mardi 12 octobre 2010

334 : lundi 11 octobre 2010

C’était ne pas voir approcher une date de livraison et, un jour, en parler, en réunion ou au café, à midi au restaurant, et surprendre dans le regard des uns le reste-à-faire tout à coup un peu plus sensible, dans le regard des autres le souvenir soudain du qui-fait-quoi, chacun comprenant le qui-va-prendre-combien.


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Longé par la rocade, dans l'angle très large entre elle et la rue pénétrant sous les remparts, il était là, notre café, avec ses tables et chaises métalliques sur la terre battue, l'espace pour le jeu de boules animé, bosselé par les racines de l'énorme platane. Il avait de grandes vitres un peu branlantes dans leurs encadrements métalliques, des banquettes couvertes de moleskine avec rustines, un sol en opus incertum, et, au dessus de la porte, un fronton en bois peint sur lequel le nom variait au gré des faillites, renoncements, reprises. Et chaque fois qu'on annonçait sa mort, le quartier s'émouvait, les protestations roulaient, et il y avait toujours un vieux, ou presque vieux, un de ceux de la société de boules, pour rire et dire « j'y crois pas, vous verrez... », et au bout de quelques semaines, en effet, il renaissait. Il était tout de même resté fermé plusieurs mois, mais ceux du coin venaient tout de même jouer, et puis là où il y avait les tables normalement, les minots garaient leurs machines, et appuyés au mur, ils regardaient les voitures, les joueurs, ils faisaient des projets, se chamaillaient, fumaient. Quand le bar a rouvert, les mobylettes se sont garées derrière, et les jeunes sont entrés dans le bar. Le nouveau patron a installé un jukebox récupéré dans une vente, et il se frottait les mains parce que la salle était toujours pleine, il y avait des rires, des éclats de voix, des défis pour la galerie, et les vieux moquaient les jeunes, et les jeunes apostrophaient, avec juste un peu de retenue, les vieux. Seulement, bien sûr, tous ceux là, qui se considéraient comme les co-propriétaires, ou presque, qui le traitaient amicalement, consommaient fort peu.


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La protection de la beauté par la laideur (17) Lorsque l’on découvrit que des mutins s’étaient délibérément glissés entre les couvercles de protection et les bâtiments de la zone que ceux-ci protégeait pour sciemment les regarder afin de les détruire, une étonnante mutation intervint dans l’esprit de la direction territoriale : elle devint obsédée par les menaces hostiles et par la nécessité de leur éradication totale et rapide. C’est surtout que cet état d’esprit sécuritaire n’ait pas été présent depuis le début chez les pourtant extrêmement précautionneuses et fondamentalement conservatrices autorités territoriales de la zone qui était surprenant : elles n’avaient pas du tout imaginé que leurs administration, politiques et programmes aient pu susciter la moindre opposition ou le moindre désaccord autre que superficiel, et avaient estimé comme acquise, légitime et d’avance indiscutable la docilité des habitants. L’augmentation du niveau de contrôle de la vie privée des usagers, qui était programmée dans des intentions expérimentales pour les années à venir, fut accélérée. Elle devint prioritaire, et mise au service d’objectifs très précis et déjà, bien que nouvellement, connus.