dimanche 15 novembre 2009

4 : dimanche 15 novembre 2009

Le train s'est arrêté de façon imprévue en pleine voie, comme il arrive quelquefois, au milieu de nulle part pensait-on puisqu'on était passager et qu'on espérait arriver à l'heure ou avec un retard bénin à destination connue, du moins là où quelque chose, quelqu'un vous attendait. Ce milieu de nulle part était quelque part bien sûr, mais quelque part entre deux gares, un lieu vu depuis un train dont on ne peut descendre, et auquel aucun de nous passagers n'appartenait donc, dans lequel nous ne nous trouvions pas véritablement. Son lieu de passager, le lieu interne au véhicule, appartient à un espace labile constitué de la dilatation des lieux d'où l'on part et où l'on arrive, des lieux où on s'arrête entre temps, et de ce petit espace lui-même, sorti d'usines, habitacle, fauteuil avec tablette amovible face à lui, voiture-bar à quelques wagons et toilettes sur les plates-formes, un lieu que l'on a ou non le loisir d'aménager pour soi, pour sa particularité. À ce titre, les gares sont de véritables lieux hybrides, entre les villes où elles sont bâties et dans lesquelles elles organisent toujours le quartier dont elles sont le centre - et qu'on nomme toujours "quartier de la gare", "vers la gare", "derrière la gare" peut-être, que l'on désigne toujours par sa relation à la gare - et l'ensemble de la ligne qui les traverse, la profondeur de la distance du chemin de fer, scandée par quelques étapes entre les deux terminus. Ce lieu d'arrêt impromptu, et finalement momentané, que nous voyions sans nous y trouver, dans lequel pour se trouver il aurait suffi d'un mètre hors du wagon, un mètre que nous ne franchirions pas de l'autre côté de la vitre, en bas du marchepied pour être debout dans l'herbe bordant le ballast, ce lieu nous offrit le scintillement du soleil sur les milliers de feuilles jaunes et mouillées des bouleaux qui étaient là, un scintillement qui s'agitait si vite qu'il produisait un phénomène optique analogue à celui d'un écran de télévision ne recevant pas de faisceau et dans lequel on dit parfois qu'il y a de la neige. Une maison avec jardin se trouvait un peu plus loin, à quelques dizaines de mètres, elle et ses occupants véritablement au même endroit que ces bouleaux.