lundi 28 juin 2010

228 : dimanche 27 juin 2010

"Je vous écris d'un pays lointain" (20) Certainement ce serait beaucoup de ne pas m’accabler de pourquoi, car trop difficile de rendre les explications dans langue vôtre sans risque de mégarde. Que vous compreniez seulement que cette lettre est dernière, et que rien du plaisir à toutes celles qui déjà n’est possible d’interférences. Penser que c’est trop grand effort est sans doute le mieux. Dites-vous que trop de pièges à contourner créent lassitude. Dites-vous que pas si grave puisque pendant tous ces mois après tout. Je me contenterai maintenant de murmurer quelques phrases des livres que vous m’avez envoyés (grand merci à vous). Ce sera ainsi gagner sur le chaos et l’hésitant. Je vous écrirai encore un jour peut-être, quand j’aurai franchi quelques distances. Mais d’ici là… Bien à vous, et avec toute mon amitié, …

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Les quatre enfants étaient un peu excités, un peu inquiets d'aller passer ce samedi chez tante Berthe, ils ne la connaissaient pas ou très peu, elle ne venait qu'aux très grandes réunions, et ils ne l'y voyaient pas; après un petit salut à elle et aux autres êtres d'un âge sans intérêt, et ils ne se souvenaient pas d'être allés dans sa « jolie petite maison », comme disait Maman avec un sourire qui les rendait méfiants, même si, selon elle, ça avait été le cas pour Anne-Françoise, l'ainée, « mais tu étais trop petite pour t'en souvenir ». Seulement, voilà, les parents ne voulaient pas leur « imposer » le mariage d'inconnus, ou presque, « vous vous ennuieriez » - et puis « il n'y aura pas d'autres enfants, sauf les filles de Julie », et, oui, ils avaient frémi, les ainés, ils étaient bien d'accord, ils n'avaient vraiment pas envie de passer une journée avec elles – et grand-mère faisait sa cure, alors... Elle était sombre la maison, avec des meubles qui luisaient et des odeurs de cire, de fleurs et de poulet rôti, et la tante avait un gentil sourire, des cheveux ébouriffés, incroyablement bruns, et des rides trop nombreuses pour être aimables ou tristes. Après le poulet et la glace à la vanille, qu'ils ont aimé, autant que le leur permettait leurs efforts pour être sages, pour mesurer leurs gestes, ne pas balancer leurs jambes, ne pas se regarder en dessous - et heureusement que Guillaume était un petit idiot bavard parce qu'au moment où la gêne s'installait, où la tante semblait perdue, disait encore une fois « votre grand-mère, mais non c'est si loin, ça ne peut pas vous intéresser... » il s'était lancé, lui, et ne s'était plus arrêté, et tout le monde se moquait un peu de ce qu'il disait, qui était d'ailleurs assez peu intelligible, mais ils était tranquilles, tous, à l'abri derrière ce flot - quand ils ont repoussé leurs chaises ; et cela résonnait sur le carrelage, pas comme chez eux, elle a ouvert la porte de derrière et leur a livré le jardin - « ne mangez pas les petites boules rouges, et restez à l'ombre au début ». Ils n'ont pas mangé les petits trucs rouges mais à terre il y avait de ravissantes petites poires très vertes et les deux derniers ont goûté, cela crissait, c'était dur, mais en relevant la tête, « c'est bon », alors Jean est grimpé dans l'arbre et leur en a jeté. Anne-Françoise a dit que c'était idiot, qu'ils seraient malades, mais elle était comme ça. Ils ont trouvé une balançoire, un chien avec lequel échanger des jappements à travers un rideau de canis. Ils ont inventé une histoire très compliquée avec des guerriers mi-indiens mi-chevaliers, et Anne-Françoise comme chef – tante Berthe comme adjoint aussi, au bout d'un moment - et ils ont beaucoup couru, se sont glissés derrière les dahlias et les rosiers etc... jusqu'à ce que tante Berthe annonce le goûter. Il y avait du sirop de pèche « je ne sais pas si vous allez aimer » et ils ont aimé, pas de pain pas de chocolat, mais de la crème et d'énormes rochers blancs, ou d'un beige clair, qui s'effritaient sous la dent et emplissaient la bouche d'un sucre très fort, et Anne-Françoise a refusé d'en manger parce que Maman disait que le sucre c'est mauvais. Tante Berthe n'a pas insisté et lui a ouvert une boite de galettes avec un tableau de Gauguin (Anne-Françoise l'a reconnu) dessus et des galettes dedans. Papa est arrivé avec le crépuscule. Guillaume a été honteusement et désespérément malade dans la voiture et tante Berthe, un peu étourdie, s'est assise, a regardé les meringues qui restaient dans le plat, a haussé mentalement les épaules, et, sans vouloir savoir qu'elle le faisait, en a mordu une avec délice.

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Chez lui, on pouvait se procurer des crânes. C'est ce qui se disait. Des crânes humains. Il en aurait eu des tas, parce qu'il aurait été persuadé que c'était utile, et que nombreux étaient ceux qui en auraient l'usage. Les versions de la rumeur étaient contradictoires, et d'ailleurs on ne le voyait plus jamais en ville. Ceux qui disaient l'avoir vu, l'avoir entendu parler, s'être vus par lui proposer des crânes, les très rares qui affirmaient même être entrés dans sa maison et y avoir vu les crânes dans la cave "par dizaines, des quantités et des quantités", tous ceux-ci prétendaient toujours l'avoir vu seuls, de telle sorte que nul ne pouvait les démentir. Une si petite ville, et lui que l'on voyait auparavant si souvent faire ses promenades, c'était tout de même très surprenant de ne plus le trouver. Peut-être était-ce cette disparition qui avait fait naître la rumeur, ou peut-être était-ce parce que la rumeur disais vrai qu'il ne paraissait plus.