lundi 27 septembre 2010

319 : dimanche 26 septembre 2010

Voyant tout un contingent de femmes de l’Armée rouge courir et s’époumoner autour du parc de l’Exposition universelle de Shanghai, je songeai qu’en dépit du peu d’enseignement que me délivrait ce mouvement de troupe sur le corps chinois et sa discipline millénaire — et mis à part le fait que les guerres d’acier du vingtième siècle s’étaient employées, quand on y songe, à ruiner une âme et une sensitivité, celle de l’homme de la ville —, les progrès du corps-automate, dont rêvent les instructeurs militaires depuis l’origine des conflits armés, demeureraient heureusement bien négligeables, tant que la terre s’accrocherait à nos semelles, que la matière du monde exsuderait de nos pores, et que le Réel, que de trop nombreux myopes idiosyncrasiques croient désigner par le terme « d’environnement », frapperait nos sens, serait mâché par notre bouche et inhalé comme une épice de liberté, de sorte que, aussi paradoxal que cela puisse sonner à nos tempes, ce que nous avons, semble-t-il, le plus à craindre aujourd’hui n’est rien d’autre que l’abolition du sens militaire et la dématérialisation des corps armés…


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La protection de la beauté par la laideur (7) La zone devint un secteur municipal autonome et distinct, une municipalité à part entière, spécifiquement administrée et dirigée. C’est la direction territoriale de toute la ville qui décida de cette partition, et qui étrangement se désigna elle-même administratrice de la zone, offrant à d’autres personnes sa place à la tête de la ville dans son entier, retranchée de la zone - du quartier situé entre les rues du marché, de la république, des fossés et l’avenue de Belgique. Ce qui semblait être une perte de pouvoir collectivement décidée par ses détenteurs fut justifié par ceux-ci par le défi que représentait la direction d’une telle zone aux prises avec un phénomène inédit et influant si profondément sur le fonctionnement d’un secteur urbain dans son ensemble. Ils voulaient travailler à une forme expérimentale de direction urbaine, qui pourrait avoir valeur de référence et de modèle pour des temps ultérieurs. De fait, c’était le cas, mais peut-être pas de la façon dont ils le disaient.


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L’histoire est simple. Ou tout du moins le semble. Car sous ses dehors de roman bourgeois, Le Charme d’une autre dissimule une complexité à laquelle les lecteurs fidèle d’Henri de Kermarec sont désormais habitués. Charles et ses mésaventures conjugales ne sont que prétexte, comme ne tarde pas à nous le révéler le narrateur, désinvolte et malicieux à souhait : Que notre veuf rencontre une jolie jeune femme dans la salle d’attente de son cabinet d’affaires ne vous étonnera certes pas. Mais à quoi bon vous surprendre ? Puisque l’essentiel n’est jamais là où on le croyait. En effet, Emma, la nouvelle égérie de Charles, n’est autre que l’arrière-petite fille du célèbre capitaine Cook : Il avait été le premier à remonter jusqu’à la source du fleuve Niger. Il y avait longtemps de cela. Trop peut-être pour que quiconque prenne encore le soin de célébrer sa mémoire. Le vaudeville cède ainsi rapidement du terrain, l’archéologie familiale reléguant les frasques amoureuses de Charles au second plan, ce qui permet au romancier de rehausser son récit d’une dimension philosophique : Tous deux fouillaient ce grenier inlassablement. Sans doute avaient-ils compris que l’homme n’est libre qu’une fois brisés les liens du sang et les chaînes du passé. Qui gratte le vernis de la mémoire – surtout familiale ! – doit s’attendre à toute sorte de découvertes plus ou moins reluisantes. Ici, les affres de l’histoire coloniale se mêlent aux turpitudes d’une bourgeoisie engoncée dans ce qu’elle croit encore être des principes, mais qui ne sont que des alibis bien utiles pour masquer ces errances. Dans la famille d’Emma comme chez tant d’autres qu’il connaissait, l’immobilisme bourgeois se repaissait avec avidité de kilomètres parcourus, entretenant à force de continents visités l’illusion d’être encore en vie. Jouant d’une malicieuse métaphore cartographique, Henri de Kermarec entraîne ses personnages dans un voyage sans retour dont ils ne sortiront pas indemnes : On monte un beau matin dans un tramway nommé désir, et on se retrouve soudain au bout de la nuit, avec seulement l’envie d’hurler. On l’aura compris, Le Charme de l’autre constitue une méditation poignante sur le couple et la mémoire, ainsi qu’une mise en perspective originale de la condition d’homme en ce début de vingt-et-unième siècle.