lundi 21 juin 2010

221 : dimanche 20 juin 2010

"Je vous écris d'un pays lointain" (19) J’avais dans lettre pour vous convoqué l’activité ancienne de femme dessin. Grand plaisir autrefois. Mais si tant est que si peu de nouveau je reprends mes crayons. Comme souvent c’est route longue du peu à peu et puis plus rien. Toujours possible est de dire que l’envie vire de bord ou s’engouffre, mais d’autre chose qui là s’active en pointillés. Pour tout l’incertain qui venu se charrier dedans le flot qu’il m’a fallu rompre. À reprendre tous ces dessins, j’y vois comme chemin qui va des corps aux ombres. Quand tenter encore parfois un visage me vient, mais le même toujours, et sa grimace est transversale. Parce qu’aussi trop de frayeur à saisir ce qui là que renoncer. Bien sûr, c’est morsure régulière que sentir le risque d’aller seulement auprès du gué. Bien à vous, …

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En arrivant dans le garage-atelier de Paul, en me tenant sur le seuil, pendant que se clamaient en moi mes gambades le long de l'allée des roses pompons, en accommodant mon regard à la zone d'ombre, à l'entrée avant la mer de lumière qui pénétrait au fond par le toit arraché, je l'ai vu, posé au sol sur la gauche, mais un peu en biais, évident, attirant les yeux par sa clarté. C'était un grand panneau blanc, si blanc que les fibres de la toile apparaissaient par endroit, et puis un étrange calligramme, dans un quart de la surface, des volutes bleus et roses qui s'enroulaient, se distanciaient, s'écartaient, s'envolaient dans un élan vers le hors-tableau, avec un petit trait vert bien raide, très court, vers le centre. J'ai dit à Paul qui venait vers moi, grommelant « qu'est-ce que tu veux ? » en s'essuyant les mains : « c'est beau, ça, j'aime » et il m'a regardé de haut, l'air de désespérer de moi, décidément « C'est mauvais,... j'ai voulu effacer, je vais m'en re-servir ». Alors je lui ai fait une grimace « et bien tu as loupé ton coup. Tu me le donnes ? » et sans attendre la réponse, parce que je la craignais, en me jetant dans le jardin « les tantes t'attendent, pour le thé. Il y a des demoiselles ».

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C'est la même écriture manuscrite qui recouvre les pages du carnet du début à la fin, sauf çà et là lorsque sont notées les coordonnées de certaines personnes, qui ont dû les écrire elles-mêmes sur un coin de page. L'écriture sur les pages du carnets a commencé entre 2001 et novembre 2002, car au début est mentionné un livre paru en 2001, puis, aux alentours du quart du carnet, une série de notes datées se succèdent, le 22 novembre 2002, le 11 mars 2003, le 5 juin 2003. Dans l'intervalle, on trouve diverses remarques sur la perception de l'espace, des horaires de cours de philosophie à l'université, des adresses de galeries d'art contemporain à Paris et à Londres. Suivent des éléments bibliographiques d'ouvrages d'architecture et d'urbanisme, des notes sur l'histoire de l'art de la seconde moitié du vingtième siècle, quelques citations, de Georges-Arthur Goldschmidt, de Jacques Lacan, de William Burroughs, de Georges Canguilhem et de Robert Smithson. Il est impossible de dater précisément cet ensemble, car les nombreuses pages concernées ne comportent pas de date ni d'indice chronologique significatif. Après une série de descriptions de troubles mentaux, dont la rédaction n'est pas non plus précisément datable, on trouve les dates de 2008, puis de 2006, la plus récente se présentant sur une page postérieure. Alors, dans ces pages situées environ aux trois quarts de l'épaisseur du carnet, sont écrites des listes d'écrivains francophones de diverses origines, la liste quasi complète des États qui composent les USA, énumérés sans ordre alphabétique ni logique perceptible. Enfin, il n'y a plus aucune date, des remarques sur l'espace public laissent place à des remarques sur l'histoire de la discipline géopolitique. Les quatre dernières pages donnent lieu à de nouvelles descriptions de troubles mentaux.

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« Mais qu’es-tu venu foutre ici ? » : ce violent murmure était les paroles les plus inconvenantes que je l’eusse jamais entendue prononcer, mais j’y sentais une angoisse affectueuse qui me ravissait, ou du moins ravissait la petite part de moi qui ne fût pas déjà occupée à être effrayée. Sa question ne demandait pas de réponse, sa main douce et ferme m’empêchant toujours de parler. Elle desserra sa prise et m’enjoignis de la suivre, sans bruit, crut-elle nécessaire de préciser, l’index sur la bouche. Elle ouvrit silencieusement une porte qui révélait une volée de marches plongeant vers le sous-sol. Nous nous y engageâmes et elle referma soigneusement la porte. Elle me mena alors à travers un dédale de couloirs et de caves à l'aspect ancien mais maintenus en parfait état, puis me fit entrer dans une petite pièce dotée d'un soupirail. La grise lumière du jour qui en émanait éclairait sur les murs des rayonnages couverts de livres, tous de même format. "Attends-moi ici", me souffla-t-elle avant de repartir aussi sec. Voulant éviter tout de suite de plonger dans un abîme d'incertitude qui n'attendait que moi, je saisis au hasard un volume sur une étagère et l'ouvrit, dans l'idée de m'occuper l'esprit. Il s'agissait d'un missel.