samedi 29 mai 2010

198 : vendredi 28 mai 2010

Guillaume était heureux - plutôt disait-il - il était né ainsi, quand il ne se surveillait pas, tout lui était lumière, et les regards qui se posaient sur lui devenaient immédiatement souriants. Mais Guillaume avait un point faible. Il a grandi, et il lisait, il aimait cela, et parfois, le livre fermé, il se faisait pensant. Alors si le héros qu'il venait de quitter était très aimé, profondément, passionnément, tragiquement, pour être humain, grandir, Guillaume découvrait en lui un petit caillou dont la présence contaminait sa lumière, et se disait que les regards souriants ne s'attardaient sur lui qu'avec une telle bienveillance, ou, parfois, avec un tel abandon confiant qu'ils ne pouvaient durer ou du moins faire l'objet d'une histoire digne d'être chantée, écrite, marquante. Guillaume plaisait trop, et les livres ne prévoyaient pas cette évidence tranquille. Alors, dès que son âge l'a rendu possible, Guillaume a laissé pousser sa barbe, un collier un peu bouclé, d'un blond triomphant qui le rendait encore plus charmant. Et Guillaume, avec application, se découvrait un désir d'être créature d'ombre. Ses tentatives étaient jugées adorables, amusantes, attendrissantes. Et puis Guillaume a vieilli, ou peut-être est-il tombé sur le livre qu'il lui fallait. Et il s'est résigné, avec de plus en plus de joie, à être lumière et à offrir son aptitude au bonheur.

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Je suis passé devant la maison aujourd'hui, pour la première fois depuis près de vingt ans. J'ai reconnu le carrefour en pente par lequel j'allai par hasard, alors j'ai pris à gauche la rue qui, me semblait-il, menait à la maison. J'ai d'abord cru m'être trompé de rue, en pensant qu'il était peu vraisemblable que je la trouve du premier coup, et que sûrement je trouverais plutôt une rue plus loin ce que je ne cherchais même pas quelques instants plus tôt. Quelques secondes plus tard, quelques maisons m'étaient un peu familières, et sur ma gauche l'arrière d'une bâtisse aux pierres apparentes dissipa tous mes doutes, la rue instinctivement empruntée demeurait la bonne. Je reconnus instantanément l'allure générale de la petite maison, et un détail ornemental, retrouvé au dessus des portes-fenêtres de la façade, me revint avec évidence en mémoire. La maison n'a pas changé, il doit être aussi abordable de s'y ennuyer qu'à l'époque où je la fréquentais et y passais d'interminables heures. Je ne m'explique pas que la famille encore récemment paysanne qui est la nôtre n'en sortait pas régulièrement en petits groupes pour aller marcher dans les alentours, le petit bourg est proche, un peu morne certes, les premiers champs ne sont pas lointains et offrent d'agréables points de vue. Nous n'y allions pas, nous restions dans cette maison de bord de lotissement pavillonnaire. Je découvre progressivement que si l'ouverture de l'espace et la suggestion de l'aventure et des lointains par le paysage furent une affinité primordiale de mon enfance, ceci était associé au sentiment qu'il m'était interdit d'en disposer ou d'aller y faire traîner mes pas. On ne me l'avait pas formellement interdit, il me fallait demeurer accessible à la surveillance des adultes. Même lors de promenades solitaires, je ne m'autorisais pas à quitter les zones autorisées. Il m'était arrivé quelques fois, pas seul, de me risquer dans ces parages qui me semblaient interdits, et ça avait été pour accomplir des bêtises d'enfants, sans gravité mais défendues, aussi avais-je de mon propre chef et malgré moi forgé une culpabilité à mon désir de liberté dans l'espace.