jeudi 24 décembre 2009

42 : mercredi 23 décembre 2009

Bien content d'avoir trouvé une place assise dans la rame bondée, dans le sens de la marche du train, sur le fauteuil contre la vitre. C'était l'hiver, et comme toujours en hiver quand on réunit dans un même lieu plusieurs dizaines de personnes, on se retrouve toujours avec quelques tousseurs et quelques éternueuses, ou l'inverse, des gens qui se mouchent ou qui reniflent. Rien de plus normal mais ces derniers temps les médias, le gouvernement, la rumeur avaient tant martelé les esprits avec l'épidémie dont il fallait se protéger, avec les conseils de vaccins, de masques, d'hygiène des mains, etc. avec la maladie très contagieuse, les complications possibles, la mort certaine, etc. que chaque signe perceptible d'affection du nez ou de la gorge était ressenti comme une grave menace, tout de suite on imaginait les saletés microscopiques et virales qui s'expulsaient du nez ou de la gorge du voisin de métro et qui allaient flotter quelques instants dans l'air dans lequel on baignait, ou encore les germes qui peut-être avaient été graissés par des mains de malade, avec tout un bouillon de culture glaireux et morveux, sur la poignée qu'on relèverait pour sortir ou sur la barre de sécurité à laquelle on s'accrochait. Alors quand mon voisin d'en face s'est mis tout d'un coup à tousser comme un tuberculeux, il y a d'abord eu un malaise autour de lui, de légers mouvements de recul inutiles, un demi-pas en arrière, les gens qui essaient de s'enfoncer dans leur dossier pour gagner quelques centimètres de distance. Il toussait vraiment très fort, par quintes successives à se racler les bronches et la gorge, à se décoller tout le fond des poumons. Il devenait tout rouge et commençait à râler, à chercher son souffle entre les toux, en peinant énormément. Ses voisins de métro - et moi aussi - se sont levés pour faire le vide autour de lui, pour s'éloigner surtout. J'ai tenté un "ça va monsieur ?" en lui tapotant l'épaule, il n'avait pas de souffle pour respirer, alors pas de souffle non plus pour répondre, les yeux exorbités, le visage rouge d'un étranglé, et la toux, la toux, la toux, la salive qui commence à couler, à goutter sur son pull-over, du sang qui se mélange aux crachats, de plus en plus de sang. On n'en menait pas large, il n'y avait plus personne à moins de deux mètres de lui et pourtant quelques minutes plus tôt on pensait que la rame était pleine à craquer. On attendait tous l'arrêt à la prochaine station, c'est certain. Et le métro qui s'arrête en pleine voie juste à ce moment là, lui qui tousse toujours autant, qui crache toujours autant, son pull brun clair qui commence à devenir tout noir de sang sur le devant. Le panneau près du levier d'alarme indique qu'il ne faut l'utiliser qu'en cas de danger. Est-ce qu'il y a danger ? Danger pour lui, ça c'est sûr - danger pour nous, c'est bien possible, on ne sait pas ce que c'est que sa maladie à ce monsieur, mais on voit bien que c'est très moche et personne ne veut la même. Quelqu'un tire sur le levier et dit au chauffeur que quelqu'un se sent mal, qu'il s'étouffe et qu'il crache plein de sang. Le métro qui repart au ralenti pour nous mener à la station suivante, on pourra sortir, on devra sortir, le train sera immobilisé en station jusqu'à ce que les secours aient emporté le monsieur hors de la rame. Avant la station, il commence à vomir, tout d'un coup comme une cascade hors de sa bouche, une inondation sur lui, des litres et des litres de vomi verdâtre, jaunâtre, noirâtre, ça s'écoule partout sur le sol, ça vient baigner nos semelles. Une odeur pestilentielle, immonde. Un estomac ne peut pas contenir tout ça, il est vraiment en train de se vomir lui-même. Et il continue à tousser pendant qu'il vomit, redouble d'étouffement. Et il continue de vomir et vomit toujours quand on arrive en station et qu'enfin le train s'arrête à quai. Les portes s'ouvrent et tout le monde se jette dehors, on n'est pas loin de se bousculer, de se pousser, avec le sol qui glisse dégueulasse et pourtant, bon sang, on ne veut surtout pas tomber là-dedans. Je suis sûr que pas mal de gens iraient jeter leurs chaussures après ça, moi j'ai beaucoup hésité à le faire, finalement ça a été nettoyage aux grandes eaux, obligatoire, minimum. Depuis le quai, pendant que les pompiers se dirigeaient jusqu'à lui, je le voyais encore au travers de la fenêtre, par la partie de la vitre qu'il n'avait pas souillée, et juste à ce moment il a arrêté de vomir, de cracher, de tousser, il s'est même arrêté de bouger sauf pour s'affaisser sur lui même, comme s'il faisait un tas avec ce qui lui restait de corps, un tas sur lui-même, un tas de lui-même. Et puis il n'a plus bougé du tout.