mercredi 9 juin 2010

209 : mardi 8 juin 2010

Arraisonner Aveuglé par la lumière, tu sues à grosses gouttes, tes lèvres tremblent et tu respires mal, à petites gorgées rapides et haletantes. Nom de dieu, pourquoi avoir choisi cet instrument ? Le guitariste tremble aussi, mais peut s’en accommoder. Mais toi tu as besoin de toi, de ton corps, de ton souffle. Pourquoi cette foutue trompette ? Les autres peuvent masquer leur trouille, toi elle passe en plein dans l’instrument. Ils jouent habillés, tu joues à poil, tu es l’attraction. Tu ne vois rien en face, les projos t’aveuglent. Tu dois avoir le visage luisant. Ils ont déjà commencé, il va falloir s’avancer maintenant. Tu sens la sueur te couler le long du dos, à l’entrejambe et l’intérieur des cuisses ; tu sens couler ces grosses gouttes, une à une. Tu n’as pas mis de caleçon pour avoir une épaisseur de moins, avoir le moins chaud possible. Être nu sous tes fringues. Mais c’est la trouille qui te fait suer, par la chaleur de cette scène. Allez, tu avances tant bien que mal, tu ne les vois pas, ça va. Cette boule au ventre, tu es tout entier concentré dedans. Inspire. Au premier souffle, tu vas être irradié, cette boule va te remonter à la gorge, et tout brûler sur son passage. Tu vas déglutir une première note en fusion. Et tu verras, après, ça ira mieux.


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Vous me plaisez beaucoup. Je vous regarde à la dérobée, quand vous quittez notre lit ou quand vous tirez votre première bouffée de cigarette. Votre nonchalance me plaît. La forme de votre visage aussi. J'espère ne jamais vous manquer de respect au point que vous ne souhaitiez plus me voir. Je sais de quelle mauvaise humeur je suis capable et cela m'effraie. Vous êtes celui que j'ai choisi, délibérément. Et surtout vous êtes le seul amant que j'aie jamais vouvoyé naturellement. Je trouve dans ce nouveau langage une douceur que je ne connaissais pas. Le "vous" vous va si bien ! Je me sens plus juste en vous l'attribuant. Vous êtes celui à qui j'ai envie de donner ma juste mesure, sans me faire-valoir ni me rabaisser. Je vous mentirai vrai si vous le permettez. Que ne rentrez vous cette nuit que je puisse fermer l'œil à nouveau... J'entends vos pas dans l'escalier quand ce n'est que la rumeur lointaine de la ville qui s'éveille. Le métro a repris son trafic. J'en perçois les vibrations dans les fondations de notre immeuble. Vous perdez un peu de votre éclat dans l'absence, il faut bien le reconnaître. Qu'à cela ne tienne, je ne vous attends plus. Vous avez haché menu mon sommeil et pour une fois je peux accuser directement un tiers de mon insomnie. Oui je vous montre du doigt, un doigt fraîchement verni de rouge que j'aurais aimé faire pianoter sur votre peau.

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Nous devenions une ville. De l'autre côté de la rivière, sur les pentes rondes des premières collines il y avait d'abord eu quatre groupe de petits immeubles de ciment coloré, ocre doux ou rose chewing-gum, et puis deux lotissements de petites maisons simples pour le premier, affligées de porches ou décrochements avec colonnes pour le second, aux terrains plus exigus, réfugiées derrière l'amorce de ce qui serait de fortes haies pour le dernier, et puis, un peu plus haut, quelques grosses villas pour des cadres. La plus grosse boulangerie avait refait deux fois sa devanture, et après un passage par grandes vitres et chromes, se paraît maintenant d'un habillage très ancien, avec montants de bois, moulures, petites vitrines et panneaux peints. Mais j'ai su que nous devenions une ville lorsque le second café, un peu à l'écart, derrière un rideau de peupliers, passé un coude du courant, en avait fait autant, y ajoutant des tables de fer recouvertes de cretonnes, et que, sur la bretelle de sortie de l'autoroute, de grands panneaux invitaient à venir déguster « chez Martine » des plats régionaux dont nous découvrions l'existence, ou la nouvelle et inédite composition.

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Le carrefour désert croit que personne n'est là pour voir et constater que lorsqu'il n'y a personne, ni véhicule ni piéton, pour le traverser, il continue d'alterner mécaniquement le vert et le rouge de ses feux, il continue la persistance matérielle de ses composantes, l'asphalte et la peinture au sol, les vitrines et les pierres des immeubles qui le bordent. Il ne sait pas que je le vois alors, que je le vois continuer à exister comme si de rien n'était, que je vois comment il est quand personne ne le voit.