuments. | || | || || Ce monument. Je suis ce monument, de colonne érigées, de bras levés, de fusils dressés. Les pieds battent, les cœurs pulsent, le régiment, la cohorte, la litanie avance. | « Novembre c’est moi ! » Novembre c’est moi, et chaque année je répète ce rituel à présent bien établi. La rencontre du maire, du conseiller qui se dit général, du sénateur. Leurs mains moites et leurs cheveux gras. L’obséquiosité de leur trompettes. | || | ||| | | ||| Code || || || | | || || | || | | ||| | | Leur regard livide et obscène. | | ||| Barre | Qu’en savent-ils, au fond ? | | Quelles obsèques ! Chaque année remettre le couvert et quand je rentre, éméché, du monument, je ne peux que m’assoir devant le manoir, sur le monticule ou dans le gazon, en songeant aux espoirs des hommes jetés dans la boue comme des chiffons qui se déchirent. || L’espoir est une denrée périssable, voilà ce que je dis, et je || Ma vie entière s'est placée devant moi comme un fantôme. Flaubert, Novembre.


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"Marabout, Marseille, Bien, Paris, Usine, Jean-Michel, Écureuil, Radio, Série, Mine, Sucer, Cure, Grey's Anatomy, Brouillons, Travailler, Marie, Équinoxe, Parfait, Lisser, Cheveux, Le, La, Des, De, Du Mais, Car, Que, Novembre, Lundi, Matin, Lui, Elle, Nous, Rire, Pleurer, Résumée, Mordre, Mais, Parallèle, Ensemble, Portrait, Libération, Brumes, Soleilleux, Borges, Millefeuille, Fac-similé, Dublin, Cork, Théâtre, Crier, Déjà, Maman, Fièvre, Varicelle, Pluie, Ravin, Pierres, Aigles, Angles, Pour,Gnomon, Natron, Cléopâtre, 1963, 3,5, Ma, Me, Mon, Moi, Toi, Nous, Moutons, Vaches, Et Cetaera, Cortazar, Firpo, Mordre, 1958, Chanter, Chasser, Szenkuthy, Métaphore, Courant, Écran, Kg, Cm, Mn, Déchets, Haut, Bas, Contraires, Asymétrique, Ekphrasis, Achille, Nietzsche, Ipséité, Trouver, Vomir, Pratique, Warhol, Normandie, Séquence, Incontestable, Pose, Parma, Utilisé, Brut, A, Que, Cut Up, Séparément, L', Je, te,,,,,;;;/:::??!"""",,,,,..... : Que l'on m'apporte de la ficelle ! j'aurais une phrase à écrire."


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C’était convoi d’anonymes, de ceux qui prennent date, prennent langue et s’acheminent en terre inconnue, s’y avançaient comme dans la nuit, mais plus seuls maintenant que sur l’écran ils pouvaient partager leurs mots, les y mêler, gorgés de résonances, se prenant à rêver d’un texte aux contours infinis, prose méritant plus que jamais son nom parce qu’en marche, rêver de mots qui cheminent, mots qui convergent, rêver qu’il en naîtrait une langue, et la dire neuve et y dire neuf, en voix multiples approcher ce texte mouvant, tissu vivant où tenter de déposer un peu de l’écorce du monde et de ses rugosités


