samedi 30 octobre 2010

352 : vendredi 29 octobre 2010

Lettre d’amour à une inconnue (15/18) Le divertissement ponctuel était finalement devenu routinier. Il ne restait que le vice, une fumée de charbon qui se collait au bas-ventre et me poussait à collectionner ces entretiens que j'écourtais pour ne conserver que le parfum de corps emmêlés. Je laissais entendre que j’attendais plus : expression de ma perversité mais aussi prix à payer pour obtenir un verre ou un dessert sans avoir à dégainer mon porte-monnaie. Je ne m'amusais plus de ces badinages inutiles et ne prenais plus la peine de mimer une gêne ou une réserve. J’étais entrée sans difficulté en la matrice de cette séduction falsifiée. Il suffisait de reproduire les gestes d’une drague académique, de répéter les formules empruntées et de laisser penser qu'il s'agissait de la première fois pour ne pas blesser l'ego de ces saboteurs affectifs. Je m’étais égarée plus d’une fois entre les pattes d’hommes qui avaient cru pouvoir m’appâter à l’aide de messages plats et en général mal orthographiés. J’avais donc pris soin de sortir des codes ou conventions pour m’adresser à cette inconnue nouvellement aimée.


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C’était, une fois de plus, le restau du vendredi entre collègues, sans les chefs restés entre chefs, ce restau là, bien connu, sûr, et les impressions de déjà-vu qui allaient avec.


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Lorsqu’un hiver, des soldats vinrent faire rentrer les pacifistes dans les rangs de la subordination aux pouvoirs terrestres, du sang fut versé sur les neiges qui recouvraient les chemins du village que l’armée avait choisi au hasard. Les pacifistes ne se défendirent pas, ne combattirent ni ne luttèrent par la force, les soldats ne faiblirent ni ne défaillirent. Les premiers restèrent de marbre, ni arrogants ni dressés, tout simplement indifférents, tandis que les seconds plantaient des lames dans leur chair et les mettaient en joue pour tirer, et tiraient, certes surpris de ne point rencontrer de résistance, mais acceptant que l’imprévue facilité de la tâche ne les dispensât pas soudainement de tout de même l’accomplir. Les fantassins tuèrent tous ceux qu’ils trouvèrent dans les rues du village où ils avaient débarqués, ils n’eurent pas pour ceci à recourir à davantage d’aptitudes martiales que si on leur avait commandé de détruire des fétus de paille, mais ce n’avait pas été pour eux comme abattre des épouvantails, car ce furent des porteurs de regards infiniment bons, calmes et sages qu’ils durent assassiner. Ils repartirent moroses. Les yeux qui dans l’immense plaine déserte n’étaient pas là pour les voir auraient perçu dans leur démarche un infime abattement.