vendredi 22 janvier 2010

71 : jeudi 21 janvier 2010

Elle entendait, en vaquant dans sa cuisine, une femme présenter son dernier livre, parler de cette passation entre grand-mère, mère, fille qui semblait une évidence, devant laquelle les hommes qui l'entouraient sur le plateau étaient intrigués, un peu admiratifs, parler ensuite des droits à la jouissance que les femmes avaient conquis, et de la maternité qui était leur privilège, la marque de leur différence glorieuse, et comme les mots peu à peu s'infiltraient en elle, s'imposaient à la surface du petit brouillard affairé de son esprit, elle a senti que des pleurs l'assaillaient, secrets et silencieux, la remplissaient, la ramollissaient. Avec la remontée de cette interrogation endormie et toujours présente, cette perplexité qui la jetait devant un miroir, ce déni qui filtrait son essai d'introspection. Comme toujours elle a posé soigneusement, au dessus de cette faiblesse, une condamnation pour complaisance, et comme la femme insistait sur les différentes étapes qui constituaient la vie d'une femme, lui indiquant ainsi qu'elle n'avait pas vécu, elle a regardé les rides et tendons de ses mains, et souri, un peu, avec une petite auto-ironie qu'elle a transformé en vengeance contre la satisfaction épanouie et donc un peu sotte de la dame, en pensant que son corps semblait prouver le contraire. Ne s'est pas attardé sur l'utilité, ou non, de cette vie, parce que la vie, sa force, son essence, ne relève pas de ce critère.


-----------------------


Ce que tu ne sais pas, c'est qu'à jouer comme ça comme nous le faisons, comme je crois que nous le faisons, pour toi ce n'est rien, ce n'est qu'une partie de plus d'un jeu que tu connais bien, celui qu'on pratique pour se faire la douceur de se sentir désiré, désirée, de se sentir plaire. Un jeu pour lequel la certaine aisance qui est la tienne t'a toujours un peu dérangée sûrement, remuée aussi, dont tu t'accomodes comme à regrets, mais un jeu pour toi qui est un territoire familier et un remède un peu nocif peut-être mais efficace aussi contre ton trop fréquent manque d'estime pour toi-même. Ce que tu ne sais pas, toi qui sait y faire et tellement mieux que moi, ce que tu ne sais pas, c'est ce que ce jeu met pour moi dans la balance. Un poids que nul ne peut porter, même moi, ma détresse de toute une vie je ne peux plus la porter. C'est pour ça qu'à mon âme défendante, je joue à ce jeu avec toi, mal mais j'y joue, non que je n'aurais voulu y jouer avec toi si je n'avais pas été à bout de moi-même, mais c'est qu'alors je me le serais interdit. C'est à cause de la lourdeur de ce poids que, peut-être, ce que je crois que tu ne sais pas se voit en fait très bien, parce que je le cache trop, le cache mal. Tu vois tout ce poids que je porte, que je n'en peux plus de porter, et ça te gâche le jeu, pour toi il faudra écourter la partie, prétendre qu'il n'y en a jamais eu. On ne joue pas à un jeu futile avec quelqu'un qui le joue comme moi, et même quand le fond de soi le prend au sérieux, on n'y joue pas avec quelqu'un qui y joue sa peau, et qui parce qu'il y joue sa peau la perdra en jouant. C'est ce que tu ne savais pas, puis as su peut-être, as senti sûrement, que quoi qu'il arrive de ce jeu, c'est qu'avec moi tu décides de mon salut ou de ma damnation. Tu sais, chez moi, toute cette gentillesse, toute cette culture amassée, c'est pour ça, se sauver de la damnation et quérir le salut. C'était pour ça cette dépense, c'est-à-dire ce n'était pour rien : un puceau de plus de trente-cinq ans, qu'est-ce que tu dis de ça ? On ne dépucelle un puceau de plus de trente-cinq ans qu'à être aussi désespérément éperdue que lui. Il ne faut pas que tu te fasses ça, ne te fais pas ça. Fuis, je ne t'en voudrai pas. Fuis, je pourrais te donner tout l'amour que je crève de ne pas pouvoir donner. Fuis je t'en prie, tu me touches tant.