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Depuis toujours, elle appréhendait la date de son anniversaire. Chaque année, environ 3 mois avant l’échéance, elle commençait à se sentir préoccupée. Elle marchait moins vite, comme écrasée par un poids, perdait un peu d’appétit... Rien d’alarmant, cela passait toujours pour “un passage difficile à l’approche de l’hiver”. Mais elle savait bien que ce n’était pas ça. La réunion autour d’elles de ces gens qu’elle n’avait pas choisis pour famille était une comédie insupportable. Son père silencieux, exceptionnellement présent, flanqué de sa nouvelle femme et de son ex-femme, sa mère donc, invitaient grands-parents, oncles et tantes, cousins et cousines pour l’occasion. Ils avaient organisé un véritable rituel pour célébrer la proximité toujours plus grande de sa mort. Le même menu, les mêmes anecdotes, les mêmes querelles, de midi à 22 heures, le dimanche précédant la date officielle. Elle ne se souvenait pas d’un anniversaire qui se fût déroulé autrement. Elle ne pouvait plus rien y avaler. Elle cherchait chaque fois des moyens d’y échapper et en trouvait quelques fois d’assez bons pour se tirer d’affaire : trop de travail, un voyage d’un mois au Népal avec une amie, un lumbago, une déception sentimentale, tout était bon à prendre. Une année elle réussit une prouesse en ne décrochant pas son téléphone pendant 2 mois. Après un tel silence, une telle absence, il n’était plus question de fêter ça. Mais quelle énergie ! Combien d’insomnies et d’aigreurs d’estomac elle avait dû endurer ! Elle ne pouvait pas s’infliger ça chaque année. Pourquoi ne comprenaient-ils pas ? Elle avait beau décréter publiquement qu’elle n’avait plus l’âge de fêter son anniversaire en famille, prétextant d’être trop gâtée pendant que de vrais enfants souffraient de la faim, ils n’en avaient cure. Ils prenaient, semble-t-il, un malin plaisir à lui pourrir l’existence. Pour ses 33 ans, elle décida donc de leur jouer un mauvais tour. Ce fut une idée lumineuse, un soulagement providentiel. Comment n’y avait-elle pas pensé plus tôt ? Ce serait si simple de les endormir dès l’apéritif avec un puissant somnifère ! Le 11 novembre 2010, ils étaient donc 25 à table, comme chaque année depuis les fiançailles de sa cousine Emma et l’intrusion dans la famille de son amoureux. Cela lui coûtait donc très cher en tranquillisants mais la paix n’avait pas de prix. A midi ils étaient tous debout autour de la table basse du salon de ses parents divorcés, flûte levée pour le toast et sourire idiot figé selon une convention bien établie. A midi vingt, elle avait si bien œuvré qu’ils étaient 24 à somnoler sur les canapés, fauteuils et tapis du dit salon. Elle fut si heureuse à la vue de ce tableau qu’elle ne résista pas à l’envie de les photographier ! Elle en ferait un tirage pour chacun afin qu’il n’oublie pas de quoi elle était capable pour ne plus subir son anniversaire avec eux. Elle claqua la porte derrière elle, légère comme un souffle de vent, et s’en alla rejoindre son nouvel amant qui ignorait tout de cette coutume et de son intention d’y mettre fin. Il l’attendait nu comme un verre dans son studio de la rue Voltaire, avec pour seul cadeau une rose délicate et parfumée.


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Glossomodo Il y a un an, je redécouvrais un mot. Mais, oui, pour être honnête, je l’apprenais. Ce mot, véhiculé par le père de la beau glossolattitude (sans l’assimiler à un quelconque Mickael Vendetta de la blogosphère), c’est celui quonvoit entêtant le site poiraudien. N’ayant ni dictionnaire, ni Internet (nous suivons ce blog sur minitel), nous devions battre le pavé pour chercher une définition : chez Marionnaud à Barbès « vous avez du gloss halal ? », chez un disquaire jazzifiant « vous avez un bon gros Solal ? », chez le poissonnier « i' sont où vos gros seaux sales ? »… C’est un gosse aux halles qui nous donna la réponse en fin de journée mais dans une langue plutôt inintelligible, ce dont il fut lui-même surpris.


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Des perles d’eau sale, et imparfaitement rondes, et s’élevant vers le ciel, et retombant toujours, triste échec infini infiniment tenté dans incompréhensible borborygme en verre, et des perles d’eau sale, ensemble et séparées, et chantant pour nous-mêmes, et des perles d’eau sale, douce dingue en sourdine, retournant diluer notre vice-versa dans l’eau d’une fontaine stagnante d’eau salée, rouge, et qui pue. Voilà, voilà qui tu es, voilà qui je suis, et nuit et jour et jour et nuit………………………………………………………………………………………………(Mais chanter dans l’intervalle, et vivre la mesure)


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Un convoi est parti, un convoi avance, un convoi au gré des jours s'allonge, lâche des éléments, les retrouve un peu plus loin. Sont là, séparés et liés, sont là avec leurs bagages, leurs trésors, brillants ou non. Se suivent, chacun regarde dans sa direction, viennent, repartent. J'y monte parfois, et pose à mes pieds mon balluchon. Et en fait le convoi est un, tous les éléments regroupés en un même espace, comme des passagers embarqués. Avec les loupiotes je vois les silhouettes, plus ou moins nombreuses, mais ne les distingue pas. Restent dans l'ombre. Dans la lumière seulement, leurs paquets, et nous les ouvrons, on voit les dos qui se penchent, les mains, et puis ces ombres se redressent, se cachent derrière les dossiers, et je contemple ce qui est étalé, essaie de choisir, souvent ne le peux pas, jette un coup d'oeil sur ce que j'ai révélé, le trouve piteux, généralement, pas toujours, reviens aux autres, très rarement en trouve un qui me rebute, parfois des qui me résistent, que j'identifie mal, et puis le convoi continue, avec ses donateurs inconnus et liés, son chargement hétéroclite. Je descend, je marche, je sais que je reviendrai.


