jeudi 17 décembre 2009

35 : mercredi 16 décembre 2009

Son corps s’était progressivement craquelé. Cela avait commencé par une large crevasse au pied. Telle une alpiniste arpentant les sentiers escarpés de la cordillère Blanche, elle s’était engouffrée dans les abymes d’une vieillesse anticipée. Elle avait alors observé, avec la passivité du soldat à moitié abattu et gisant au cœur d’un champ de bataille quasi dévasté, son organisme périmer avant la date escomptée. Il faisait un froid de canard. Le changement de saison était probablement responsable de ce revirement de situation. Elle n’avait pas cherché l’ennemi qui s’était glissé sous sa chair. Non. Elle s’était contentée de l’accueillir aimablement, enchantée à l'idée de trouver un motif à son cafard et rassurée de pouvoir combler le vide béant qui s’était peu à peu installé au sein de son microcosme. Elle avait été trop tôt submergée par d’odieuses vagues d’angoisse. Il y eut d’abord le doute et l’incompréhension face à une vie qui n’a pour ambition naturelle que son anéantissement puis la sensation de ne jamais trouver aucune raison aux choses et circonstances. Elle finit par percevoir la vacuité de son existence et se mit à douter de tout, par pédantisme en premier lieu et enfin par habitude. Elle se faisait trimballer de-ci de-là au rythme du quotidien et de ses aléas, comme une feuille morte qui se laisse emporter bon gré mal gré par quelques bourrasques, giboulées ou coups de vent. Au départ, chasser une idée sombre était une simple affaire consumériste. Il suffisait d’acheter une mignonne paire de souliers, de remplir son frigidaire ou de faire l’acquisition d’une robe printanière en plein cœur de l’hiver, pour distraire son esprit. Plus qu’un remède, elle avait fait de la futilité l’apanage de ses tourments. Alors que les accessoires précieux et les dépenses frivoles ne suffisaient plus à apaiser ses afflictions, elle s’était tournée vers le cinéma, l’art ou encore la littérature. Expérience heureuse avec Le goût de la cerise, film qui l'avait persuadée qu'il restait quelque chose à sauver ; elle s'était accrochée aux petits riens du tout, s'efforçant d'en extraire une supposée substance salvatrice. Elle avait doucement remonté la pente mais son désir inexhaustible de culture était devenu le maître d’œuvre des agitations de son âme. Le puzzle qu’elle s’appliquait à recomposer pour calfeutrer le néant posté dans son ventre n’avait rien à faire ici. Les pièces s’y égaraient et repoussaient les contours de ce grand trou noir. Pleine d’amertume, abattue, elle avait abdiqué et attaqué À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Son corps et son esprit avaient épongé les maux et laissé entrer une bête que l’entendement seul ne saurait d’ordinaire admettre. Son cœur plein d’escarres battait lentement ce soir là.

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Ils crurent à une découverte totalement neuve. La flottille d'explorateurs francs-tireurs naviguait depuis des années sans avoir trouvé le moindre territoire inconnu dont ils auraient pu vendre la découverte à une Cour ou à un État quand finalement ils atterrirent sur un vaste rivage que leurs cartes ne mentionnaient pas. Depuis plusieurs mois, ils doutaient de plus en plus de ce qui leur avait fait prendre la mer, la presque certitude de l'existence de territoires colonisables encore inconnus. Après quelques incursions exploratoires aux alentours du lieu où ils avaient abordé, ils constatèrent que cette nouvelle terre était probablement immense et en tirèrent une vive joie. Le territoire semblait en outre peu densément peuplé, les quelques indigènes qu'ils y rencontrèrent étaient peu farouches, dotés cependant d'équipements étonnamment sophistiqués. Une fois accomplis les premiers repérages qui allaient permettre la description de cette nouvelle terre, une moitié des explorateurs franc-tireurs reprit la mer pour entreprendre de possibles acquéreurs de leur découverte, tandis que l'autre moitié d'entre eux y demeurait pour conserver la possession de la terre.