lundi 26 avril 2010

165 : dimanche 25 avril 2010

"Je vous écris d'un pays lointain" (11) Grand merci pour votre dernière lettre. J’ai beaucoup rêvé sur ces photos que vous m’envoyez. Les ciels, en toute particularité. Chaque fois, la même histoire : ciel nouveau, et rêver un peu que d’en faire sien. Sans doute illusion, mais tant aimer s’en revêtir. Souvent entendu dans mon enfance : «Dis-moi les ciels où tu rêves, alors savoir terre où tes racines se sont plongées. » J’aimerais si fort que rien de vrai là-dedans. Toujours pris grand soin de répéter que non. Parce que certaine que le combat de toute une vie que ça même, délivrance lente du point d’origine pour qu’enfin déployer géographie intime. Combat rude et de chaque jour, mais grande nécessité. Car sinon préparer ses doigts à longtemps caresser les plaies béantes. Mais rien de bien neuf sous le soleil, comme vous dites : choix ancien que s’endolorir ou s’inventer. Bien à vous, …

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La lourde porte de bois s'est ouverte avec un petit déclic électrique qui sonnait péremptoire et banal. Le père s'est penché, a repris la valise et ils ont pénétré sous la voute blanche. Gérard regardait avec une attention passionnée et tremblante devant lui, au delà de la seconde arche. Elle s'ouvrait sur une cour dont l'amplitude exagérée leur est apparue en avançant dans l'ombre dorée de ce vestibule. Elle semblait s'étendre en largeur d'une façon que le garçon a pensée démesurée, sans limite visible. Au fond la façade était blanche, classique, régulière. Deux rangées de fenêtres, rectangulaires et hautes, plus carrés, mais toujours sans ornement autre qu'une moulure en simple doucine, pour la rangée supérieure, dominaient une série de porte-fenêtres arrondies, d'une perfection froide. Un peu à gauche de l'axe qui allait du vestibule au centre du bâtiment, un grand conifère sombre s'élevait, les branches les plus basses s'étendant doucement, en courbes gracieuses. Gérard lui a souri, un peu, comme à un futur ami, gardien, protecteur. Il a cherché la main de son père, a blotti la sienne en son creux, l'a pressé, un peu, timidement, et il levait les yeux vers l'homme, les lèvres prêtes à un sourire. La main a répondu, une fois, fermement. L'homme n'a rien dit, ou plutôt juste, comme ils débouchaient dans la cour : « Tout va bien se passer tu verra... Tiens toi droit... toujours, tu sais », et comme c'était un petit mot de passe entre eux, Gérard a souri, sans s'apaiser.

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Ce qui n'a pas de peau n'a pas de souffrance. C'est par la peau qu'on souffre et c'est parce qu'on peut souffrir qu'on est recouvert de peau. On peut souffrir, c'est-à-dire, qu'il est possible que ceci arrive, c'est-à-dire, qu'on en est capable, qu'on peut l'encaisser, qu'on peut souffrir la souffrance - et qu'alors pouvant souffrir la souffrance on est recouvert de peau. Être recouvert de peau, c'est disposer pour soi et parmi les autres d'une existence qui par elle-même au sein du monde blesse, fait souffrir et est souffrante.