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La plus grande bibliothèque de Paris (9) Cela fait plusieurs mois que tu ne transportes plus de livre, dans tes trajets quotidiens. Tu as perdu cette habitude depuis que tu as acquis un téléphone avec lequel tu peux lire autrement. Des journaux et nouvelles au format numérique, des romans en très petits caractères. Mais aussi et surtout, la vie qui pépie sur des applications de réseaux sociaux. Cet intérêt n'est pas nouveau : avant les "murs" et autres "ligne du temps", il y avait les agendas de collégiens barbouillés de mots d'amitié, puis les Tatoo, Kobby et TamTam, puis les e-mails collectifs. Aujourd'hui, la publication est permanente et les contacts se comptent par centaines. Chacun est lecteur et scripteur, exposant et exposé. Tu partages même tes passions avec des gens que tu ne connais pas. Tu a déjà rencontré en chair et en os une dizaine de nouvelles personnes, qui deviennent peu à peu tes amis. Les livres sont toujours là, sur ta table de chevet, ils sont les compagnons du soir. Mais dans le métro, quand la connexion Internet le permet, tu twittes, tu follow, tu likes et tu écris des statuts. Tu parles un peu moins bien, par rapport au temps où tu ne lisais que des livres. Mais ta vie est plus riche de toutes ces nouvelles figures.


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Mes chers associés, mes chers amis. Je suis navré d'avoir annulé, pour la troisième fois, l'assemblée générale exceptionnelle grâce à laquelle nous devions convenir de la bonne façon d'utiliser les 400 € qui dorment depuis plus de trois ans sur notre compte commun. Je suis d'autant plus peiné, et honteux, que ce nouveau contre-temps n'est pas dû, comme j'espérais vous le faire croire encore ce matin, à la cérémonie d'anniversaire de ma belle soeur, celle-là même que je ne devais rater sous aucun prétexte. C'est par manque de courage, de franchise et, peut-être l'avez-vous déjà deviné, parce que ces 400 € n'existent plus, que je me débalonne lamentablement, préférant aujourd'hui vous écrire qu'affronter vos regards consternés. Je m'explique mal ce qui a pu me passer par la tête. Ce type, de toute évidence, avait un air louche, une mine sournoise. Et puis, j'en suis bien conscient aujourd'hui même si cela n'excuse en rien ma naïveté d'alors, il est évident que la somme de 370 € est un prix beaucoup trop dérisoire pour envisager en toute sérénité ce genre d'achat. Entre temps, je me suis renseigné sur la cote à l'argus de plusieurs kartings. Il s'avère que même les meilleurs occasions ne se trouvent pas à moins de 1200 €. L'engin semblait pourtant flambant neuf et j'ai pu faire malgré tout, après cette fatale transaction, quelques belles accélérations sur le parking du leader price qui se trouve à côté de chez moi. J'étais si grisé alors, si heureux et impatient de voir vos visages souriant face à ma trouvaille. Les yeux humides et les cheveux dans le vent, je pensais sincèrement avoir fait un investissement utile pour notre association en pleine reconversion. Et puis... Et puis il y a eu comme un double "klang" à l'arrière du karting. La direction s'est bloquée sur la gauche, m'entraînant dans une file de caddies qui – je le dis avec émotion aujourd'hui – m'a probablement sauvé la vie. Je serais même sorti parfaitement indemne de ce regrettable accident sans les projections d'essence enflammée qui ont consumé le bas de mon pantalon et m'ont valu une méchante brûlure au mollet gauche. Vous comprendrez que j'étais un peu chamboulé après une telle mésaventure. La douleur et la honte m'ont fait perdre une bonne partie de ma lucidité et j'ai aussitôt investi les 30 € derniers euros de notre cagnotte dans un tube de biafine. J'ai aussi donné la pièce au garagiste venu pour désencastrer le karting et m'annoncer que, désormais, ce dernier n'était pas plus motorisé que les caddies qui l'entouraient. Comprenez-moi mes amis, j'avais mal au mollet et le directeur du Leader-price insistait pour que tout soit rentré dans l'ordre à la fermeture du magasin. Je n'ai pas les moyens de faire mes courses ailleurs que chez le leader allemand du hard-discount, tout comme je suis incapable de restituer nos, vos 400 € dans les semaines voir dans les mois à venir. Pour toutes ces raisons, mes grands amis, je vous demande de me pardonner. J'assume la responsabilité de mes actes et vous remets par le présent courrier ma démission de président. Je laisse le soin aux deux autres membres du bureau d'organiser une nouvelle assemblée générale dont l'ordre du jour sera probablement les moyens à mettre en oeuvre pour traverser la crise financière que traverse notre association. En espérant que vous m'y accueillerez sans trop de rancoeur, acceptez encore mes chers amis, mes chers associés, mes plus plates excuses. Votre déjà ex-président.


