lundi 5 avril 2010

144 : dimanche 4 avril 2004

L'heure de la peur (15) Il était sept heures trente lorsque Francart sortit du bloc opératoire et neuf heures quand Salver le réveilla. C’était le protégé de Francart grâce à une perspicacité peu commune et un idéalisme aveugle. Francart se reconnaissait un peu. Vingt-six ans qu’il habitait Clermont-Ferrand et rêvait de monter à Paris ; on ne lui avait refilé que la banlieue. Au moins c’était vivant, ironisait-il. Il avait épousé l’idée d’être flic depuis l’enfance. Un de ceux qui passerait l’arme à gauche, le canon vers soi et le pouce sur la détente. Ambiance saignante pour le futur quinqua. Il était réaliste quant aux enjeux auxquels était soumise la police mais il voulait rester propre. Cela n’était pas possible, assurait Francart. Ils en faisaient tous la preuve en ce moment. Il fallait contourner les tumeurs et courber l’échine. Bref, agir secrètement. Francart le dépasserait toujours par son mépris du politique. Salver pensait qu’il s’agissait d’un tout, d’un cosmos où chacun avait sa place. C’est sûr mais des parties sont plus enviables que d’autres. - Bon on a tout fait, sauf le voisinage. L’équipe va s’y remettre. - Et les légistes alors ? - Ils disent que l’homme est mort sur le coup, rien de spécial. - Et ses papiers ? - Carte d’identité et permis de conduire sont au noms de Nathanaël Grunswald. - Un casier ? - Bah non, inconnu tout court ! - Et la bagnole ? - J’allais y venir, elle est au nom de François Charodeau. - Et qui c’est le loustic ? - Là est le souci : il fait partie des R.G. - Putain, j’en étais sûr ! - En fait, il était à la DST puis s’est fait virer pour une histoire de voiture piégée qui lui a brêlé le genou gauche. - Et tu crois que c’est le même homme ? - Tu lui as billé la pommette alors on voit pas trop mais je crois que oui. C’étaient de faux papiers. De toute façon, Nirtéfil fait les recherches. - Je le sens pas lui, va faire un tour. Je pensais à Donrelds que j’allais convaincre. Il aimait que les explications soient claires et limpides. Il adorait Boileau et le journalisme devait se plier au classicisme. Soit. J’étais heureux avec mon café dans la salle de restaurant. Je m’étais toujours demandé pourquoi il avait des pseudos comme ça : l’anagramme Donrelds pour Londres, Albert. Wardwood pour Bob Woodward. Je me disais que c’était pour se prouver quelque chose… Il y avait un côté grotesque mais comme il cultivait ce côté mystérieux depuis le début, tout le monde le respectait. Les enquêtes doivent être extérieures à la rédaction. Albert, il était à la fois paternaliste et émancipateur. J’aimais ça et n’avait jamais connu un tel fonctionnement. Je l’appelai alors d’une cabine afin de fixer un rendez-vous pour la publication mais il ne répondit pas. Je payai puis montai dans ma Renault. J’avais le papier de l’année, il n’y croirait pas.

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Prendre la journée pour faire le vide, ça va pas m'occuper des masses, aller fumer une clope au balcon de temps en temps, voir la cour intérieure aussi industrieuse que moi, résonner de silence si jamais un bruit y retentit perdu. Il faudra manger à un moment, le problème de l'alimentation dans ces moments là, c'est l'énergie à mobiliser pour obtenir un plat qu'il est possible d'ingérer sans dégoût. Il faut le faire avant que la faim rende le corps faible et lui fasse déclencher une crise d'angoisse. Il faut déjà faire un rien de vaisselle pour pouvoir utiliser assiette, couteau et fourchette. Ce sont déjà beaucoup de devoir à accomplir, on n'en sort pas, on essaie de biaiser en les passant juste un coup sous l'eau chaude mais il a quand même fallu le faire. Peut-être que prendre une journée pour faire le vide quand on est déjà tout à fait englué dans la mollesse et l'inactivité n'est pas une idée fameuse. Mais s'il faut en plus avoir des idées fameuses, je suis vraiment mal parti dans la vie. Oui, ça c'est bien possible, mal parti dans la vie, admettons.