jeudi 26 novembre 2009

14 : mercredi 25 novembre 2009

Quand la nuit tombe sur la rue, le tube fluorescent et les enseignes de la pharmacie éclairent en vert et bleu le carrefour, avant que les lampadaires s'allument d'orange. Il a plu l'après-midi entière et la lumière coule tout autour sur le sol. Les lumières blanches à l'intérieur de la pharmacie sont allumées et de l'extérieur, on voit comme dans un aquarium les rayonnages de médicaments, les publicités pour les savons, les crèmes et les dentifrices, les pharmaciennes aussi qui servent les clients rares. Les diodes et les tubes dans des croix vertes et bleues s'animent de motifs changeants, indiquent l'heure, la date et la température, aussi la lumière varie sur la façade de l'immeuble de l'autre côté de la rue. Au premier étage de celui-ci, toutes lumières éteintes et les fenêtres ouvertes malgré la fraîcheur de novembre, s'y trouve Lily, debout derrière l'ouverture, de temps en temps une cigarette à la bouche qu'elle écrase dans le cendrier posé sur une étagère à côté d'elle. Lily s'ennuie, elle a oublié sa tristesse, sa tristesse ne l'a pas oubliée. C'est sa meilleure compagne, elle s'est simplement masquée d'ennui. Le déclin paresseux de la luminosité, le rythme mécanique et froid des lumières qui changent et de la maigre vie sous ses yeux font éprouver à Lily la durée pure, une expérience de l'avancée inerte et inexorable de l'existence. Elle est enveloppée de la solitude de ceux qui n'ont pour compagnie que des êtres morts, des tubes néons, quelques meubles, un lit défait, des rayonnages de médicaments derrière une vitrine, des cigarettes et une fenêtre ouverte. Elle connaît quelque chose de leur temps homogène et nu d'objets. Elle se souvient parfois de son instituteur qui avait mis à l'épreuve un de ses camarades de classe : "Tu crois qu'une minute ce n'est rien, mais passe soixante secondes sans rien faire, seulement à attendre que soixante secondes passent, et tu connaîtras la durée d'une minute". Et l'instituteur de fixer la trotteuse de sa montre pendant soixante interminables secondes au milieu des bambins silencieux, incrédules et un peu mal à l'aise. Ce temps-là, qui fait connaître la durée d'une minute, était le sien. Et pourtant, à chaque fin de journée, elle était arrivée jusque-là, ce jour-ci encore.