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A quoi tient le désir ? A un fil, parfois. Pareil à celui qui tombe, négligemment, apparemment, depuis le casque audio de ce voyageur en strapontin, sur le molletonné du blouson d’abord, contre les plis du pantalon ensuite, comme un hameçon posé, en mouvement, léger, entre la braguette au bleu délavé et la poche à musiques aléatoires…


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C'est bizarre ce soir il est à bout de nerfs, c'est un de ces moments limites comme on dit. Ce matin il a compté une dizaine de cheveux blancs qu'il n'avait jamais vu auparavant. Combien de nuits blanches depuis? Il se dit: "C'est comme cette fragile frontière entre rêve et cauchemar..." Ce midi, insupportable... Le rictus nerveux, la rage de dents...les coups de fils incessants... Pas moyens de retrouver la sérénité... Il tente d'en rire: "trois minutes de spasmes, vingt trois secondes de convulsions". Il a dû subir ce stress toute la journée, ce soir il s'est dit allons prendre l'air, donc il est descendu, empruntant pour une fois l'escalier étroit ce qui lui arrive assez rarement. Il monologue, il panique, ses tourments l'emportent, il parle tout seul (depuis des lustres ça lui prend comme ça d'un coup parfois) il est seul dans la cour de son immeuble, pas de lumière. Il n'y a pas de lune ce soir semble-t-il. L'éclairage public au dehors parvient à peine à former des ombres sur le mur. Il se fait les nerfs sur son paquet de cigarettes, en même temps qu'il élabore des rapprochements sans grande cohérence. Il se dit tout haut, la main sur le menton et regardant en haut, que c'est peut-être un maniaque, un cinglé, que tout ça paraît insensé, que peut-être il est fou. Il refuse les calmants, les somnifères l'écœurent et lui font peur. Toutes ces histoires, ça rime à quoi, il pense... Réagir ne servait, semblait-il, à rien. Agir paraissait nécessaire en même temps qu'extrêmement précaire. Levant la tête il contemple à nouveau le rebord du muret. C'était simple il se voyait errer à travers l'enfer des paradoxes. Il reste désormais là comme ça, impassible, concentré. Parfois son œil tremble. Exténué, il n'en est pas moins pris d'une fureur certaine, cela dit il se sent vidé de tout sentiment. Il se voulait détaché, libre de toute rancune, libéré de toute rancœur, cherchant l'erreur, ce soir il se sent seul, pour un temps seul face à lui-même; perplexe. Il pense à ces conflits qu'il a fallu surmonter, il sait qu'il ne l'a pas fait seul et il repense à ceux qu'il aime ou qu'il a autrefois aimé. On entend vaguement en haut un voisin qui écoute de la musique classique, et aussi de temps en temps des bruits de freins, un coup de klaxon. Son coup de flippe est passé, ça y est, il peut remonter... C'était loin d'être un cas isolé quoi qu'il en soit. Il rentre, et prend l'ascenseur. Arrivé chez lui, il se dit qu'il a bien fait. Il se retrouve prêt à lire ou à allumer le poste de TV, disposé à s'allonger pour tenter de trouver le sommeil. Au beau milieu de la nuit pourtant il se fera réveiller par son cousin, qui est en pleine crise existentielle, alors peut-être les cycles infernaux d'angoisse et de nuits blanches reprendront pour un moment, jusqu'à ce qu'il y voit clair et qu'une certaine harmonie soit rétablie dans sa vie.


