dimanche 6 juin 2010

206 : samedi 5 juin 2010

À la fin de l'été, dans les derniers jours d'août, avant la saison des orages, un peu plus chaque année, je ne supportais plus, le village du lac, les prés, les montagnes derrière, et surtout la troupe d'enfants dont j'étais, disait-on, l'ainée, alors que bien entendu je n'en faisais pas partie ou plus, depuis longtemps – et d'ailleurs quand j'étais enfant, quand les cabanes, l'accompagnement des vaches, les longues marches programmées, m'enchantaient, eux, ils n'existaient pas, ou du moins pas tous – je n'avais plus même envie de roder à la lisière du groupe des femmes, mère, grand-mère, tantes, qui, là, ensemble, ne parlaient plus que de sottises. Alors je laissais le commandement de la bande à Bernadette qui, d'ailleurs, l'avait pris, et comme il y avait longtemps que j'avais épuisé les livres du grenier, comme je n'envisageais pas, à aucun prix, les lectures proposées par ma grand-mère, j'allais au fond du second jardin, le grand enclos de l'autre côté de la route, derrière les haies, près du tas de fumier, mais à distance, un peu, devant le mur et je restais là, ruminant, comptant les heures avant la nuit, les jours avant le retour chez nous, au sud, vers la mer, les longues soirées au dessus de la plage, les brèves retrouvailles avant les départs en pension. Et puis je regardais les nuages, avec un peu de plaisir paresseux ou un désir d'injures s'ils devenaient trop nombreux et annonçaient un regroupement obligés dans la grande galerie, tremblante au centre du groupe de petits corps terrorisés, ou, baissant les yeux, regardant devant moi, les vieux troncs, les branches dégarnies, noueuses et noircies, des poiriers morts, et peu à peu il n'y avait plus que ces bouts de bois liés au mur, avec leurs angles, j'essayais de les dessiner, ou je les voyais prendre vie, se métamorphoser, et dans leurs lignes serpentantes, de leurs brusques angles comme des coudes, je voyais un corps de ballet composé de vieilles ballerines se survivant.

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La climatisation de la chambre d'hôtel vient de lâcher. Elle émettait un faible bruit de soufflerie, que sa constance faisait oublier, et qui s'est subitement éteint avec un claquement. Quand le souffle est parti, le silence a rappelé qu'il pouvait aller plus loin, qu'il pourrait aller plus loin même si on ne voyait guère comment. Il fait quarante degrés Celsius à Toronto, c'est août et il n'y a pas de vent, la chaleur est remontée tout de suite et la transpiration a recouvert la peau sur tout le corps. Pas un mouvement d'air pour la rafraîchir. Il a allumé le ventilateur au plafond et a baissé les stores à la fenêtre. La chambre est au dix-huitième étage, la vue est ouverte sur la forêt de béton, avec tout en bas l'asphalte qui cuit, et au dessus de la ville, le ciel sans aucun nuage, le soleil solitaire qui cogne, qui ne se fatigue pas de cogner. Personne ne voudrait sortir et agonir dans le feu de l'air extérieur. Il a été totalement trempé de sueur en quelques secondes, il a souhaité une douche froide mais la personne qu'il attendait arriverait d'un instant à l'autre. On l'avait averti de la ponctualité acharnée de son interlocuteur imminent, attendu pour quinze heures trente. Le réveil de la chambre affiche quinze heures vingt-huit, le réveil de la chambre est certainement à l'heure puisque lorsque les quatre chiffres rouges ont marqué quinze heures trente, on a frappé à la porte. Il est allé ouvrir et a fait entrer un homme brun aux oreilles décollées, revêtu d'un long manteau de velours, fermé jusqu'à l'épaisse écharpe qu'il portait autour du cou. L'arrivant a fui la main qu'on lui tendait, il s'est contenté pour saluer d'un geste d'une de ses mains gantées, dans un sourire crispé.