jeudi 4 février 2010

84 : mercredi 3 février 2010

La plus grande bibliothèque de Paris (1) Il voudrait savoir ce qu'elle lit. Elle tient le gros volume ouvert, serré contre sa poitrine, mais la couverture est enveloppée dans un papier blanc opaque. Ses yeux se meuvent d'une ligne à l'autre, par moment sa bouche close s'entr'ouvre et laisse passer un sourire. Elle oublie de respirer, laisse tomber un souffle et tourne la page. Il ne parvient pas à percer le mystère de cette couverture blanche. Il est pourtant assis près d'elle, dans sa diagonale, sur les sièges à quatre où les genoux des voyageurs dodelinent les uns contre les autres. Elle en est au début — mais au début de quoi ? Charonne. Elle lève la tête, le regard inquiet vers la tôle émaillée, puis replonge son museau dans les profondeurs de l'histoire — mais quelle histoire ? Il tend le cou, discrètement. La rame ralentit. Voltaire. Non pas l'auteur, la station. Elle reste immobile, concentrée, son gros sac à main sur les genoux. Combray. Le nom semble surgir du noir, comme un quai éclairé après un long tunnel. "Combray de loin, à dix lieues à la ronde, vu du chemin de fer quand nous y arrivions la dernière semaine avant Pâques, ce n’était qu’une église résumant la ville..." La jeune fille commence la Recherche, une phrase entre deux gares.

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La lassitude nivelle tout, elle met tout à la même distance, une depuis laquelle tout revient au même, tout est relatif, plus ou moins grandement mais déchu à la même relativité. Moi, finalement, je me serais bien contenté d'avoir su me contenter de n'avoir que quelques idées. Mais, non, il y a eu un ego trop gros qui a toujours poussé derrière pour que je veule en avoir plein. Cet ego, le mien, c'est moi. Personne d'autre. C'est à chaque fois désolant de constater qu'on a tant d'ego alors qu'on s'aime si peu. Il aura fallu que je veuille avoir plein d'idées, sans peut-être la carrure pour aller les chercher comme il le faut. Toutes ses idées à porter au bout d'un moment, la lassitude, on ne sait plus quoi en faire. Toutes, elles finissent par sembler bien inconséquentes, alors que si on avait la force, finalement on saurait les porter ainsi qu'elles n'auraient plus d'importance, justement parce qu'elles sembleraient capitales en elles-mêmes, alors que seule la manière dont on aurait servi chacune d'elle l'aurait chargée d'or. Donner un bout de chiffon de façon à ce que la personne qui le reçoit se dise que la manière dont on vous livre un tel joyau n'importe pas, voilà le grand art. J'aurais mieux fait d'être modeste, d'être un peu plus cohérent avec moi-même, et de constater dès le départ que moins on a d'idées, mieux c'est. Mieux on est parti. Les mots et les sons, les idées, tout le monde peut en avoir et peu importe, c'est comme les histoires qui sont plein les journaux, comme un autre avait dit. Ce qu'il faut, c'est la musique pour les faire danser.