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L’ilolêtre. Jeu à faire en famille ou seul. Bonjour à tous, bonjour à toutes ! Vous allez participer en direct à un jeu fantastique ! Munissez-vous d’une feuille de papier, format A4, d’un crayon ou stylo, préparez-vous une boisson, c’est parti ! Tout d’abord, choisissez un prénom. Ensuite, fermez les yeux et imaginez celui ou celle qui porte ce prénom.(En fait, le prénom n’est utile que pour mieux vous guider dans votre dessin, c’est vrai, on imagine tout de suite mieux la personne : si c’est Claudette... ou Simone… ou François… ou Nicolas… hmm, il y a des prénoms qu’il vaut mieux éviter.) Ouvrez les yeux : sur votre feuille, dessinez votre personnage. C’est fait ? Bien ! A chaque doigt, vous lui nouez un fil que vous déroulez jusqu’au bas de la page – si vous le désirez, vous pouvez utiliser des crayons de couleur – prenez votre temps, je vous attends. Maintenant, au bas de chaque fil, vous attachez une étiquette sur laquelle vous prenez soin d’écrire une lettre de l’alphabet, de façon bien lisible – essayez de varier consonnes et voyelles – Vous avez donc dix petites étiquettes. Vous pouvez poser votre crayon. Le dessin est terminé. – Je m’excuse, pour ceux qui n’aiment pas dessiner, c’est un peu fastidieux ! Asseyez-vous confortablement, posez la feuille en face de vous à 35 cm de distance, droite, comme un tableau . Il vaut mieux la poser sur un mur ou une planche ou tout autre objet rigide qui la maintienne verticale. Si vous avez soif, c’est le moment de boire. Détendez-vous, respirez. Bon. Vous êtes prêt ? Fixez vos yeux sur le bas de la feuille. Puis oscillez doucement de la tête, sans détacher vos yeux de la feuille. – il est à noter que ce mouvement est excellent pour les cervicales s’il est fait en correctement, sans brusquerie – Là, c’est très bien ! Si toutefois vous sentez que ça craque trop, faites osciller tout votre corps avec votre tête, vous vous en trouverez bien mieux !Alors ! Que voyez-vous ? Les fils s’entremêlent, les lettres se mélangent ? Laissez-vous faire ! Petit à petit, des mots vous viennent à l’esprit. Gardez-les précieusement dans un coin de votre tête. Continuez ainsi le temps qui vous voulez. Bien entendu, si vous êtes fatigué, vous avez le droit de vous reposer. Lorsque vous le décidez, lâchez la feuille des yeux. Reprenez votre crayon. Rapidement, notez au dos de la feuille tous les mots auxquels vous avez pensé. – attention, il ne faut pas tricher !- Relisez-les tranquillement puis écrivez une phrase, ou plusieurs en les utilisant tous. Si vous jouez seul, cela pourra vous distraire un bon moment. L’intérêt de le faire en famille ? Vous devinez ? Évidemment ! Quel plaisir de découvrir ce que chacun a écrit. ! Et puis, réfléchissez : pour l’anniversaire du convoi des glossolales, vous avez lu, participé, vous vous êtes amusés, et vous êtes même conviés à envoyer immédiatement vos textes sur ce site, en respectant toutefois la consigne du seul paragraphe. Pour le titre, il vous suffit juste de mettre « bon anniversaire ». Un grand merci à tous de votre participation et à bientôt !


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Elle regardait partir les trains. Penchée au-dessus de la passerelle, mains agrippées sur le rebord, le visage fouetté par les mèches de ses cheveux dénoués, livrée aux bourrasques et aux averses, elle suivait du regard la longue file sinueuse des rails parallèles, enchevêtrés en d’inextricables réseaux, fils croisés dessinant un irrésolu canevas métallique. A l’annonce d’un nouveau train, elle raidissait un peu son attente, entendait le TGV bleu argenté entrer en gare, crisser le long du quai, souffler comme un animal après sa course. Douloureusement, elle scrutait ces voyageurs embarqués vers une destination idéale. Dans 1h30, ils Y seraient. Ils lui semblaient un peuple élu, leur visage baigné dans la lumière tamisée des lampes, la bouche animée d’inaudibles conversations. Les portes se refermaient, comme un inéluctable couperet, tranchant dans le vif de sa chair à elle. Puis le convoi s’ébranlait, dans un chuintement presque soyeux. Crispée à la rambarde, elle voyait le train serpenter lentement, puis accélérer son élan, jusqu’à ce que ses feux rouge arrière, après une ultime courbe, un gracieux déhanché, se soient perdus dans le lointain.


