samedi 6 novembre 2010

359 : vendredi 5 novembre 2010

Je m'aperçois que je distingue de moins en moins bien ma droite de ma gauche, je n'ai jamais distingué aisément ma droite de ma gauche mais, depuis que je n'écris plus que les deux mains posées ensemble sur un clavier, je m'y retrouve de moins en moins : la main qui écrit c'est laquelle ?


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Pactes mutilés, miroirs voués aux soifs et aux présages, gravant l'éclair sur les touffes et les grains, sur l'inachevé enfin dépris des scories, là où l'écart entre feindre de croire et croire finit par s'effacer, où la raison de ton départ en est l'unique conséquence, où l'on s'émerveille des clartés parce que les yeux y voient leur habitude de voir, mêmes couteaux, mêmes eaux intactes, mêmes cernes, mêmes cendres, mêmes veilles à peine habitées... Pas une qui ne sache combien inassouvi tombera le dernier geste !


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C’était, par un jeu combiné de RTT, de réunions, de maladies, se retrouver seul dans l’openspace pendant plusieurs heures, une demi-journée, le jour entier, et prendre ça comme une courte libération.


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Des compas gigantesques tenus par le ciel plantent leurs deux pointes jusque dans le sol, et font tourner l’une autour de celle plus profondément fichée. De grands arcs de cercle sont tracés à la surface de la terre comme par un diamant sur une vitre, comme une lame sur la glace. Le compas se penche à la manière d’une arbre face au vent et tourne doucement, creusant un sillon profond de plusieurs mètres dans le sol, au travers des routes, des champs, des immeubles des villes, des entrepôts et des voies ferrées.


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Désarroi Il a suffi d’une pluie trop forte. Elle ne s’était pas préparée. Lorsqu’elle a réalisé, il était trop tard. Déjà, l’eau et la vase avaient envahi la cave. Elle ne sait pas si son fils a compris son chagrin. De cartons à l’évidence mal rangés, elle a sorti des livres trempés, couverts de boue. A jeter. Une odeur forte de moisissure a envahi ses narines. Elle avait déjà envie de pleurer. Elle a attaché ses cheveux, mis des gants en caoutchouc afin de continuer ses découvertes. Les disques, des vinyles de famille qu’elle n’avait pas pu monter étaient là, trempés eux aussi. Alors, le temps l’a transportée des années en arrière. Tout en s’armant de courage, ôtant une à une chaque pochette, minutieusement, doucement, elle a essuyé chaque disque. La musique résonnait en elle, le violoncelle, le piano, le violon, les premiers concerts auxquels elle avait assisté. Toute une partie de sa vie, avec les siens, certains morts depuis longtemps, d’autres encore vivants. Elle s’est souvenue des longs applaudissements, des battements de son cœur lorsque le soliste entrait sur scène, ou tout simplement l’apaisement qu’elle ressentait quand son père mettait un disque… La première fois qu’elle est allée à l’opéra, les décors saisissants, l’émotion qui l’a happée ! Petit à petit des visages sont apparus, des personnes en mouvement, puis des centaines de souvenirs, pêle-mêle, lui sont tombés dessus. Des paysages, ses montagnes, les sentiers qu’elle arpentait, les nuages avec lesquels elle s’envolait, les arbres auxquels elle confiait ses peines. La neige aussi, le matin, au réveil. Le chemin avait disparu, il fallait prendre les pelles, ce n’était pas toujours facile, il faisait froid, les mains brûlaient. Mais c’était beau à couper le souffle ! Puis les randonnées à ski, à une époque où l’on se sentait encore libre…et cette merveilleuse conscience de l’espace ! Enfin la ville, le bruit, les gens pressés par leurs contraintes, les passants désœuvrés, la mer, les galets et la lune le soir, sur la plage… Elle n’a pas vu les heures passer ni la nuit tomber. Toute à son travail de ré-appropriation du souvenir, un orchestre dans les oreilles, des voix, quelques phrases le couvrant parfois. Le balcon était recouvert de cartons aux couleurs délavées! Les livrets d’opéra avaient triste mine, détrempés ! Peut-être parviendrait-elle à en sauver quelques- uns ? Quand tout a été nettoyé, elle a retrouvé sa respiration. Les yeux embués, elle ne savait plus très bien qui elle était. Sa petite chatte l’interrogeait, reniflant, l’air désolée. Machinalement, elle a regardé le ciel. Un ciel sans étoiles. Elle est rentrée, troublée, se demandant tout à coup quel était le sort de ceux qui n’avaient plus de toit. Où étaient-ils accueillis ? Elle s’est sentie soudain honteuse de son chagrin.


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Fictions, de toute façon. Mots empruntés, des mots embrumés. Des excuses peut-être. Propos embrouillés. Des banalités. Des trivialités. Et puis... "Je t'aime". Mots puissants, assommants, teintés de rage, ça a sonné comme ça, comme une détonation, voire un coup de guillotine. Comme ça,d'un coup, ça avait cogné, ça s'était reflété comme l'orage sur une mer tranquille. Bien tranquilles quelque part dehors autour d'un café, à une terrasse peut-être. Va savoir. Pas savoir si quelquefois il y aurait eu quelque chose à voir. Va savoir si comme ça, par hasard, ce serait pas un coup de miroir. Un faux-miroir peut-être, embué d'un souffle rauque ou alcoolisé voire abîmé de larmes. Et pourquoi, dis-moi, pourquoi ? Réponse ou question : y'avait pas à dire ça avait peut-être bien sonné, oui sonné comme un arrêt de mort. Illusions. Projections. Y a-t-il besoin de se poser la question. Est-ce une fiction ? La fiction cette fois bien réelle celle qui façonne les faux-semblants. Personne ne dit je t'aime comme une déclaration de guerre. Sauf dans les romans. Dans les romans les personnages sont toujours saufs, eux. Absents de leur réalité, ils n'ont pas de corps, ils n'ont pas de cœur. Loin du réel, loin des discours officiels, même pour les personnages de romans, tout le monde sait ce que c'est, sait que ce n'est pas ça, on ne sait pas trop ce que c'est d'ailleurs, le romantisme. Est-ce que d'ailleurs ça existe ailleurs que dans les romans ? Eux les personnages de romans, ils peuvent tout endurer, ils ont beau de faire tuer, torturer, massacrer, déglinguer, dézinguer dans tous les sens toujours ils seront là sur la page, êtres de papier qui sont là pour apparaître en tant que tels, pour se montrer, se faire montrer, se faire voir des lecteurs, faire office de marionnettes, totems symboliques ou fantaisies formelles, comédiens désincarnés, qui sont là pour leur servir aux lecteurs, leur servir de dévidoir, d'exutoire, de défouloir. Pour les impressionner, donner corps aux idées. Objets de pensée, ce ne sont que des objets. Pourtant... Objets de divertissements. Tout le monde sait ce que c'est, et personne ne sait vraiment, ce que c'est ou à quoi ça sert, un roman.