mardi 29 décembre 2009

47 : lundi 28 décembre 2009

Pendant un court instant, elle se dit qu'elle avait aimé aimer. C'est un beau sentiment il est vrai, l'un des plus nobles, il paraît. Mais ce que l'on ne dit pas dans les manuels, ce qu’on apprend avec le temps et l'expérience, c'est que ce sentiment en engendre une multitude d'autres. La solitude, par exemple. On se sent toujours seul tant que l'on n'est pas dans les bras chauds et protecteurs de l'être chéri. « Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ». Elle se souvenait bien de cette citation, mais impossible de mettre un nom sur son auteur... Malgré ses réflexions, elle dut revenir à la réalité, il faisait froid, sombre, et il y avait quelque chose de malsain, dans cet épais brouillard, que même le vent glacé et piquant ne parvenait pas à percer. Ses doigts, transis par le froid et l'humidité, passaient le long de la façade des immeubles gris et bruts, sentaient chaque défaut des murs en crépis beigeâtre, cet immonde crépi, et finissaient par s'écorcher. Ses lèvres gercées murmuraient ce qu'elle devrait répéter dans quelques instants. Et son cœur, lui, battait la chamade au rythme de ses pas, qui s'accéléraient sans qu'elle s'en soit rendu compte. Encore quelques mètres et elle atteindrait son but, ce pourquoi elle était sortie dans le froid de décembre, en pleine nuit. Elle sonna à l'interphone d'un vieil immeuble, « C’est moi, on peut parler deux minutes ? », et lorsque l'homme qu'elle avait tant aimé vint lui ouvrir la porte, elle se demandait si elle avait réellement encore la force de parler. Il avait dans les yeux un étonnement, une confusion qui la fit se sentir honteuse d'attendre autant pour lui exprimer la nouvelle. C'est seulement à cause de cela qu'elle ouvrit la bouche : « Je suis enceinte. Je ne le garderai pas. » Elle repartit sur ses pas, le vent de plus en plus glacé l’empêchant de regarder droit devant elle, elle courba le cou et vit les larmes qui tombaient sur sa veste. Le froid lui paralysait le visage et elle ne s’était pas rendue compte qu’elle pleurait.

------------------------------

Il y a les trois silhouettes qui marchent devant moi dans la neige, qui font trois taches nettes et denses dans le décor blanc, sol et ciel tout blancs. Nous avançons sur une pente douce vers une ligne de sapins. Horizon vert sous la neige épaisse, qui se distingue mal derrière les gros flocons. Les trois silhouettes noires sont proches de moi, densité de leur noir. Elles n'ont pas prononcé une seule parole depuis le départ. Elles ne diront rien. Nous approchons de la forêt de sapins. Un chemin s'ouvre au milieu d'elle, je suis les silhouettes noires vers lui. Pas d'autre bruit depuis des heures que le son assourdi du pas des silhouettes, du mien. Nous allons pénétrer la forêt. Trois hommes en surgissent vers nous, ils sont vêtus à la façon de chasseurs, casquettes, pantalons et vestes kaki, le fusil aux mains. Ils épaulent leurs armes, visent et abattent les trois silhouettes. Une cartouche par silhouette, elles s'écroulent l'une après l'autre. Un seul coup par cible, le bon à chaque fois, trois détonations dans le désert ouaté. Les chasseurs ne me mettent pas en joue, ne me regardent pas, ils repartent. Je suis le témoin.