lundi 17 mai 2010

186 : dimanche 16 mai 2010

Depuis son enfance les gares s'étaient faites propres, et pas uniquement par l'abandon de la vapeur. L'odeur froide et acre de la fumée avait fait place à du neutre, où, dans certaines zones, pas trop ouvertes, flottaient de vagues senteurs indécises, artificielles, qui se voulaient fleuries, marines ou autres et n'étaient que médicamenteuses, la pierre polie de pas et de crasse mouillée était décapée régulièrement par des petites armées en uniformes plus ou moins personnalisés, et le bois peint, repeint sur écaillage, érafleur et vivant de sa fatigue, était vernis, inattaquable, ou remplacé par de l'acier brillant, le design avait simplifié le mobilier et le modifiait tous les deux ou trois ans, le verre régnait sans montants visibles, et des machines qui la laissait de moins en moins perplexe remplaçaient le sourire ou la mauvaise humeur des humains, mais dès ses premiers pas dans les galeries, sous les voutes, son corps refusait, un peu, ou plutôt s'installait dans un petit malaise persistant sous sa surface faussement assurée, combat entre un froid prégnant, du cœur, des muscles, de la peau, réel et imaginaire, une envie de sombrer dans l'abstraction du sommeil et une petite excitation, attente toujours renouvelée de banals déplacements en réelles et très limitées évasions, d'aventures dont le dérisoire n'avait aucune importance.

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"Je vous écris d'un pays lointain" (14) Longtemps que l’énigme n’a semblé aussi épaisse pour moi. Approcher mes yeux ne suffit pas. Tellement d’années déjà, et c’est toujours fausse semblance. Grand découragement quand tout s’éloigne à chaque pas. Comme si rien que des morceaux pour ma disposition, jamais rien de plus. Alors fermer les yeux en suffisance, et tenter d’assembler ce qui du puzzle. Mais à cause de la tempête, tout ça peut-être. On dit que le vent fractionne les nerfs. Alors attendre et se méfier des mots qui vont et viennent. Bien à vous, …

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Je descends lentement dans de vastes espaces clos et lisses, dans des aérogares et dans des musiques de films ouvertes sur la transparence d'extérieurs qu'on ne rejoindra pas. Nous dérivons dans des bulles hermétiques, si fines qu'indestructibles, autonomes. Tout autour les étendues sonnent assourdies, comme recouvertes de coton. Nous ne toucherons pas le sol, nous ne le perdrons pas de vue. Il doit faire froid dehors, ou peut-être que non, nous ne le savons pas depuis le lieu tempéré et à peine visible où nous sommes. Je vois d'autres silhouettes au loin, il ne sera pas possible de s'approcher les uns des autres. L'air autour siffle paisible, module et ulule dans la lumière calme et variable légère.