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M'accrochant à tous les mots, signes bibliques, sauveurs, derniers repères, espoirs, détenteurs d'un savoir qu'on juge impénétrable. Seule dans un bar bondé, un livre posé sur le coin de ma table Je ne veux pas mourir seul de Gil Courtemanche. Le titre résonne dans ma caboche. Je ne veux pas vivre dans la solitude des manuscrits inachevés, des textes sans chute, des brouillons, il faut un convoi pour que la littérature ne soit plus ce fardeau intimidant. Il faut une multitude de mots ne m'appartenant plus. Je sors. Dehors, une avalanche de glaçons. Mon petit bateau/corps tangue entre les rues. Paris ensevelie sous les eaux. La fin est proche. Je pense à l'amour, au dernier Goncourt, à mes amis, aux personnes qui sont capables de tout sans crainte. Une mouette se réfugie dans la voile. Éblouie. Éclat. Trop vif. Empli tout mon oeil. Perdue. C'est la fin. Plus rien. Sombre soudainement. Le mât a percé le lampadaire. "On est arrivé ?" me demande la mouette inquiète. Nul ne sait. J'accoste, me souviens de mon plus bel été, de la chaleur, du sable chaud, effectue quelques brasses, m'agrippe au dôme du sacré coeur pas encore submergé, tente de m'asseoir, la mouette posée sur mon épaule. Nous regardons la mer de nuages se confondre avec cet océan nouveau.


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Les anges viendront s’ils existent, et je les verrai bien dans la fièvre puisque c’est ainsi qu’il doivent pouvoir être pour nous, être de notre monde, lorsque nous n’en savons plus rien de ce qui s’y trouve et si nous y nous sommes, lorsqu’il semble que les secondes ajoutées aux secondes et mises les unes à la suite des autres ne formeront jamais des minutes, et pas des minutes qui nous mènerait au terme d’heures ou à un temps dont le passage se ferait sentir malgré tout, à la façon d’un liquide épais et brûlant qui s’écoulerait mal dans les veines, quand dans l’esprit au délire et à la souffrance de la lumière c’est le perpétuel et unique instant identique à lui-même qui se rejoue encore et encore sans aller nulle part ailleurs qu’à notre épuisement, notre épuisement d’après l’épuisement, car il en est un après le précédent, à la suite duquel s’en trouvera un autre, puis tous les suivants auxquels nous ne pouvons croire mais qui seront là pourtant. Quelque part le long de cette route, un moment pendant que la sa douleur et son entêtement continueront comme en se passant de soi, une fraîcheur me prendra et me couchera délicatement au sol comme un repos de douceur et de soulagement, et par les largeurs du ciel bleu en de légers vols comme des trajectoires de corps flottants devant les yeux, ils arriveront ailés et fins jusqu’à moi, les anges d’amour, de bienveillance et de compréhension inépuisables, ou sans peut-être même la moindre apparence humaine, ils ne serait sans doute alors qu’un infime mouvement de l’air ou une minuscule altération de la lumière, qui nous prend là pour que notre mort n’ait plus besoin de nous pour faire avec notre vie sa misérable affaire.


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C’est agréable, quand il pleut, d’entendre dans la chambre, le bruit de l’eau qui dégouline dans la cour intérieure de l’immeuble, sur le rebord en aluminium des fenêtres, le couvercle des poubelles, en un rythme irrégulier. De voir par la fenêtre du salon, la nuit, les grandes vagues de pluie se déplacer sous la lueur des réverbères de la rue ; les phares des voitures et les lumières de la ville se diluer dans les flaques et les éclaboussures ; le goudron des rues se moirer d’un reflet laqué. C’est agréable de ne pas être dehors.


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Six heures quarante, Hanoi. Le jour est déjà entré dans la chambre, la brume dans mes poumons. Se réveiller à la hâte, filer sous la douche et à peine séchée ressortir sa petite lucarne à la pensée des mille voix du convoi, de ses mille histoires, mille mots et mille îlots bientôt enfin rejoints en ce point : Ha Long.


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Elle était tout. L’ensemble composé d’un unique réel. L’élément de référence auquel se rattachait ses sentiments, aspirations, ambitions, envies et goûts. Il aimait les fraises comme elle souhaitait qu’il le fasse. Détestait les choux-fleurs car elle le permettait. Critiquait de manière virulente la droite car elle la disait inhumaine, et regardait d’un air condescendant la gauche, « animée de bonnes intentions, mais… », commentait-elle. Il la vénérait encore, accoudé au bar, le nez dans la mousse, les yeux embués, marmonnant des suites de mots dénuées de sens. L’ensemble était maintenant vide.