dimanche 17 octobre 2010

339 : samedi 16 octobre 2010

Lettre d’amour à une inconnue (2/18) Je me suis donc permis de vous « ajouter comme amie » pour espionner en douce et surtout traquer nos ressemblances. Fort heureusement, vous ne vous êtes pas méfiée. J’ai ainsi pu m’immiscer et me confondre parmi vos 552 contacts. Enfant, on rêve toujours à la possibilité d’un double qui vivrait au même moment à un endroit inconnu de la planète, un pays où se cacherait une personne du même âge et sexe que soi et dont les traits épouseraient parfaitement les nôtres, se confondant en tous points jusqu’à faire naître l’idée absurde et improbable de la possibilité d’une parenté génétique. La chimère avait nourri mon mal d’exotisme. Ma famille ne voyageait pas. Je m’étais contentée de camper les aventures des premiers âges entre les plages et falaises de la baie du Mont-Saint-Michel et sous quelques palmiers du sud de la France. Penser à un autre continent me paraissait être une idée folle et supposer qu’un être à mon image puisse exister substantiellement ici me réconfortait, m’écartant de la solitude et de la folie de l’altérité. Les fondations sur lesquelles on avait décidé d’installer ma petite destinée étaient trop fragiles pour que je puisse affronter la différence. L’autre m’inquiétait tant que je me laissais d’ordinaire, emporter par un élan de haine trop souvent conjugué à un vif dégoût.


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Elle était allée au fond du jardin pour pleurer, par dépit, par peine qui ne s'avouait pas, peut-être, mais se surjouait, ou par désoeuvrement, non, c'était plus que cela, un besoin, une impulsion exigeante. Et elle avait pleuré avec violence, avec conviction, avec acharnement. Puis s'était calmée. Les arbres sont venus à elle, elle leur a donné existence. S'est émerveillée de la fluidité de son regard sur eux. Les ombres se brouillaient du vert frais des branches éclairées, et les cônes de pin, tremblantes de pleurs, se faisaient lumières. Comme peu à peu sa vision se faisait plus nette, elle a regretté de n'avoir plus de larmes en réserve, a attendu un peu, s'est résignée, est rentrée. A salué sa mère.


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Au bord de la faille, proche la fissure, face au précipice il se voyait comme un clown triste en haillons, sans maquillage sans déguisement cette fois il était là songeur, se rêvant funambule il déambulait autour de ses pensées, ses émotions le traversaient. Il était déchiré. Ces abîmes en lui n'avaient de cesse de le traquer. Il repensait à ses amours passées, à ces flammes toujours en lui, brûlantes, à jamais. Il lui revenait en tête des obsessions, images fascinantes et violentes qui le faisaient monter, chargeant son corps de brusques et lancinants coups de chaleur : ses évocations mentales se rapportaient aussi à la danseuse étoile qu'il avait rencontrée l'hiver dernier, en talons aiguille avec son collier de perles noires, chacune d'elles fétiche, trace de mémoire, chacune d'elles telle à une larme sombre; il repensait aussi, une main sur le ventre, en se touchant la lèvre, à ces femmes si élégantes et si charmantes, super chic, endossant parfois la double profession de secrétaire le jour et escort-girl le soir, connaissant tout un tas de gens ayant de la culture et pas mal de conversation, et qui même parfois se payaient le luxe de ne pas se faire payer, filles de joie loin d'être futiles avec qui il aimait aller prendre café noir et croissants au beurre au café de flore après des nuits de folie...


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Il fallait dormir, passer la nuit, dans l’annexe au bord du mur de clôture. Une bâtisse entièrement de planches de bois disjointes, sol, murs, toiture, pas d’autre ouverture que la porte. Un matelas posé par terre, une couverture sale jetée dessus. Une pierre blanche et arrondie, de la taille d’un poing, était posée sur le matelas. “Vous ne retirerez pas la pierre de son emplacement, il ne le faut pas”. Les fourmis, les puces et les sauterelles grouillaient sur le plancher, la poussière épaississait l’air.