mardi 19 octobre 2010

341 : lundi 18 octobre 2010

Lettre d’amour à une inconnue (4/18) À l’adolescence le double avait poliment cédé la place à la belle et conne idée d’âme sœur. Il s’agissait toutefois moins de découvrir les aspérités de l’âme de mon prochain que de tenter d’y déceler les similarités avec la mienne. Je découvrais, impatiente les points communs avant de fuir en regrettant d’avoir été aussi naïve et de me plaindre de mon aveuglement. J’avais ensuite pris mes marques dans le domaine des plaisirs charnels et amoureux. Je n’avais que foutre des dissemblances : un homme était un homme, le mettre dans mon lit ou occuper le sien m’importait guère.


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C’était, pour un rendez-vous, prendre la ligne 14, la ligne sans conducteur, se répéter ça, pendant le voyage, « sans conducteur ». C’était trouver du confort ici, dans ce futur à portée de main, contrôlé à distance, sans conducteur, se voir circuler, finalement, sans trop d’encombre, sans essence, et se préparer à une journée sans collègues, chez le client, à écouter, à répondre, à conseiller, d’une voix mesurée.


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Il traverse le carrefour tous les jours vers la même heure, entre dix-sept heures et dix-sept heures trente, et toujours de la même façon. Il vient de l’ouest sur le trottoir de gauche, et à l’intersection traverse l’avenue pour prendre la rue vers le sud, le long du trottoir de droite. Il traîne derrière lui, par une corde, une planche rectangulaire à roulettes, où sont posées ses affaires, en un tas recouvert par une bâche trouée et maintenu en place par deux tendeurs. Cet homme noir, chauve et barbu, paraissant âgé d’une cinquantaine d’années, semble venir alors du même endroit chaque jour, pour quotidiennement se rendre au même lieu, toute ses possessions avec lui, un cache-oreilles enserrant son crâne depuis qu’il fait plus froid, et portant un épais blouson abîmé qu’il a dû sortir depuis peu de l’empilement mobile de ses possessions. Un blouson chaud pour traverser l’hiver est certainement un équipement précieux. Si tout ce que l’on possède tient entièrement sur une planche de bois de quelques décimètres carrés, posée sur quatre roulettes, de façon à ce que l’intégralité de sa fortune puisse être en permanence avec vous et sous votre vigilance, on ne peut avoir en sa possession qu’objets hautement précieux. On peut donc ne vivre qu’avec ceci, mal, mais on le peut. En associant ce presque rien à des ruses, des trouvailles et des tactiques pour parvenir à utiliser la ville et ce qui s’y trouve pour l’aide à sa survie, un ensemble de connaissances minuscules et capitales qui conditionnent les heures, et vous font venir de l’ouest jusqu’à ce carrefour, entre dix-sept heures et dix-sept heures trente chaque jour, et y prendre au sud, aller je ne sais où, avant peut-être qu’un autre trajet, le long duquel d’autres personnes peut-être voient passer tous les jours à la même heure l’homme noir, chauve et barbu, passer en tirant le tas de ses affaires sur le petit chariot, pour se rendre jusqu’à un recoin discret qu’il aura trouvé, où un sommeil abrité, ou du moins un repos plus au calme sera possible.